Discours d'Antoine BOUQUEM

Discours d’Antoine BOUQUEMONT, Rapporteur général du 114ème Congrès des Notaires de France

Le Congrès des Notaires de France se déroule à Cannes du 27 au 30 mai 2018 sur le thème « Demain le territoire ». Durant ces journées les thématiques de l’agriculture, l’énergie, la ville et le financement. Ci-dessous le discours d’Antoine BOUQUEMONT, Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France.

Discours d’Antoine BOUQUEMONT, Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France

Mesdames et Messieurs les Hautes Personnalités, Mes Chers Confrères, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Le thème conçu par notre président Emmanuel Clerget est universel.
Il nous concerne tous, quel que soit notre propre territoire.
Et il nous concerne à double titre : en qualité de juriste, mais également, en qualité de citoyens.
Il nous rattache au réel et éveille nos consciences, à l’heure où notre environnement numérique envahit, toujours davantage nos vies.
En 2004, Edgar Morin écrivait, en point d’orgue de sa grande œuvre :
« A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. ».
L’essentiel, ce sont précisément les valeurs fondamentales qui transcendent nos travaux, à l’étude desquels notre congrès vous convie, trois jours durant.
L’urgence, c’est la protection de l’environnement, la cohésion des territoires et la solidarité entre leurs habitants.

Nous assistons depuis quelques années à une prise de conscience collective, qui s’amplifie, de la nécessité de changer nos modes de vie et nos façons de consommer.
D’abord, notre façon individuelle de consommer les choses du quotidien. Nous les souhaitons plus durables, respectueuses de l’environnement, dans leur conception et leur évolution. C’est le cas de notre alimentation, de nos installations d’énergie et de nos logements.
Ensuite, notre façon collective de consommer l’espace, qu’il soit agricole, forestier ou urbain. La préservation de nos terres, et, son corollaire, la densification urbaine, constituent sans aucun doute les plus grands défis à relever, demain.
Enfin, la construction d’un territoire harmonieux ne se conçoit que dans le respect des altérités de chacun.
Il nécessite également un projet de société global.
Il convient d’instaurer un dialogue permanent entre la ville et la campagne, qui ont besoin l’une de l’autre et ne constituent, finalement, que les deux faces d’une même médaille.

« Transformer nos vies et nos modes d’organisation. Telle est la nature de notre avenir.  ». Telle est l’ambition de nos propositions.

A la veille d’une nouvelle loi foncière agricole, Guillaume Lorisson et Rachel Dupuis-Bernard vous présenteront cet après-midi, cinq propositions réformant en profondeur notre droit rural.
La plupart des outils qui régissent actuellement la matière ont été élaborés au lendemain de la seconde guerre mondiale, autour du modèle de l’agriculture familiale.
Cette politique, fondée sur une multitude de petites exploitations, a permis d’assurer notre indépendance alimentaire.
S’il convient toujours de nourrir les hommes en quantité suffisante, les enjeux de l’agriculture ont considérablement évolué.

Outre la nécessité d’assurer la pérennité de leurs exploitations, nos agriculteurs ont désormais les nobles taches de participer à la transition énergétique, de faire vivre les territoires ruraux, sans oublier de protéger la biodiversité.
La réforme que nous vous proposons s’articule autour de trois axes :
l’activité agricole ;
le modèle d’exploitation ;
et la régulation de l’accès à la terre.

