Les bienfaits de l'Etat-pr

Les bienfaits de l’Etat-providence

L’Insee vient de publier ses statistiques sur les revenus des ménages français en 2010 : sans grande surprise, il apparaît que le niveau de vie a stagné. Sauf pour les titulaires de très hauts revenus. Un ensemble d’informations intéressantes pour éclairer le débat public sur l’imposition et la politique de transferts.

Vous souvenez-vous de votre année 2010 ? Sur le plan économique, s’entend. L’exercice fut marqué par un rebond du PIB, après deux années consécutives plutôt « pourries », en phase avec le déclenchement d’une crise qui dure encore. Pour nous rafraîchir la mémoire, l’Insee vient de livrer sa traditionnelle étude [1] sur les revenus et le patrimoine des ménages : si le millésime 2010 n’a pas été brillant pour la majorité de la population, en termes de niveau de vie, il pourrait bien se révéler avoir été sensiblement plus confortable que l’année en cours, voire les années à venir. Car l’analyse de l’Insee relève les raisons qui ont conduit à la stagnation du niveau de vie, ou à sa baisse prononcée pour les catégories les plus défavorisées (les trois premiers déciles, c’est-à-dire les 30% de la population disposant des ressources les plus faibles) : la valorisation des revenus, notamment des salaires, a été érodée par l’augmentation de la pression fiscale et le ralentissement des transferts sociaux. Un scénario qui se poursuit aujourd’hui et qui s’est même accéléré sur les derniers mois.

Encore faut-il noter, dans l’étude en cause, que la stagnation du revenu reflète la moyenne. Dans les faits, toutes les catégories régressent, sauf les 5% de ménages les plus aisés, dont les ressources s’accroissent fortement, principalement sous l’effet des revenus du patrimoine. La concentration des revenus et de la richesse se poursuit donc avec constance. En témoigne le coefficient de Gini, qui étalonne les inégalités dans la distribution des revenus : il s’établit à 0,299 (0 étant l’égalité parfaite, 1 l’inégalité absolue). C’est beaucoup plus que les années précédentes, mais un peu moins que la moyenne européenne (0,307), où s’observe également un phénomène général de concentration : les Etats les plus inégalitaires étant le Royaume Uni, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et la Lettonie (0,340 en moyenne), et les plus « partageux » regroupant la Slovénie, la Suède et la République tchèque (moins de 0,250) ; l’Allemagne maintient sa position (autour de 0,280) avec une constance toute teutonne.

Des transferts indispensables

Ce qui surprend toujours, dans les recensements de la richesse des Français, c’est la relative modicité des revenus du plus grand nombre. Précisons d’abord la règle de calcul du niveau de vie selon l’Insee : il s’agit de l’ensemble des revenus, du travail et du patrimoine, majoré des transferts sociaux et minorés des impôts, le tout ramené à l’unité de consommation (UC : 1 pour le premier adulte ; 0,5 pour chacun des suivants ; 0,3 pour les enfants de moins de 15 ans). Sur l’année de référence, le niveau de vie médian s’établit à 19 270 euros, c’est-à-dire que la moitié de la population se trouve au-dessous de ce montant. Les 10% de ménages les plus riches disposent d’au moins le double du seuil précédent ; les 1% classés dans les « très hauts revenus » gagnent plus de 89 400 euros (par UC, toujours). Les « plus aisés » appartiennent au dernier centile (les 0,01%) et sont crédités de plus de 755 500 euros - un niveau d’aisance incontestable. A l’autre bout de la distribution se trouvent 8,6 millions de personnes dans la « pauvreté monétaire » (disposant de moins de 60% du revenu médian), soit 14,1% de la population (13,5% en 2009).

Les seuls qui aient vraiment tiré leur épingle du jeu sur l’année 2010, en termes de niveau de vie, sont les derniers 0,01% de très hauts revenus – qui avaient été les plus touchés les deux années précédentes, dans les premiers développements de la crise. Le phénomène est parfaitement explicable par les pratiques qui se sont accentuées depuis lors : une meilleure rémunération du top-management et une grande générosité dans la distribution de dividendes. Tout au plus peut-on observer que l’amélioration du statut d’un seul nanti s’accompagne de la naissance de 16 nouveaux pauvres –venant s’ajouter à un effectif déjà nombreux. La croissance géométrique de l’appauvrissement, par rapport aux « performances » de l’élite des affaires, constitue un démenti à cette règle du dogme néolibéral, selon laquelle l’enrichissement de quelques uns profite à tout le monde. Les statistiques de 2010 tendraient à démontrer l’exact contraire : l’enrichissement de quelques uns nécessiterait plutôt l’appauvrissement de beaucoup d’autres.

Il n’est donc pas étonnant que la problématique de la redistribution soit aussi âprement discutée dans la sphère politique, où elle se heurte à une double contrainte : la misère budgétaire, d’une part, qui interdit toute générosité publique en matière de transferts ; la concurrence fiscale entre Etats, d’autre part, qui limite les velléités d’alourdissement de l’impôt sur le revenu des particuliers et sur le bénéfice des entreprises. Priorité étant accordée au désendettement, les marges de manœuvre sont ainsi inexistantes. L’Insee note à juste titre que l’accroissement des inégalités a été amorti par les transferts résultant de notre système de protection sociale. Par comparaison, la situation des Américains ou des Anglais défavorisés est beaucoup plus douloureuse. Pourtant, agences de notation et organismes internationaux ne cessent de recommander à notre pays de sabrer dans les dépenses sociales. Ce qui est paradoxal, sinon inconséquent. Car le capitalisme libéral génère inévitablement des inégalités : pour maintenir la cohésion sociale, il lui est donc nécessaire d’actionner l’Etat-providence. Sacrifier ce dernier, c’est se tirer une balle dans le pied.

[1Accessible dans son intégralité sur www.insee.fr

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