21/03 Journée Justice (...)

21/03 Journée Justice Morte : Discours de Roland Rodriguez Bâtonnier au Barreau de Grasse

Forte mobilisation ce matin sur les marches du Palais de justice de Grasse : les Avocats étaient venus nombreux pour faire entendre leurs voix. Cette "journée justice morte" était organisée par l’ensemble des barreaux de France le même jour et à la même heure. Ils protestent contre le projet de loi de programmation de la justice. Ci-dessous le discours prononcé par le Roland Rodriguez Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau de Grasse.

"Madame et Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs,
Les Avocats du Barreau de GRASSE ont décidé de se joindre localement à la journée « Justice Morte » du 21 Mars 2018, à l’appel du Conseil National des Barreaux.

Les désignations ordinales sont annulées aujourd’hui.
Tous les dossiers appelés font l’objet de renvois systématiques.

C’est aujourd’hui que Madame le Garde des Sceaux dépose devant le Conseil d’Etat son projet de loi de programmation pour la Justice, issu des rapports dits « Chantiers de la Justice », qui prévoit une large réforme dans de nombreuses matières.

Ce texte nous a été transmis il y a seulement 10 jours ; il comporte 60 articles.
Il est regrettable que la ministre de la Justice ne respecte pas le principe essentiel du contradictoire et ne laisse pas un délai raisonnable à l’ensemble des acteurs concernés pour analyser le texte et faire valoir leurs arguments.

De plus de nombreuses mesures restent peu détaillées puisqu’un certain nombre de réformes envisagées auront lieu par ordonnance ou par décret, et donc hors du champ du débat parlementaire.
Nous restons donc à ce jour dans l’ignorance d’un certain nombre de détails pourtant fondamentaux pour envisager ce que sera la justice de demain.

Cette méthode démontre la volonté évidente des Pouvoirs Publics de faire passer à marche forcée la réforme sans réelle concertation avec l’ensemble des acteurs de justice.

Concernant la départementalisation des juridictions de première instance

Le gouvernement a renoncé à instituer la départementalisation automatique des juridictions de première instance tel que cela était envisagé dans les rapports « Chantiers de la Justice ». ?Mais ce recul n’en est pas un.

En effet, le texte déposé aujourd’hui au Conseil d’Etat, prévoit toujours la possibilité d’une concentration des contentieux au sein d’un seul tribunal au niveau départemental.
En clair, si le texte de loi est adopté en l’état, le gouvernement pourra, par simple décret désigner le Tribunal de Grande Instance de NICE comme Tribunal départemental, concentrant dans les Alpes Maritimes un certain nombre de contentieux, dont la liste doit aussi être arrêtée par décret !

La crainte d’une dévitalisation du Tribunal de Grande Instance de Grasse par simple décret est donc toujours d’actualité.

Notre arrondissement judiciaire compte plus d’habitants que l’arrondissement judiciaire de NICE. En dehors de la spécificité frontalière du ressort de NICE, les juridictions de NICE et de GRASSE ont une activité similaire, un nombre de magistrats du siège et du parquet équivalent.

Les Avocats du Barreau de GRASSE refusent que le Tribunal de Grande Instance de GRASSE, dont l’activité le classe en 19ème position sur les 160 Tribunaux de Grande Instance, ne soit vidé de sa substance au détour d’un décret publié en catimini.

Concernant la disparition des Tribunaux d’Instance

Le projet de loi, acte la disparition des Tribunaux d’Instance dans leur forme actuelle.
Le projet d’une création de chambres détachées des Tribunaux de Grande Instance dans les locaux des actuels Tribunaux d’Instance reste flou.
Le périmètre de ces chambres détachées reste très incertain puisque là encore le gouvernement veut procéder par ordonnances et avance masqué.

Bien qu’elle s’en défende, Madame BELLOUBET met en place la dévitalisation des lieux de justice, et acte la fin de la justice dite de proximité, alors même que celle-ci est au service des plus faibles.