Concernant l’activité, la mission économique de production alimentaire ne permet plus à l’ensemble de nos agriculteurs de vivre décemment.
Pour cette raison, nous vous proposerons de faire évoluer la définition de l’activité agricole, afin d’y inclure les nouvelles missions sociales et environnementales des exploitants.
Au fond, il s’agit simplement de permettre à ceux qui nous nourrissent, d’adapter leurs entreprises aux défis qu’ils sont sommés de relever, sans risquer la remise en cause de leur statut.
Notamment en produisant de l’énergie renouvelable et en développant le tourisme rural.
Nous vous inviterons ensuite à réfléchir à de nouveaux modèles d’exploitation.
Vous aurez d’abord à vous prononcer sur l’opportunité d’offrir à nos agriculteurs, la faculté de recourir plus largement à des capitaux extérieurs pour le portage du foncier.
Le modèle familial a atteint ses limites.
La plupart des exploitants n’ont plus la capacité financière d’investir à la fois dans les terres et dans leurs outils de production.
C’est pourquoi nous proposerons de moderniser le GFA et le droit de préemption du preneur.
Dans un souci d’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts privés, les mesures proposées seront conditionnées à la préservation de l’usage agricole des terres à long terme.
Notre réflexion se poursuivra avec la suppression du principe d’incessibilité des baux ruraux.
Le statut du fermage constitue, encore aujourd’hui, le cadre juridique par excellence, permettant aux agriculteurs d’accéder à l’usage de la terre.
75 % de la surface agricole est exploitée en vertu d’un bail rural.
Si le statut a légèrement évolué, avec la création du bail cessible hors cadre familial en 2006, le principe d’incessibilité des baux est devenu anachronique.
D’abord, parce que les baux se cèdent, avec la complaisance des bailleurs, par le versement de pas-de-porte pourtant illicites.
Ensuite, parce que plus du tiers des nouvelles installations s’effectuent désormais hors du cadre familial.
Enfin et surtout, parce que le développement de l’entreprise agricole exige qu’elle regroupe tous les actifs, corporels et incorporels, et notamment le titre juridique permettant aux agriculteurs d’exploiter, à savoir, le droit au bail lui-même.
Pour clore l’après-midi, nous vous proposerons de réfléchir à la transformation des modes de régulation de l’accès aux terres agricoles.
Le droit d’exploiter est actuellement assuré par le contrôle des structures.
Cette législation, basée uniquement sur des critères de compétence et de superficie, est décorrélée des enjeux actuels liés à transition agroécologique.
Quant aux SAFER…
Malgré l’augmentation considérable de leurs missions, elles préemptent peu, redistribuent peu la terre, mais en régule de plus en plus l’usage, en insérant systématiquement un cahier des charges dans les mutations immobilières qu’elles contrôlent.
C’est pourquoi nous vous proposerons de fusionner ces deux structures au sein d’un établissement unique, chargé de veiller à la fois à l’appropriation et à l’usage des terres.
Car si les modes actuels de régulation ne sont plus adaptés, il est un fait certain : la terre est une chose bien trop fondamentale pour être abandonnée aux seules forces du marché.

Aux termes de cette première demi-journée, nous n’aurons pas simplement débattu de l’évolution de textes de lois, mais bel et bien de l’avenir de l’agriculture.
Et nous nous réjouissons de pouvoir échanger avec vous et les principaux acteurs du monde agricole, dont je salue la présence.
Les défis à relever en matière de transition énergétique sont également immenses.
Nous avons la chance de profiter, partout sur notre territoire, d’une forêt remarquable, par son étendue et sa biodiversité.
Mais cette forêt est morcelée, ce qui entraîne une sous-exploitation des bois.
Nous bénéficions également, grâce à notre situation géographique privilégiée, de sources d’énergies renouvelables inépuisables, telles que l’eau, le soleil et le vent.
Mais nous déjà accumulé un retard considérable par rapport à certains de nos voisins européens.
Si la volonté politique d’améliorer la gestion durable de la forêt et de développer les énergies renouvelables est incontestable, les outils juridiques actuels sont insuffisants, lorsqu’ils ne sont pas inefficaces.
Les cinq propositions qui vous seront présentées mardi matin par Antoine Gence et Éric Meiller poursuivent un double objectif : améliorer durablement l’exploitation de nos bois et forêts, et accélérer la transition énergétique.
La première mesure concernant la forêt vise à simplifier le regroupement des petites parcelles, et à confier cette politique à un organisme unique.
D’abord, en fusionnant les différents droits de priorité forestiers.
Ensuite, en permettant aux propriétaires de petites parcelles de bois, ne souhaitant ni les gérer, ni les conserver, de s’en séparer.
Enfin, en facilitant la mise en œuvre de la procédure des biens sans maître.
La refonte de l’usufruit des bois et forêt participe également à l’amélioration de la gestion durable.
Les articles du Code civil régissant la matière n’ont pas été modifié depuis 1804, alors que les méthodes de sylviculture ont beaucoup changé.
Les charges liées à l’entretien de la forêt se sont considérablement accrues, sans que le législateur ne détermine à qui elles incombent.
Une refonte des textes permettra de pallier ces carences.
Enfin, il n’existe aujourd’hui qu’un mode d’exploitation possible pour les bois et forêts : le faire valoir direct.
Or, la gestion durable est une obligation qui s’impose à tous les propriétaires forestiers et tous n’ont une âme de sylviculteur.
Les propriétaires privés peuvent bien entendu se faire assister par un expert forestier.
Mais ils restent responsables des décisions de gestion.
La mise en place d’un bail forestier permettra d’améliorer l’exploitation des forêts, en transférant notamment l’obligation de gestion durable au preneur.
La transition énergétique est devenue l’affaire de tous : professionnels et particuliers.
Son développement passe, selon nous, par la mise en place de garanties fortes lors de l’installation d’énergies renouvelables.

