Référé liberté à l'encontre

Référé liberté à l’encontre du couvre-feu à 18h dans les A-M : rejet du TA de Nice

Un référé-liberté contre le Couvre Feu avancé à 18H dans les Alpes-Maritimes avait été déposé par les maires de Cannes, Villeneuve-Loubet et Antibes et une fédération de commerçants. Le tribunal administratif de Nice a examiné la demande lundi 11 janvier à 11h et a rejeté le recours présenté par ces communes.

Les faits

Par une requête enregistrée le 7 janvier 2021, rectifiée et complétée le même jour, les communes de Cannes, Antibes, Grasse et Villeneuve Loubet, représentées par leurs maires, respectifs, et l’UMIH 06 HCR Cannes Restaurateurs, représentée par son président en exercice, ayant pour avocat la SCP d’avocats Lyon-Caen et Thiriez, demandent au juge des référés d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté n° 2021-003 du 1er janvier 2021 du préfet des Alpes-Maritimes, « interdisant tout déplacement hors de son lieu de résidence entre 18h et 6h du matin sur l’ensemble du territoire des Alpes Maritimes, en dehors des exceptions prévues à l’article 4 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié » et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au bénéfice de chaque requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
En ce qui concerne l’intérêt à agir :
- L’arrêté querellé affecte les intérêts locaux des communes requérantes,
notamment leur animation et leurs finances, par l’intermédiaire de l’impact
économique de l’abaissement de l’heure du « couvre-feu » de 20h à 18h ;
- L’UMIH 06 HCR Cannes Restaurateurs représente un secteur professionnel
directement impacté par la mesure, au regard notamment du chiffre d’affaires généré habituellement entre 18h et 20h.

En ce qui concerne la condition d’urgence :
- celle-ci est remplie, dès lors qu’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale est constatée ; l’urgence est présumée pour contester, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, des mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire.
En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
- l’arrêté porte atteinte grave à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre, ainsi qu’à la liberté d’aller et de venir et à la liberté personnelle ;
- la mesure est manifestement disproportionnée et illégale dans la mesure où, d’une part, les effets bénéfiques de l’abaissement de l’heure du « couvre-feu » de 20h à 18h sur la situation sanitaire ne sont pas établis, et peuvent même être négatifs au regard de la contraction de la plage horaire de retour de travail impliquant un accroissement de la densité des personnes amenées à se côtoyer, d’autre part, les conséquences économiques sur les entreprises sont importantes ; le risque de saturation des établissements de santé n’est pas établi ; la situation sanitaire ne se dégrade pas de manière importante, et les communes de l’ouest du département apparaissent davantage préservées ; l’application dans le temps de la mesure querellée n’est pas précisée ; des mesures adaptées et différenciées pourraient être
prises selon la situation sanitaire de chaque commune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2021 à 9h53, le préfet des Alpes-Maritimes conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- L’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi qu’à la liberté
d’entreprendre, à la liberté d’aller et de venir et à la liberté personnelle, doit être mise en balance avec l’intérêt public et notamment la préservation de la santé publique ;
- Au regard, d’une part, de la portée limitée de la mesure, d’autre part, de la situation sanitaire tant au niveau national que local, le caractère disproportionné de la mesure, qui s’insère dans une stratégie plus globale de lutte contre la pandémie, n’est pas établi ; la tranche horaire 18h-20h est propice aux interactions sociales ; la mesure abaissant à 18h la
mise en place du couvre-feu est adossée au décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié, ne prévoyant pas lui-même de date de fin ; La réalisation d’un bilan de ces mesures est notoirement prévue le 20 janvier 2021, et en tout état de cause l’état d’urgence sanitaire a été prolongé jusqu’au 16 février 2021 par la loi du 14 novembre 2020.

L’audience au TA de Nice

La présidente du tribunal administratif de Nice a désigné M. Tukov, 1er conseiller, pour statuer en qualité de juge des référés.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 11 janvier 2021 à 11 heures tenue en présence de Mme Labeau, greffière d’audience :
- le rapport de M. Tukov, 1er conseiller ;
- les observations de Me Bigas, représentant les communes de Cannes, Antibes, Grasse et Villeneuve Loubet, ainsi que l’UMIH 06 HCR Cannes Restaurateurs, qui reprend ses écritures, ainsi que les observations, à titre d’information, de M. Chikli, adjoint au maire de Cannes ;
- les observations de Mme Mercier, représentant le préfet des Alpes-Maritimes, qui reprend ses écritures, ainsi que de M. Alexandre, directeur de l’ARS des Alpes-Maritimes ;

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Conclusions - décision

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ». Il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une
liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde
à très bref délai et qu’il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

2. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 : « L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». L’article L. 3131-13 du même code, précise que « L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. (...). La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 ». Enfin, il résulte de l’article L. 3131-15 du même code que « dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique » prendre un certain nombre de mesures de restriction ou d’interdiction des déplacements, activités et réunions « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  ».

3. Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent. Le caractère proportionné d’une mesure de police s’apprécie nécessairement en tenant compte de ses conséquences pour les personnes concernées et de son caractère approprié pour atteindre le but d’intérêt général poursuivi. Sa simplicité et sa lisibilité, nécessaires à sa bonne connaissance et à sa correcte application par les personnes auxquelles
elle s’adresse, sont un élément de son effectivité qui doivent, à ce titre, être prises en considération. Toutefois, la prise en compte de la simplicité et de la lisibilité d’une mesure de police administrative demeure accessoire dans l’appréciation de la proportionnalité de la préservation des libertés publiques au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette mesure et ne saurait, par suite, justifier une atteinte excessive aux libertés publiques.

