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Justice administrative - Au cœur de la médiation, rencontre avec Amaury Lenoir 

Entretien avec Amaury Lenoir, chargé de médiation au tribunal administratif de Nice, il est également délégué national à la médiation pour les juridictions administratives (Conseil d’Etat), médiateur et membre du conseil national de la médiation. Il estime que pour aller plus loin, il faudra plus de moyens. Avec une nécessaire professionnalisation des médiateurs et prescripteurs de médiation.

De quelle médiation parle-t-on ?

Amaury Lenoir : "la médiation est un outil précieux" ©S.G


- Dans notre cas, il s’agit de la médiation administrative en phase juridictionnelle. La médiation est protéiforme : il y a la médiation sociale, familiale, commerciale, culturelle, managériale, juridictionnelle, institutionnelle, territoriale… C’est un peu une boule à facettes avec des spécificités derrière chaque facette. Au cœur, c’est le même esprit : permettre à plusieurs entités, soit dans une approche gestion de conflit, de résoudre ou de prévenir un litige, soit dans une approche sociale, de créer ou de recréer du lien social. Il s’agit de faire intervenir un tiers neutre, indépendant, impartial, compétent et soumis à un certain nombre de règles éthiques et déontologiques pour accompagner et aider les parties à trouver une solution au conflit qui les oppose.
La médiation au niveau judiciaire s’est développée dans les années 90 mais exclusivement dans le champ des juridictions judiciaires.
Au niveau des juridictions administratives, on a d’abord été observateurs de ce qui se développait dans les juridictions judiciaires et au sein de certaines administrations et collectivités, avec le développement des dispositifs de médiation institutionnelle et territoriale. Un constat s’est progressivement imposé à nous : la médiation est un outil puissant de pacification des relations sociales, entre agents et employeurs publics, entre usagers ou allocataires et l’administration, entre les citoyens et les élus, etc. Ce mouvement a amené le législateur, dans les années 2010-2015, à réfléchir à l’opportunité de développer la médiation en phase juridictionnelle au niveau des juridictions administratives. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle instaurera, en outre, la médiation au sein de la juridiction administrative.

Où en est-on près de 10 ans plus tard ?

- On peut dire que les choses ont bien pris, on a fait de belles avancées, même s’il y a encore des acteurs réticents ou dubitatifs quant au développement de la médiation.
Ce n’est pas quelque chose qui s’impose comme une évidence, on vient bousculer des équilibres établis à tous les niveaux. Le médiateur doit encore faire sa place aujourd’hui, en respectant les autres acteurs du procès administratif (avocats, magistrats, experts, services juridiques, etc.). L’idée est de permettre aux acteurs concernés par ces litiges d’avoir différentes options et de pouvoir choisir de manière éclairée et intelligente l’approche la plus opportune, celle à même de leur apporter une solution globale, pérenne et sécurisée. Et puis comme pour beaucoup de choses, on peut avoir de bonnes idées, voire juste, mais il faut aussi des moyens : des textes, des règlements, des directives, mais aussi des ressources humaines et financières. Si on veut développer la médiation et exploiter son véritable potentiel, il faudrait miser un peu plus. Il y a un mouvement de professionnalisation qui est en cours et que j’appelle à se développer le plus possible, aussi bien au niveau des médiateurs que des prescripteurs de médiation. En outre, ce serait intéressant qu’au sein des juridictions administratives, il y ait des professionnels (agents de greffe, magistrats, aides à la décision, assistants du contentieux…) qui soient formés à la médiation administrative et mobilisés a minima sur un temps partiel, en qualité de « chargé de médiation » et / ou de « médiateur » pour professionnaliser nos dispositifs de médiation et proposer à l’ensemble des justiciables et des acteurs du procès administratif un véritable « service de médiation » : proposition, prescription, organisation et, éventuellement, exécution d’une mesure de médiation, le tout à titre gracieux.
Aujourd’hui l’accès au juge est gratuit, l’accès au médiateur institutionnel ou territorial l’est également, mais pas l’accès au médiateur judiciaire, sauf exceptions. C’est une vraie question.

L’un des arguments en faveur de la médiation est justement de dire que cela permet de gagner du temps et de l’argent, notamment en désengorgeant les tribunaux.

- C’était en effet une des motivations qui avait amené le législateur à lancer la médiation au niveau des juridictions administratives avec la loi du 18 novembre 2016, que nous venons d’évoquer.