Ainsi, la création d’un fonds de garantie, destiné au démantèlement des grandes éoliennes en fin de vie, est de nature à lever certains freins liés aux réticences des propriétaires et du voisinage.
La création d’un contrat d’ordre public d’installation d’énergie renouvelable pour les particuliers est également indispensable.
L’accélération de la transition énergétique domestique nécessite un cadre sécurisé, comprenant notamment une garantie de production minimale.
Cette mutation nécessite également une diminution importante de notre consommation énergétique.
A l’avenir, nos cités devront être économes.
Mais les enjeux de la ville de demain ne se limitent pas à la sobriété énergétique.
Partout, il est question de villes intelligentes, de villes durables et de villes vertes.

Des projets innovants voient le jour aux quatre coins de notre territoire.
La construction d’immeubles évolutifs, la surélévation des bâtiments et la végétalisation font désormais partie de notre quotidien.
Et tous ces phénomènes s’accélèrent.
Ils emportent avec eux une multitude de défis juridiques à relever.
Mardi après-midi, Christophe Sardot et Antoine Teitgen vous inviterons à bâtir la ville de demain, à travers cinq propositions.
Deux d’entre elles concernent la transition écologique.
En premier lieu, l’agriculture urbaine.
Il ne s’agit pas d’un simple phénomène de mode.
Les pratiques culturales innovantes permettent de produire des aliments en quantité étonnante.
L’application impérative du statut du fermage freine néanmoins son développement.
Nous vous proposerons donc d’y déroger pour les conventions portant sur les immeubles situés en zone urbaine.
La rénovation énergétique des bâtiments est également un objectif majeur.
Jugée très efficace, l’isolation des bâtiments par l’extérieur est parfois délicate à réaliser, lorsque le bâtiment est édifié en limite de propriété.
L’accord du propriétaire voisin est en effet indispensable pour réaliser les travaux.
La création d’une servitude légale d’isolation par l’extérieur constitue selon nous, une solution équilibrée au regard des enjeux.
Elle sera soumise à votre appréciation.
Deux mesures concernant la densification vous seront également exposées.
Dans un premier temps, nous vous soumettrons une proposition permettant de libérer des terrains à bâtir, en clarifiant les règles de caducité des cahiers des charges dans les lotissements.

Ensuite, nous vous proposerons d’améliorer la prévention des recours contre les autorisations d’urbanisme.
Le projet de loi ELAN prône un raccourcissement salutaire du temps judiciaire.

Mais il passe curieusement sous silence, notamment le fait qu’une demande d’aide juridictionnelle interrompe le délai de recours, sans que l’auteur ni le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanise n’en soit informé.

Nous vous proposerons d’amender ce texte.

Les documents de planification doivent se mettre à l’heure des nouvelles technologies.

