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La loi, c’est la loi ! Airbnb Irlande condamnée pour manquement à ses obligations issues de la loi République numérique

Pour la première fois, un jugement du tribunal d’instance de Paris (6ème arrondissement), en date du 6 février 2018, a condamné Airbnb dans le cadre d’une sous-location illégale. La justice a reconnu la plateforme responsable de violation de plusieurs obligations issues de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016, dite Loi République Numérique. Ce jugement est très novateur car habituellement, les plateformes intermédiaires se cachent derrière leur non-responsabilité en tant qu’hébergeurs d’un contenu posté par les internautes. Explications par Julie BESSE, Directrice du service juridique, des affaires réglementaires et européennes UIMH.

En l’espèce, le propriétaire d’un bien immobilier à Paris, sous-loué illégalement par son locataire 119 fois entre mars 2016 et septembre 2017 en contrepartie de 49 301,37 euros, a assigné ce dernier le 28 juin 2017 ainsi que les sociétés Airbnb France et Airbnb Irlande. Il s’est finalement désisté de son action à l’encontre du locataire mais a maintenu ses demandes vis-à-vis des sociétés Airbnb.

En premier lieu, le tribunal a écarté l’entité Airbnb France, car elle n’exerce qu’une activité de support et n’intervient pas dans l’exploitation et la gestion de la plateforme.

En revanche, le juge a condamné Airbnb Irlande en application des articles 1340 du Code civil (responsabilité délictuelle) et L.324-2-1 du Code du tourisme. En effet, la plateforme est reconnue comme responsable de la violation de plusieurs obligations issues de la loi pour une République Numérique, à savoir :

1) informer le loueur sur ses obligations de déclarations ou d’autorisation préalable,

2) obtenir une déclaration sur l’honneur de la part du loueur quant au respect de ses obligations,

3) veiller à ce que le bien ne soit pas loué plus de 120 jours par an lorsqu’il s’agit de la résidence principale du loueur,

4) publier le numéro d’enregistrement (mis en place pour Paris depuis le 1er décembre 2017).

Le tribunal a relevé des pièces produites et des éléments du débat que la société Airbnb Irlande ne justifiait pas d’avoir informé le locataire de ses obligations, les captures d’écran ayant été contestées par ce dernier. Elle n’a pas été en mesure de produire la fameuse déclaration sur l’honneur. Les éléments du dossier attestaient en revanche de façon certaine la location plus de 120 jours par an, en l’occurrence 369 jours.

Le tribunal en a conclu que l’obligation de veille d’Airbnb Irlande aurait dû la contraindre à un décompte annuel, et que la suspension du compte du locataire était techniquement possible.

Airbnb a incontestablement manqué à ses obligations légales et a fourni au locataire le moyen de s’affranchir de ses obligations contractuelles, sans que les agissements illicites de ce dernier ne soient de nature à exclure sa propre responsabilité. Le juge constate que la société a de surcroit, avec une certaine mauvaise foi et peut-être en connivence avec le locataire, laissé perdurer ces manquements.

En ce sens, nous noterons que le juge n’a retenu aucun des arguments d’Airbnb. Ni ceux tendant à rejeter entièrement la responsabilité sur le locataire (la société n’a pas à assister les locataires dans la compréhension de leur bail, le locataire a publié son annonce sous un nom d’emprunt pour être plus difficilement identifiable, etc.) ou sur le propriétaire (qui n’aurait pas respecté la procédure interne de contestation mise en place par Airbnb), ni ceux arguant de l’absence de lien de causalité, ni enfin ceux s’étonnant que le demandeur n’ait finalement introduit aucune demande contre le locataire et ne demande au final pas réparation de son préjudice à ce dernier.

A propos du préjudice, le tribunal relève un préjudice moral en raison des nombreuses sous-locations, l’occupation par des tiers, les plaintes des voisins et quatre mandats d’huissiers à réaliser. Le préjudice moral découle ici des manquements imputables à Airbnb, dès lors que la suspension du compte du locataire aurait pu y mettre fin. Le propriétaire va donc récupérer 3.000 euros à ce titre. Ensuite, les frais d’huissiers lui seront remboursés à hauteur de 1.664,86 euros. Se sont ajoutés 1.869,07 correspondants à la commission de mise en relation perçue par la plateforme, non contestés par cette dernière. Enfin, Airbnb est également condamnée aux dépens et frais, évalués à 1.500 euros. Airbnb Irlande est donc condamnée à la somme totale de 8.033,93 euros assortie de l’exécution provisoire.

Au-delà de cette somme qui peut paraître dérisoire pour le géant américain, c’est bien le principe d’une certaine responsabilité de la plateforme qui est posé ici.

Le tribunal rappelle que chacun doit respecter la loi. Des dispositions ont été inscrites dans la loi République Numérique, elles doivent être respectées par tous, afin d’assurer l’équité entre tous les acteurs de l’hébergement.

En effet, cette décision va dans le sens des demandes soutenues par les professionnels de l’hébergement marchand, concurrencés depuis des années par les dérives permises par les plateformes d’économie pseudo-collaborative. Ils plaident depuis longtemps pour que les règles du jeu soient claires, transparentes et respectées.

C’est une première qui pourrait faire jurisprudence, en France mais aussi chez nos collègues européens, confrontés aux même problématiques.

Photo de Une (illustration DR)

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