4. L’article 4 du décret du 29 octobre 2020 impose, sous réserve des exceptions qu’il mentionne, un couvre-feu sur l’ensemble du territoire national de 20 heures à 6 heures du matin et habilite le préfet à adopter des mesures plus restrictives lorsque les circonstances locales l’exigent. En application de ces dispositions, le préfet des Alpes-Maritimes a, par
l’arrêté attaqué du 1er janvier 2021, imposé sur l’ensemble du territoire du département le couvre-feu à compter de 18 h 00 jusqu’à 6 h 00 à compter du 2 janvier 2021. Les requérantes demandent la suspension de cet arrêté en soutenant qu’il porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, ainsi qu’à la liberté personnelle et à la liberté du commerce et de l’industrie.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le strict objet de l’arrêté querellé est de ramener, de 20h à 18h, l’heure au-delà de laquelle est interdit, jusqu’à 6h, tout déplacement hors de son lieu de résidence sur l’ensemble du territoire des Alpes-Maritimes, en dehors des exceptions prévues à l’article 4 du décret n°2020-1310 du 29 octobre modifié, et, dès lors, tant le caractère de gravité des atteintes aux libertés sus-évoquées, que la proportionnalité de la mesure au regard du but poursuivi, doivent être appréciés par rapport à cet objet strictement délimité.

6. Il ressort de l’instruction, notamment des observations fournies à l’audience par l’ARS PACA 06, que la situation sanitaire s’est fortement dégradée dans le département des Alpes-Maritimes depuis le mois de décembre 2020. Le taux d’incidence, révélateur de la circulation du virus, est passé de 270 pour 100 000 habitants entre le 25 et le 28 décembre
2000, à 358 pour 100 000 le 8 janvier 2021, alors que le seuil d’alerte est fixé à 50/100 000.

Cette augmentation ne peut entièrement s’expliquer par l’accroissement du taux de dépistage, au regard notamment de la forte diminution de ce taux en semaine 53 mentionnée dans le point de situation quotidien Covid-19 en PACA au 7 janvier 2021. Par ailleurs, l’analyse de la carte du taux d’incidence pour 100 000 habitants sur la période du 28 décembre 2020 au 3 janvier 2021 concernant le département des Alpes-Maritimes montre que les communes du département présentent majoritairement un taux supérieur à 150, pour certaines supérieur à 250, et en tout état de cause supérieur à 50 qui est le seuil d’alerte. Le taux de positivité est passé de 4,7 au 30 décembre 2020, à 8,1 ce jour, pour un taux national de 5,5. Le préfet des Alpes-Maritimes soutient par ailleurs, sans être utilement contredit sur ce point, que le nombre de personnes hospitalisées en réanimation n’a cessé d’augmenter entre le 25 décembre 2020 et le 6 janvier 2021, pour passer de 37 à 57, étant rappelé que la gestion des lits en réanimation est effectuée à l’échelle départementale. La tension sur les hôpitaux et plus précisément les lits en réanimation est légèrement supérieure à la moyenne nationale, un
accroissement de cette tension devant conduire à un accroissement des capacités de réanimation et à une déprogrammation subséquente des activités chirurgicales permettant un redéploiement des ressources médicales auprès des services de réanimation.

7. Si les requérantes contestent l’efficacité de la mesure querellée sur la situation sanitaire, la simple augmentation de deux heures de la plage horaire interdisant les déplacements hors du domicile implique mécaniquement une diminution des contacts vecteurs de la transmission du virus. Le choix de la période de 18h à 20h permet, lorsque le respect de la distanciation sociale est moins aisé, une diminution des interactions sociales et subséquemment des risques de contamination, et il n’est pas établi que l’avancement du « couvre-feu » à 18h engendrerait des concentrations de population telles, avant 18h, que le risque de propagation du virus serait identique voire supérieur à celui existant dans l’hypothèse de la fixation du « couvre-feu » à 20h. Par ailleurs, si le préfet des AlpesMaritimes ne conteste pas l’atteinte supplémentaire aux libertés causée par l’arrêté querellé, la
gravité de cette atteinte doit être appréciée, comme il a été dit au point 5, au regard du seul abaissement de 20h à 18h de l’interdiction de déplacement hors du domicile. A ce titre, les attestations versées aux débats, si elles établissent un impact certain sur l’activité économique et notamment le chiffre d’affaires des restaurateurs du département, ne permettent pas d’établir le caractère disproportionné de la mesure par rapport au but de protection de la santé publique, au regard de la situation sanitaire du département, prise nécessairement dans sa globalité, décrite au point 6. L’absence de date d’échéance de la mesure n’est pas plus susceptible de caractériser son caractère disproportionné, dès lors, d’une part, que l’arrêté
querellé se borne à aggraver une mesure déjà prise au niveau national par le décret n°2020- 1310 du 29 octobre 2020 modifié qui lui-même ne mentionne pas de date d’échéance, hormis la fin de l’état d’urgence sanitaire fixée, en l’état, au 16 février 2021 par la loi du 14 novembre 2020, d’autre part, que la situation sanitaire, par définition évolutive, sera nécessairement réévaluée régulièrement, notamment le 20 janvier 2021.

8. Il résulte de tout ce qui précède, qu’au regard de la portée relativement limitée de l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 1er janvier 2021, et des exceptions prévues à l’article 4 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié, l’atteinte portée par la mesure contestée à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre, ainsi qu’à la liberté d’aller et de venir et à la liberté personnelle, ne revêt pas un caractère grave ni manifestement illégal.

9. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin de suspension.

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’État, qui n’a pas la qualité de partie perdante, verse aux requérantes la somme qu’elles réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

- La requête des communes de Cannes, Antibes, Grasse et Villeneuve Loubet, ainsi que de l’UMIH 06 HCR Cannes Restaurateurs, est rejetée.

Visuel de Une ; DR TA de Nice

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