Une vie de cinéma

Une vie de cinéma

L’âge n’a aucune prise sur la critique d’art Caroline Boudet-Lefort qui à 87 ans continue, avec une passion intacte, d’aller voir des films et d’écrire des articles pendant le Festival de Cannes.

Sourire discret, yeux rieurs, elle arpente les allées du Palais des festivals de Cannes pour aller à la rencontre des œuvres sur grand écran depuis 1975. Le reste, les stars, les marches, le tapis rouge et les soirées, cela ne l’a jamais attirée. «  Au Festival de Cannes, ce ne sont pas les paillettes qui m’intéresse ». Sa passion pour le cinéma remonte à ses jeunes années parisiennes et s’est poursuivie sur la Côte d’Azur, à Antibes, où elle a emménagé en 1974. Quelques mois plus tard, elle découvre son premier Festival : « J’étais arrivée à l’automne de Paris et un jour, sur ma terrasse, j’entends dire aux infos que c’est l’ouverture du Festival de Cannes. Je me suis dit, je vais aller voir comment ça se passe. Je suis allée à l’office du tourisme pour leur demander comment on pouvait aller au Festival. Ils m’ont dit d’aller à côté, au Palais. Sur les marches, il y avait beaucoup de gens qui attendaient, certains avec leur invitation. Et puis j’ai été portée par la foule… Je me retrouve devant un contrôleur et je lui dis : Je viens juste pour demander des renseignements, je ne viens pas pour voir un film. J’avais l’air tellement sincère -et je l’étais- qu’il a crié à son collègue : laisse-la passer, c’est une copine ! Je me suis ensuite retrouvée dans la salle, au milieu des hortensias, dans l’ancien Palais, et un haut-parleur a annoncé : le film d’ouverture, un Divorce heureux, d’Henning Carlsen. Moi j’étais en plein divorce, qui n’était pas du tout heureux… Mais cela m’a vraiment plu de voir un film d’ouverture au Festival ».

Astuces


Année après année, elle va ensuite se débrouiller pour obtenir le précieux sésame. « Je ne sais plus comment j’ai fait pour être accréditée... Je crois que c’est grâce à un ami qui était dans la publicité et qui écrivait une lettre. Ensuite j’allais au Palais, de service en service, et je devais avoir un petit air gentil parce qu’à chaque fois ils me disaient que ce n’était pas très logique mais comme je leur affirmais que je n’irais pas aux soirées, j’étais accréditée. Cela a été vraiment très foireux pendant longtemps mes accréditations, il faut bien le dire  », se souvient-elle en rigolant. «  Il fallait trouver des astuces pour aller voir les films. Maintenant, c’est tout à fait différent, tout se fait sur le téléphone portable ». Elle a pourtant un smartphone mais elle ne s’en sert pas. «  Je ne sais pas me servir du portable, cela me casse les pieds mais il faudrait que je m’y mette ». Elle regrette cette période de débrouille. « Aujourd’hui c’est très hiérarchisé le Festival de Cannes. Moi j’ai le bas de gamme de la presse, je suis ‘jaune’. Pendant quelques années j’étais ‘bleue’. ‘Blanc’ c’est vraiment quelques exceptions, et ‘rose’ c’est déjà vraiment très bien, c’est prioritaire. Moi je suis souvent sur liste d’attente, je ne peux pas m’organiser comme avant  ». Caroline Boudert-Lefort, aujourd’hui chroniqueuse culture pour le site Art Côte d’Azur et l’hebdomadaire Les Petites Affiches, n’a pas écrit tout de suite sur le Festival. Enquêtrice, surtout pour l’IFOP, quand elle était à Paris, elle est devenue thérapeute de couple et psychanalyste à Antibes après avoir suivi une formation. «  J’ai toujours une patiente », confie-t-elle.

Gymnastique

Elle s’est convertie à la critique d’art, d’abord pour Scènes d’Azur puis d’autres titres, nombreux, et elle continue parce que « ça (lui) plaît  » et « parce que les neurones ont besoin de faire de la gymnastique. Certains jouent au Scrabble ou font des mots croisés moi je me suis dit que c’était mieux d’écrire des articles. (…) Les montées des marches, cela ne m’intéresse pas. Par contre, je vais aux conférences de presse ». Des souvenirs du Festival, elle en a beaucoup : d’une baie vitrée qui a cédé sous la pression de la foule pour assister à la projection d’un film de Wim Wenders à la tarte à la crème reçue en plein visage par Jean-Luc Godard, en 1985. Elle a très bien connu Freddy Buache, directeur de la cinémathèque suisse de 1951 à 1996, « très ami avec Godard et qui pendant longtemps a été le pape du Festival  ». Elle a également vécu cette période où les réalisateurs faisaient la promotion de leur film dans les rues de Cannes. « À l’époque il y avait deux grands cinémas rue d’Antibes et il y avait souvent le réalisateur qui disait ‘J’ai réalisé tel film, il va se jouer là, allez le voir’. Il racolait vraiment les passants dans la rue. Moi, toute contente, j’y allais ». Des décennies plus tard, les projections ont changé mais elle y va toujours.

Photo de Une : Caroline Boudet-Lefort au FIF 2022 DR

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