LOI EL KHOMRI : SOYEZ

LOI EL KHOMRI : SOYEZ DECONNECTÉS !

La loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels du 8 août 2016, dite loi El Khomri, a notamment pour ambition d’adapter le droit du travail à l’ère du numérique. Selon le législateur, cette adaptation doit passer par l’affirmation du droit à la déconnexion du salarié et, par conséquent, par la mise en place de nouvelles obligations pour l’employeur afin d’assurer l’effectivité de ce droit.

Un droit à la déconnexion fixé par voie d’accord ou par décision unilatérale 

À compter du 1er janvier 2017, dans le cadre du bloc de négociation annuelle obligatoire portant sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et la qualité de vie au travail, l’employeur devra négocier sur « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques ». Le législateur poursuit avec l’objectif qui doit sous-tendre cette négociation, à savoir « assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que la vie personnelle et familiale ».

Cet objectif a le mérite d’être « connecté » avec la réalité constatée dans les salles d’audience à l’occasion des affaires prud’homales dans lesquelles des salariés « hyper connectés » sollicitent le paiement d’heures supplémentaires et invoquent inexorablement le manquement à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur au motif du non-respect de leurs temps de repos et de congés.
À défaut d’aboutir à un accord d’entreprise sur le droit à la déconnexion, l’employeur devra élaborer une charte, après avis du comité d’entreprise ou à défaut, des délégués du personnel et du CHSCT.
Cette charte devra définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion, notamment prévoir la mise en œuvre à destination des salariés, y compris du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. De l’aveu même du législateur, il s’agirait donc bien de recourir à une utilisation raisonnable de la connexion à distance et non à une interdiction pure et simple.

Rappelons que la négociation annuelle obligatoire ne concerne que les entreprises dotées d’au moins un délégué syndical.
En revanche, depuis l’entrée en vigueur de la loi le 10 août 2016, toutes les entreprises concluant un accord d’entreprise mettant en place une organisation du travail dans le cadre d’un forfait annuel en jours pour certaines catégories autonomes de salariés, doivent mentionner les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
Au cas particulier, le législateur tient compte du fait que les salariés au forfait jours sont les salariés principalement concernés par cette problématique de la déconnexion. En effet, l’autonomie dont ils disposent dans l’organisation de leur temps de travail a amené le législateur à insister sur cette catégorie de salariés particulièrement exposée au risque de « sur-connexion ».
À défaut de telles dispositions conventionnelles, les modalités d’exercice par le salarié au forfait jours de son droit à la déconnexion doivent être définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, ces modalités doivent être conformes à la charte précitée.
Ainsi, toutes les entreprises qui comptent dans leurs effectifs des salariés aux forfaits jours doivent établir les modalités du droit à la déconnexion, y compris celles qui ne sont pas soumises à l’obligation de négocier et celles comptant moins de 50 salariés.

Mesures à prendre : inciter ou forcer à la déconnexion ?

Le panel de mesures qui peut être mis en œuvre afin d’assurer ce droit à la déconnexion s’articule autour de 3 grandes catégories, plus ou moins coercitives :
- la simple affirmation d’un droit : il peut être érigé en principe que chaque salarié veillera à se déconnecter et à ne pas envoyer de courriel en dehors des heures habituelles de travail. Le salarié est alors en mesure de se prévaloir de ce droit et l’employeur, empêché de reprocher à son salarié de ne pas s’être connecté en-dehors de ses horaires de travail ;

- l’obligation de déconnexion : il peut être instauré une obligation pour les salariés de ne pas envoyer de mails pendant leurs congés, un arrêt de travail, etc. De même, il peut être interdit, de répondre aux mails adressés à un collaborateur dans une telle situation ou envoyés par un collaborateur dans une telle situation. Dans ce cadre, des sanctions pourraient être envisagées envers le salarié qui ne respecte pas cette obligation ;

- la déconnexion technique forcée : des programmes informatiques automatiques peuvent inviter l’expéditeur au-delà d’une certaine heure à placer le courriel dans sa boîte « brouillons » en attendant le lendemain matin, supprimant les mails reçus pendant les congés après avoir prévenu l’expéditeur ou bloquant les serveurs des smartphones professionnels le soir, la nuit et le week-end. Ces solutions radicales ont le mérite de ne souffrir d’aucune ambiguïté quant à l’effectivité de la déconnexion. Par contre, elles sont parfois difficilement compatibles avec le fonctionnement de l’entreprise, notamment s’agissant d’entreprises travaillant à l’international et donc assujettie à la problématique du décalage horaire.
La difficulté en la matière est de même nature que celle rencontrée avec des enfants accros aux jeux vidéos. L’incitation est rarement suffisante et la contrainte souvent nécessaire. Afin d’être pleinement efficace, il semble donc qu’a minima, les employeurs devront retenir la deuxième catégorie de mesures.

Pour conclure, il convient de s’interroger sur les possibles effets pervers de ce droit à la déconnexion dès lors qu’il peut se révéler contraire à ses objectifs en signifiant une perte d’autonomie pour le salarié. De nouvelles organisations plus souples, permettant de concilier plus aisément la vie familiale et les contraintes professionnelles, sont en effet nées de la possibilité de connexion à distance.
Cette simple réflexion permet de réaliser que la problématique de la (dé)connexion n’est pas prête de s’éteindre …

FOCUS SUR LE DROIT À LA DÉCONNEXION DANS LES BRANCHES PROFESSIONNELLES

Certaines branches professionnelles avaient déjà pris en compte le droit à la déconnexion avant la loi dite El Khomri.
C’est le cas de la branche des bureaux d’étude, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, dite SYNTEC ou de celle des hôtels, cafés et restaurants.

Pauline MALGRAS
Avocat
Cabinet Capstan

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