Visuel d’illustration extrait de la Brochure "La médiation dans les litiges administratifs" - ©Conseil d’État

Nous constatons globalement une inflation régulière et importante de la masse contentieuse, bien que variable d’un territoire à l’autre, d’un domaine contentieux à l’autre. De façon très schématique on constate un doublement de la masse contentieuse tous les dix ou quinze ans. Or les moyens mis disposition des juridictions administratives pour assurer ses missions, eux, ne connaissent pas la même évolution. Il faut donc toujours faire plus et faire mieux, sans forcément avoir plus. Cela conduit nécessairement à faire autrement.
Avec la médiation, l’idée est de créer un circuit de dérivation pour trouver une réponse, une solution, non plus via une décision du juge, mais via un accord de médiation.
Dans certains litiges, la réponse en droit, celle du juge, n’est pas toujours la plus opportune ou la plus pérenne. Dans certaines situations, il est possible voire nécessaire d’envisager une issue alternative, tout en restant bien entendu dans le cadre de la légalité.
Avec la médiation, il n’y a pas de risque d’appel ou d’inexécution d’un jugement parce qu’il n’y a pas de décision qui vous est imposée et que la solution, l’accord issu de la médiation, a été co-construit par les parties elles-mêmes. Souvent, la médiation permet de trouver et de construire cette solution alternative et de rétablir la communication entre les acteurs concernés, ce qui permet de repartir sur de bonnes bases et de pacifier sur le moyen-long terme, les relations entre les protagonistes. Dans certains types de litiges, cette pacification et cet impact de fond, sur le long terme, est essentiel. C’est le cas par exemple en urbanisme avec les conflits de voisinage, dans la fonction publique avec les contentieux RH ou encore dans les marchés publics. Avec la médiation, on essaie de traiter la situation dans sa globalité et de rapprocher durablement les acteurs concernés. En cela, la médiation juridictionnelle n’est pas étrangère à la mission du juge administratif tant celle-ci ne se limite pas à rendre des décisions, mais à assurer la paix sociale.

Comment s’organise la médiation au niveau de la justice administrative ?

Le TA de Nice est situé au 18 avenue des Fleurs à Nice. ©S.G


- Il y a un ou plusieurs « référents médiation » au sein de chaque juridiction. Parfois c’est le chef de juridiction, un magistrat ou un agent de greffe. Cela peut être une personne seule mais c’est souvent un binôme composé d’un magistrat et d’un agent de greffe. Dans certaines juridictions, la référence médiation est portée par des équipes élargies et protéiformes composées de plusieurs magistrats et agents. On peut saluer tout le travail qui a été fait par ces référents. On a déjà fait beaucoup, on est parti de rien et aujourd’hui on a atteint le 1 % médiation, c’est-à-dire que 1 % des affaires enregistrées par les juridictions administratives font l’objet d’une orientation effective en médiation. Cela nous amène à environ 2 000 médiations ordonnées par le juge administratif par an. C’est beaucoup quand on part de rien et c’est également beaucoup lorsque l’on sait que les moyens mis à disposition des juridictions administratives n’ont pas été élargis pour assurer cette mission nouvelle.
Mais ce « 1 % médiation » n’est pas suffisant au regard du potentiel existant pour la médiation en phase juridictionnelle. Aujourd’hui, nous avons à peu près atteint les limites du système actuellement en place, aussi bien quantitativement que qualitativement, parce que ces magistrats et agents « référents de médiation », assurent cette mission au surplus de leurs missions premières, principales : juger, dire le droit, rendre des décisions et des jugement. De même, sauf exception, ces personnes ne sont pas des professionnels de la médiation. Si on veut faire plus, il faudra des moyens supplémentaires. Il faudra renforcer, développer, et professionnaliser notre dispositif de médiation.

La France est-elle prête culturellement pour cette évolution ?

- Quand je suis arrivé au TA de Nice, à l’été 2019, on m’a dit : «  Écoutez M. Lenoir  », avec un petit sourire en coin, « vous savez, ici, c’est le ‘pays de la castagne’. Les gens aiment ça. Ils aiment venir à l’audience et ils aiment venir en découdre. L’amiable peut être perçu comme un aveu de faiblesse. C’est loin d’être gagné  ». Dont acte. C’est en partie vrai, mais je pense que cela fait aussi partie des idées reçues qui circulent. Quand on amène les gens à se poser les vraies questions, de manière raisonnée et réfléchie et qu’on leur dit « C’est aussi votre avenir qui est en jeux, ce n’est pas qu’une question de posture et d’image, c’est une question de résultats et d’avenir. il y a des conséquences », ils entendent. Cela a été dur au début. Il y a eu de la curiosité sincère mais aussi de la curiosité amusée.
Aujourd’hui on a vraiment dépassé ce cap, on entend beaucoup parler de médiation, il y a un véritable effort fait à tous les niveaux. On se rend compte que la médiation n’est certes pas une baguette magique mais un outil précieux mis à notre disposition de tous et qui, dans certaines situations, permet de s’en sortir la tête haute et de pacifier durablement les relations entre les protagonistes. Dans d’autres situations, ce n’est pas opportun, il n’y a pas d’alternative envisageable, il faut une réponse en droit. La médiation n’a pas réponse à tout. Je pense que la France est prête, que les justiciables français sont prêts.
Mais sommes-nous tous prêts à nous mobiliser réellement, suffisamment, sincèrement ? Sommes-nous tous prêts à faire les investissements qui sont nécessaires pour développer la médiation et la positionner à sa juste place ? À un moment donné, la professionnalisation doit s’imposer et pour ce faire, des investissements sont nécessaires à tous les niveaux. Mais soyons confiants, soyons rassurés et optimistes : les retours sur investissements seront nombreux...

