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Violences conjugales : au travail aussi, le droit est l’allié des victimes

Quelle attitude adopter quand on pense côtoyer une femme victime de violences conjugales ? Faut-il agir, quitte à s’immiscer dans la sphère privée ? Risque-t-on des représailles ou une accusation en diffamation ? Ces questions constituent souvent des freins à une intervention que la morale classe pourtant parmi nos devoirs. Dans le milieu de l’entreprise, ce type de blocage a un poids très important, qui accable souvent patrons et collègues.
Avocate et cofondatrice d’Harmonia Juris, un cabinet spécialisé dans le droit des affaires à Sophia Antipolis, Emilie Voiron veut chasser le doute de leur esprit. Oui, au travail aussi, il ne faut pas hésiter à aider une personne en détresse. Le droit est bien un allié de celles et ceux qui ont décidé de se bouger. Elle vient d’ailleurs de rédiger un guide* pour sensibiliser les employeurs et les salariés à cette problématique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à approfondir ce sujet des violences conjugales au point de produire ce guide ?

- Je suis avocate depuis 15 ans dans le droit du travail et j’ai rencontré, au cours de certains rendez-vous, des femmes de 30-35 ans victimes d’actes sexistes ou de harcèlement. J’ai été surprise de constater que, malgré leur niveau d’études et une certaine maturité, elles étaient incapables de réagir seules face à ce genre de situation. Elles avaient un besoin d’aide évident. Quand elles subissent des violences à leur domicile, les femmes vont tout de même travailler. Alors, le soutien peut venir de leurs collègues ou de leur employeur. J’ai d’ailleurs reçu des clients qui avaient l’intuition ou la certitude qu’une personne de leur entreprise était concernée par ce problème grave, mais elles se sentaient démunies. Elles avaient envie d’agir, mais avaient peur que ça les mène devant un tribunal ou à la perte de leur emploi. Cette peur est due à l’ignorance. Elles pensaient qu’elles n’avaient pas le droit de se mobiliser. C’est pourquoi j’ai décidé, avec le concours d’une stagiaire, de travailler sur le sujet, avec l’idée de voir comment le droit du travail permet à un employeur ou un salarié de se protéger s’il décide d’aider une victime.

Quel est le verdict de vos recherches ?

- Le Code du travail donne une légitimité à aider. Vous ne serez donc pas poursuivi pour dénonciation calomnieuse ou atteinte à la vie privée dès lors que l’action est motivée par la bonne foi et non par une intention de nuire. La volonté de ce guide, c’est bien de rassurer.

Concrètement, sans dévoiler tout le contenu du guide, quelle conduite avoir quand on souhaite aider ?

- Le droit donne par exemple à l’employeur la possibilité d’agir légalement sur le fondement de son obligation à prévenir les risques dans l’entreprise, d’assurer la sécurité physique et mentale de ses salariés. C’est une règle essentielle en droit du travail, qui a été maintes et maintes fois confirmée par la jurisprudence. De cette obligation peut découler le fait que le patron aide une employée en situation de danger, même si ce dernier vient de l’extérieur.
Les collègues de la victime qui veulent agir ont la possibilité de s’adresser au représentant du personnel, de saisir l’Inspection du travail voire le médecin du travail, qui peut faire un constat et le transmettre au procureur de la République. Tous ces moyens sont bien dans le Code du travail, qui est un levier à actionner. Autres options, informer la victime sur l’existence de numéros d’urgence ou l’accompagner auprès de la police ou de la gendarmerie pour qu’elle dépose une plainte. Le guide recense d’ailleurs les commissariats qui ont un service dédié à l’accueil des femmes ayant subi des violences conjugales.
Il rappelle aussi que tous les collaborateurs de l’entreprise peuvent s’appuyer légalement sur l’obligation d’assister une personne en danger. Et que pour les victimes, le contrat de travail est un atout indéniable, car il apporte des avantages.

Lesquels ?

- Il offre la possibilité de demander un logement de fonction ou social, mais aussi des formations éloignées, des mutations ou des avances sur salaire pour quitter le domicile conjugal. L’objectif est que la victime puisse s’extraire de la situation dangereuse et réfléchir sereinement aux démarches à accomplir, comme se rapprocher d’une association ou d’un avocat. Elle peut même démissionner et percevoir le chômage, car la loi a prévu des cas de démission légitime, dont les violences conjugales font partie.

À qui est destiné ce guide, comment va-t-il être utilisé ?

- Ce guide est d’abord un outil que je vais utiliser en me rendant dans les entreprises pour faire de la sensibilisation. En fonction des retours et des besoins que je vais observer, j’envisage de le mettre en ligne pour qu’il soit accessible au plus grand nombre. Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que mon travail de juriste en recueillant des informations et en leur donnant du sens. Ma démarche ne poursuit qu’un but : que les gens agissent.

Propos recueillis par Jean Prève
* Guide sur la protection des salariées victimes de violences conjugales

Photo de Une Me Voiron DR

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