C’est pourquoi, nous vous inviterons, en fin d’après-midi, à promouvoir l’urbanisme tridimensionnel.

Toutes les mutations que nous venons d’évoquer dans les trois premières commissions doivent être financées.

Qu’il s’agisse d’aides financières ou de fiscalité, les politiques publiques influencent nos comportements et façonnent nos territoires depuis des décennies.

Ainsi, la politique agricole commune a d’abord favorisé l’augmentation des terres arables au détriment des haies et des mares.
Aujourd’hui les aides européennes favorisent au contraire les méthodes culturales permettant de restaurer la biodiversité.

L’augmentation de la surface de la forêt et le développement de sa gestion durable sont en grande partie dus au régime fiscal de faveur « Monichon ».

Le développement des énergies renouvelables est soutenu par les obligations d’achat imposées à EDF et les compléments de rémunération versés aux producteurs d’électricité verte.

La construction de logements neufs bénéficie quant à elle de dispositifs de défiscalisation qui se succèdent depuis plus de vingt ans.

Mais de nombreux régimes sont inadaptés, trop complexes ou inefficaces.

Mercredi matin, Christophe Le Guyader et Marie-Lore Treffot vous soumettrons cinq propositions, permettant à la fois d’améliorer des dispositifs existants en matière agricole, et d’instaurer des dispositifs innovants en faveur de la transition écologique.

Trois propositions concerneront l’agriculture, de la naissance de l’exploitation à sa transmission.

L’objectif de la première mesure est l’aménagement de la fiscalité des pas de porte en agriculture.

La somme versée à ce titre lors de la conclusion d’un bail cessible hors cadre familial constitue un supplément de loyer, imposable en totalité l’année de son encaissement.

Cette solution est un frein au développement des baux cessibles, dont la généralisation sera d’ailleurs proposée par la première commission.

Nous souhaitons que le bailleur ait la possibilité d’étaler cette imposition pendant toute la durée du bail initial.

Le pas de porte doit par ailleurs être qualifié d’indemnité de dépréciation non imposable, lorsque le bail est soumis à des conditions permettant de préserver l’usage agricole des terres à long terme.

Nous soumettrons ensuite à vos votes, la création d’une réserve faiblement imposée pour les entreprises agricoles soumises à l’impôt sur le revenu.

Pour parachever ce volet agricole, nous vous proposerons d’aligner l’exonération des baux ruraux à long terme sur celle de la loi Dutreil, et d’instaurer une exonération totale de droits de mutation à titre gratuit pour le portage vertueux en agriculture.

Dans le cadre de la transition écologique, nous débattrons, mardi après-midi de la création d’une servitude légale d’isolation par l’extérieur.

Pour favoriser encore davantage la rénovation énergétique, nous mettrons aux voix l’instauration d’un crédit d’impôt conséquent, conditionné à une rénovation thermique globale, réalisée dans les deux ans de l’acquisition d’un logement.

Enfin, nous vous proposerons de promouvoir l’obligation réelle environnementale grâce à un régime fiscal de faveur, afin d’encourager la protection de la biodiversité.

Quatre commissions.

Vingt propositions.

Un défi : bâtir ensemble le territoire de demain.
Mon Cher Emmanuel, ce fut un véritable honneur de travailler à tes cotés pendant deux ans.

Car à l’image du thème que tu as choisi, tu véhicules des valeurs essentielles.

Ce sont des hommes et des femmes tels que toi qui permettent au monde d’être meilleur.

Florence, Victoire Mahaut et toi avez été mes quatre piliers durant ces deux années.

Hubert, ton charisme a éclairé nos travaux.

Quant à vous, mes chers rapporteurs. Vous avez effectué un travail formidable avec l’abnégation et le courage que requiert un congrès

Je suis fier de vous.

Au commencement de l’aventure, l’équipe du 114ème Congrès des notaires de France ne savait pas que c’était impossible.
Alors, elle l’a fait !
Merci.

Photo de Une : Antoine BOUQUEMONT Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France (DR et Courtesy Congrès des Notaires)

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