Amaury Lenoir, un incontournable de la médiation

Amaury Lenoir dans son bureau au TA de nice ©S.G

Il a « plusieurs casquettes » : Délégué national à la médiation pour les juridictions administratives, sa casquette « principale », il est également chargé de médiation au tribunal administratif de Nice sans oublier ses casquettes de médiateur - il est notamment le « médiateur ad hoc » du TA de Nice - et de formateur en médiation.

Amaury Lenoir a débuté sa carrière dans l’humanitaire, avec plusieurs postes à l’étranger. De retour en France, à Paris, il a intégré la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la juridiction administrative spécialisée pour tous les contentieux concernant l’asile et les réfugiés, où il a été rapporteur pendant neuf ans. Après avoir obtenu le DU de Médiation de l’université Paris II Panthéon-Assas, il est devenu, en 2017, chargé de mission Médiation au sein du Conseil d’État. Il est depuis rattaché au secrétariat général et placé sous l’autorité hiérarchique de Sylvain Humbert, secrétaire général adjoint chargé des juridictions.

Affecté au tribunal administratif de Nice, il agit également sous l’autorité hiérarchique de sa présidente, Marianne Pouget. Il est ainsi «  plus proche du terrain  » et «  en mesure d’expérimenter un maximum de process et
d’outils
 », ce qui « renforce la légitimité » de ses propositions.

Enfin, il fait partie du tout récent Conseil national de la médiation, prévu dans l’article 45 de la loi du 22 décembre 2021 et intronisé au mois de juin. « Même s’il est placé sous l’autorité du garde des Sceaux, le Conseil national de la médiation n’est pas le Conseil national de la médiation judiciaire. Cette instance a vocation à s’intéresser à l’ensemble des processus de médiation  », assure Amaury Lenoir.

Amaury Lenoir est parfois sollicité par certaines instances internationales sur des questions de médiation administrative, notamment par le Conseil de l’Europe. « Mes différentes casquettes me permettent de faire remonter auprès des décideurs nombre de propositions et de réflexions, certaines ayant pu démontrer leur pertinence et leur potentiel dans le cadre d’expérimentations dont j’ai la charge, à l’échelle nationale ou locale, notamment à Nice et dans les Alpes-Maritimes ».

À savoir : Il existe un Diplôme d’Université Médiation proposée par l’Université Côte d’Azur : formation de référence et d’excellence académique répondant aux attentes européennes, nationales et aux différents secteurs professionnels.

Un RÉFÉRENTIEL pour le choix des médiateurs

Il existe en France de nombreuses associations de médiateurs.
Le TA de Nice a signé dès 2019 des conventions de partenariat avec des centres et associations de médiateurs tels que « Alpes-Maritimes Médiation  », AMI (Alternative Médiateurs Indépendants), AIME (Allo Info Médiation Écoute) et plus récemment avec l’ANM 06 (Association nationale des médiateurs). « Aujourd’hui il n’y a pas vraiment de profession de médiateur, même s’il y a des médiateurs qui sont plus ou moins professionnels, dans leur pratique et dans leur cursus », relève le délégué national à la médiation. « C’est assez souple, sauf pour la médiation familiale où il y a un diplôme d’État. Pour les autres facettes de la médiation il n’y a pas véritablement de prérequis. En matière de médiation juridictionnelle, c’est au juge qui ordonne la médiation que revient la responsabilité du choix du médiateur, avec l’accord des parties ».
Amaury Lenoir a ainsi proposé et présidé un groupe de travail dédié à la rédaction d’un « référentiel de sélection des médiateurs à l’usage des juridictions administrative » que le Conseil d’État a rendu public au mois de novembre 2022 et diffusé à l’ensemble des juridictions administratives.

Dans la pratique, les juridictions administratives n’élaborent ni ne disposent de listes de médiateurs agréés, contrairement à ce qui existe dans les juridictions judiciaires. Elles ont toutefois développé des « viviers locaux  » de médiateurs compétents et répondants aux attentes fixés dans ce référentiel. Dans ce référentiel, plusieurs recommandations sont faites vis-à-vis des médiateurs, notamment : avoir suivi une formation initiale, justifier d’une formation continue et avoir une familiarité avec la chose administrative. «  Au TA de Nice, nous avons une trentaine de médiateurs, personnes physiques et personnes morales (centres de médiations, associations, entreprises). L’objectif actuellement n’est pas tant de développer ce vivier que de le renforcer ».

Photo de Une : Amaury Lenoir devant le TA de Nice (juillet 2023) ©S.G

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