Xavier Bonhomme : « (...)

Xavier Bonhomme : « Il reste beaucoup à faire mais on a avancé considérablement »

Procureur de la République de Nice depuis novembre 2019, Xavier Bonhomme sera procureur général près la Cour d’appel de Nîmes à partir du 1er septembre. Il revient avec lucidité sur ses années niçoises.


Xavier Bonhomme ©S.G

Quel regard portez-vous sur votre action à Nice ?

-  Je suis arrivé dans des conditions un peu particulières.
Je succédais à M. Prêtre qui est parti lui aussi dans des circonstances assez particulières (nommé avocat général près la Cour d’appel de Lyon après une gestion compliquée de l’affaire Legay, du nom de cette militante de l’association d’Attac gravement blessée à Nice pendant une manifestation de gilets jaunes, NDLR). Quand je suis arrivé, j’ai constaté qu’il y avait une grosse crise de confiance envers l’institution judiciaire, singulièrement envers le parquet. Mon premier travail a été d’essayer de restaurer la confiance, à la fois en interne et vis-à-vis de l’extérieur. Je ne sais pas si j’y suis suffisamment arrivé mais j’ai le sentiment néanmoins que le parquet de Nice est désormais reconnu comme un partenaire engagé, efficace et réactif. J’ai par ailleurs ressenti une véritable coupure entre la hiérarchie du parquet et la base. Il a fallu recréer du lien et redéfinir une politique pénale, qui soit à la fois lisible, efficace et partagée

Comment avez-vous procédé ?

- Je procède toujours un peu de la même façon. Je fais très vite une réunion avec tous mes collègues, pour leur expliquer comment je fonctionne et ce que j’attends d’eux..
Dans les jours et les semaines qui suivent, je reçois chaque magistrat parce que cela permet de libérer la parole chez ceux qui ont plus de mal à parler lors d’une réunion collective. Cela permet d’avoir de l’information, de voir comment ils ressentent les choses. J’attends d’eux également qu’ils fassent des propositions car un collègue substitut ou vice-procureur est plus au fait que moi, au quotidien, de la gestion des faits de délinquance. J’ai également dû réorganiser le parquet. A l’époque, il y avait un pôle général qui s’occupait à la fois de la délinquance des mineurs et de celle des majeurs et il y avait un pôle spécialisé qui traitait de la criminalité organisée. Avec l’arrivée un an plus tard de Jean-Philippe Navarre et un peu plus tard de Maud Marty j’ai pu mettre à la tête de trois pôles un procureur adjoint avec toujours un pôle général, un pôle mineurs-familles (pour lequel j’ai doublé les effectifs avec une organisation différente, afin de suivre toutes les problématiques des mineurs, et surtout, celle sensible des violences intrafamiliales) et un pôle spécialisé pour la délinquance organisée, la délinquance économique et financière et les contentieux techniques, comme l’urbanisme et l’environnement. Cette organisation, qui perdure aujourd’hui a pu être finalisée en septembre 2021.

Où se situe le groupe local de traitement de la délinquance ?

-  C’est autre chose.
Le procureur de la République a la possibilité de mettre en place ce qu’on appelle des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD), créés il y a une vingtaine d’années, pour mettre l’accent soit sur une thématique particulière, et c’est cette voie là que j’ai choisie avec la thématique ‘stupéfiants’, soit sur une zone territoriale particulière, avec un focus sur un ou plusieurs quartiers.
L’intérêt du dispositif est de mettre le focus sur un point particulier et d’associer toutes les administrations et tous les services de l’État ainsi que les élus. J’ai créé ce dispositif en juin 2020 et il a été mis en place à l’été 2020 pour mettre l’accent sur la lutte contre le trafic de stupéfiants qui est un sujet très sensible à Nice. En trois ans on a déféré en comparution immédiate plus de 1 000 personnes. Il y a des peines de prison significatives prononcées. Il ne faut pas être naïf, ce dispositif ne permettra pas d’éradiquer totalement le phénomène. Mais on fait le maximum et a minima on gêne les trafiquants. Il faut qu’on continue. Ce phénomène pourrit la vie de nos concitoyens et la vie des personnes qui vivent normalement dans ces quartiers. Et cela génère évidemment de l’insécurité.

Qu’est-ce qui vous satisfait le plus au terme de vos quatre années à Nice ?

-  J’ai le sentiment que l’action judiciaire dans le ressort du Tribunal judiciaire de Nice est désormais reconnue.
J’ai le sentiment que l’action judiciaire dans le ressort du Tribunal judiciaire de Nice est désormais reconnue. Ce sont les échos que j’ai en tout cas, même si on ne fait pas toujours tout de manière parfaite. Et on fait avec les moyens que l’on a. Nous sommes pris pour des partenaires volontaires et sérieux et nous faisons le maximum parce que c’est notre rôle en tant que parquetier de lutter contre toutes les formes de délinquance en menant des actions quotidiennes volontaristes et spécifiques. Il reste encore beaucoup à faire mais je pense qu’on a avancé considérablement. Parmi les événements majeurs qui m’ont marqué, il y a nécessairement l’attentat de la Basilique Notre-Dame en 2020. C’était un événement hors norme. Nous avons géré les premières heures d’enquête et nous avons passé le relais au Pnat (Parquet national antiterroriste) puisque c’est la règle. J’étais en vacances à trois heures de Nice et j’ai dû revenir très vite. Cela venait en écho à ce qu’avait connu Nice le 14 juillet 2016 et ce n’était pas simple à gérer. Il y a également eu la tempête Alex, avec la nécessité de l’identification des corps. Cela n’a pas été simple.

