Le vent des sables

Le vent des sables

Une zone tout entière se trouve aujourd’hui prise dans la tempête de la rébellion populaire contre l’ordre établi. Une zone qui concentre une bonne partie des réserves pétrolières mondiales et qui symbolise l’imperium américain sur le Moyen-Orient. Un pouvoir désormais remis en cause, laissant présager de profonds bouleversements.

L’épidémie de rébellion, observée du pourtour méditerranéen jusqu’au Moyen-Orient, redonne une brûlante actualité à la vieille obsession de Lawrence d’Arabie : la Nation Arabe. Celle qu’Anthony Quinn, dans le rôle d’un chef de tribu belliqueux, considérait comme une extravagante lubie d’Anglais. Enfin, de cet Anglais en particulier : l’Histoire a démontré que l’Angleterre partageait, avec les puissances de l’époque, la volonté de diviser ces territoires plus que de les voir s’unir. L’objectif n’était même pas cousu de fil blanc puisqu’il s’agissait principalement, pour les uns et les autres, de se garantir l’accès à l’huile précieuse et d’en contrôler le mieux possible le prix. Il en est résulté l’éclosion de démocraties d’opérette et de potentats monarchiques ayant une caractéristique commune : le soutien des « grands » pour maintenir la stabilité intérieure et se protéger de la convoitise éventuelle des voisins. D’évidence, le parrainage a efficacement fonctionné depuis une bonne cinquantaine d’années. Et puis tout à coup, des populations jusqu’alors résignées se soulèvent massivement et bravent les autorités, pourtant peu suspectes d’indulgence bienveillante à l’égard des contradicteurs ; en quelques jours, les despotes disparaissent piteusement du paysage et les apparatchiks s’emploient à sauver les meubles, en tentant de se refaire une virginité ou en pliant bagages. Sous un climat de liesse émouvante qui encourage d’autres peuples, soumis à la même loi d’airain, à se rebeller à leur tour. Une traînée de poudre au sein du même groupe linguistique, qui pourrait ainsi se découvrir un destin commun et explorer la voie d’une meilleure autonomie sous les auspices d’un rapprochement.

Tels sont quelques uns des éléments du scénario tracé récemment par le Laboratoire européen d’anticipations politiques, dans la dernière livraison de son bulletin . Des hypothèses à ne pas négliger, en regard du niveau élevé de pertinence de ses prévisions antérieures : notamment, dès février 2006, le Leap annonçait le déclenchement d’une crise mondiale majeure et « la fin de l’Occident tel qu’on le connaît depuis 1945 ». L’agonie de l’ordre ancien. Et tout particulièrement la dislocation des Etats-Unis, grande puissance promise à l’effondrement. C’est précisément sur l’affaiblissement en cours de l’Amérique que les prévisionnistes étalonnent l’avenir probable du monde arabe. Les Etats-Unis ont purement et simplement lâché les potentats tunisien et égyptien, achevant de convaincre les vassaux du Moyen-Orient que la protection de l’Oncle Sam était devenue une fiction coûteuse (le « garde du corps » s’est fait porter pâle dès que la rue est entrée en agitation). Dans le même temps, les peuples concernés ont pu, à loisir, renforcer leur aversion latente pour les Américains, principaux soutiens des gouvernements antérieurs honnis. Un puissant renversement de paradigme, susceptible de générer des transformations radicales au sein de ces sociétés, où les jeunes générations sont majoritaires.

Le dollar en péril

Voilà pourquoi le Leap pronostique, avant la fin de l’année en cours, la chute du « Mur des pétrodollars ». Ne serait-ce que sous l’action directe ou indirecte des monarchies du Golfe, condamnées à abandonner le parrain américain. Outre les risques d’approvisionnement que fait naître ce courant d’instabilité (et donc d’un fort renchérissement du prix du brut), la probable diminution des transactions en dollars sur le pétrole constitue un facteur mécanique de moindre demande pour cette devise. Et de moindres excédents en dollars des pays producteurs, réduisant le potentiel d’investissement dans la dette américaine. La conjonction de ces facteurs est ainsi susceptible de peser sur le change du billet vert : le Leap estime la marge de baisse à 20%, ce qui est peut-être optimiste. Car les besoins de financement de l’Etat fédéral US sont énormes, avec des Etats fédérés qui sont presque tous étranglés ; le marché des émissions municipales (les « muni-bonds ») est déjà en perdition et n’attend plus que l’occasion propice pour un hard landing. Bref, comme on ne cesse de le répéter dans ces colonnes, la valeur internationale du billet vert n’est plus soutenue depuis longtemps par les « fondamentaux » économiques des States, mais par le maintien du dollar dans un statut exorbitant (et injustifiable) au sein d’un système financier mondial à bout de souffle. Un soutien « faute de mieux », suspendu à des béquilles virtuelles promises à disparition.

Quid de la suite ? De longue date, le Leap fait état de sa confiance dans l’émergence de l’Euroland comme « nouveau souverain ». Et tient pour décisif le sommet à venir (11 mars) ayant à débattre de la proposition franco-allemande du « Pacte de Compétitivité », entre les seuls membres de la Zone euro. Il est peut-être prématuré de considérer la « crédibilité » du Fonds européen de solidarité financière comme une étape capitale d’un processus « souverain ». Les marchés ont plébiscité le FESF sur la base des notations ésotériques de l’ordre ancien. Et le Pacte proposé s’inscrit dans le droit fil de la « gouvernance économique » inlassablement défendue par la France, qui vise à conférer le pilotage au couple franco-allemand, sur la base de considérations essentiellement économiques et financières. Du reste, les analystes ne font pas l’impasse sur les faiblesses de cette démarche. On ne saurait trop recommander à tout honnête homme la lecture de cette dernière publication.

Par Jean-Jacques JUGIE

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