Concernant la déjudiciarisation

Le Conseil National des Barreaux a obtenu in extremis, en fin de semaine dernière, le retrait de la déjudiciarisation des procédures de saisies immobilières.
Madame BELLOUBET n’hésitait pas à envisager que la procédure de saisie immobilière soit retirée aux magistrats, pourtant garants des libertés fondamentale, au rang desquelles figure le droit de propriété.

Pour autant le texte envisagé prévoit toujours une large déjudiciarisation des procédures.
A titre d’exemple, la délivrance des décisions fixant les pensions alimentaires relèverait des directeurs des Caisses d’Allocations Familiales, qui sont, dois-je le rappeler des organismes privés.

Serait institué un préalable obligatoire de conciliation avant toute procédure, ouvertement confié à des plateformes numériques.

Les audiences physiques disparaitraient dans de nombreux cas, ne permettant plus au justiciable de rencontrer son juge.

Madame BELLOUBET révèle son objectif final dans la mesure consistant à instituer une juridiction nationale avec procédure totalement dématérialisé pour le traitement des injonctions de payer.

C’est cela qui attend les justiciables si nous ne mettons pas un terme à ce processus : une justice lointaine, automatisé, numérisé, déshumanisé.

Sous prétexte de rationalité, on éloigne le juge du citoyen.
Sous prétexte de simplification, on fait reculer les droits de la défense en matière pénale.
Sous prétexte de modernisation, on prive le citoyen de la possibilité de saisir son juge.
Sous prétexte d’efficacité, on écarte l’Avocat au profit d’opérateurs privés dépourvus de garanties.
Sous prétexte de célérité, on empêche le justiciable de rencontrer son juge.

Au prétexte de « recentrer le juge sur ses missions essentielles », on le décharge de toutes ses missions, on lui empêche de dire le droit alors même que cette mission est un pilier de la vie dans une société démocratique.

Il ne s’agit pas de rendre mieux la Justice
Il ne s’agit pas de rendre plus rapidement la Justice.
Il s’agit en fait de ne plus la rendre.

Madame BELLOUBET est en train d’inventer la justice sans juge, la justice sans avocat … et si possible la justice sans justiciable.

La raison en est simple : l’Etat ne veut plus assumer sa mission régalienne de justice civile pour des raisons strictement budgétaire.

La France fait partie des pays européens les plus mal notés en termes de moyens donnés au système judiciaire : 22ème sur 28 pour la part de budget consacré à la Justice, 24ème sur 28 pour le nombre de magistrats par habitants.
La France y consacre 70 euros par an et par habitants quand l’Allemagne en dépense 150.

Nous exigeons que la question des moyens alloués au système judiciaire soit mis au cœur du projet.
Nous exigeons que l’intérêt du justiciable et de l’humain passe avant la question de la gestion des flux et des stocks.

Les Avocats du Barreau de Grasse refusent le démantèlement annoncé du maillage territorial judiciaire par décret.
Ils refusent une déjudiciarisation massive et une privatisation de la justice, dictées par une approche purement budgétaire et bureaucratique, sous couvert de simplification et de modernisation.

Les Avocats du Barreau de Grasse exigent la mise en place d’une véritable concertation avec l’ensemble des acteurs concernés et demandent la communication des projets d’ordonnances et de décrets envisagés.

Le 15 février dernier, nous lancions à Madame la Ministre un avertissement sans frais. Elle ne l’a manifestement pas entendu.? Aujourd’hui, nous bloquons les audiences. C’est une mise en demeure.

Madame BELLOUBET doit cesser de procéder à des déclarations qui sont en contradiction avec les textes qu’elle propose et qui visent au démantèlement de la justice. A défaut, c’est elle et elle seule qui sera responsable du blocage du système qui se prépare".

Le Barreau de GRASSE est le 15ème Barreau de France
Il compte 640 Avocats répartis sur l’ensemble du ressort judiciaire du tribunal de Grande Instance de GRASSE (entre Théoule sur Mer et Saint Laurent du Var)

Photo de Une : le Bâtonnier de Grasse Roland Rodriguez et le Maire Jérome Viaud lors de la première mobilisation nationale du 15 février 2018 (Photo DR CH)

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