À quel point le manque de moyens pèse-t-il sur votre travail au quotidien ?

- En amont de la chaîne, c’est déjà le manque de moyens des services avec lesquels on travaille, notamment des forces de police.
Il n’y a pas assez d’enquêteurs sur le terrain judiciaire et c’est un problème national. Une réforme de la police judiciaire me paraît absolument indispensable et nécessaire. Peut-être pas celle qui est projetée parce que je ne vois pas comment, sans ajout de moyens humains supplémentaires, on arrivera à écluser ces millions de procédures car c’est environ deux millions de procédures qui sont dans les commissariats de police de France. La deuxième chose, ce sont les moyens au niveau des tribunaux judiciaires, en termes de magistrats du parquet, de magistrats du siège, de fonctionnaires de greffe. Et là il y a un sérieux problème à Nice puisqu’on a beaucoup de postes vacants. Sur à peu près 180 ou 190 fonctionnaires, on aura à la rentrée de septembre 40 postes qui ne seront pas tenus. Un magistrat sans greffe n’est rien. Cela nous conduit à définir des priorités quotidiennement. Il faut reconnaître au garde des Sceaux que l’annonce des moyens supplémentaires il y a quelques mois est sans précédent. Il faut rester relativement optimiste même si ces moyens mettront du temps à arriver. Et à Nice, l’aspect matériel est un autre sujet car nous sommes à l’étroit. Nous n’avons pas assez de salles d’audience et de bureaux. Il faudra trouver une solution, soit construire un autre palais de justice soit louer des salles pas trop loin mais en plein centre-ville c’est compliqué.

Propos recueillis par Sébastien Guiné

Un mot sur son successeur à Nice

Damien Martinelli ©Caroline MONTAGNÉ/DICOM/MJ

« C’est quelqu’un que je connais depuis plusieurs années », confie M. Bonhomme.

« Nous avons travaillé ensemble mais pas dans la même juridiction. Quand j’étais Procureur à Ajaccio il y a une dizaine d’années, il était à la JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille. Nous étions en lien car il s’occupait de certains dossiers corses. On est resté en contact depuis. Je ne suis pas là pour dire du bien ou du mal mais je suis ravi que ce soit lui qui me succède. On a échangé, il est venu, il sait tout à fait ce qui l’attend. Il a une expérience de terrain et une expérience en administration centrale également, ce qui est un atout ».

Ce qui l’attend à Nîmes

Le palais de justice de Nîmes ©Cour d’Appel de Nîmes

« J’aurai un rôle totalement différent », explique Xavier Bonhomme.

« Un procureur général n’a plus l’action publique c’est-à-dire qu’il ne gère plus les enquêtes. J’aurai six procureurs sous ma responsabilité qui géreront l’action publique et leurs enquêtes. Mon rôle sera d’animer, de coordonner l’action des procureurs et de décliner localement les circulaires de politique générale du gouvernement et du garde des Sceaux. Cela veut dire que je dois veiller à l’adaptation de cette politique générale définie dans les ressorts de ces tribunaux de façon à ce que l’un ne fasse pas le contraire de ce que fait l’autre. C’est très schématique mais c’est l’idée. Je dois également m’adapter et mettre les moyens là où cela apparait le plus nécessaire. Je serai également chef de juridiction de la Cour d’appel de Nîmes. Mon troisième rôle est un rôle budgétaire et de ressources humaines  ».

Les échanges avec la presse

Le procureur nous a reçu dans son bureau au TJ de Nice pour cet entretien ©S.G

Le Procureur de Nice a décidé de répondre aux différentes sollicitations médiatiques bien qu’elles soient fréquentes, parfois très nombreuses et qu’elles l’éloignent de son cœur de métier.

«  J’ai fait le choix de répondre à la presse. Il y a un cadre juridique qui me le permet : l’article 11 du Code de procédure pénale me donne le droit de communiquer sur une affaire de manière objective, soit dans le but d’éviter la propagation de fausses nouvelles soit parce que l’affaire est telle qu’il convient de mettre fin ou d’apaiser le trouble ainsi causé à l’ordre public. Mais ce n’est pas simple et c’est une pression forte pour un procureur de la République. Même si je suis aidé par mes adjoints et ma cheffe de cabinet, je suis seul pour affronter ce genre de choses. Cela exige de maîtriser un peu l’exercice même si on suit des formations. Et cela demande une certaine anticipation et une grande réactivité. C’est presque du 24 heures sur 24. Mais hors affaire significative, il faut savoir couper sinon cela est invivable. Et puis nous ne sommes pas là pour tout divulguer. La presse sait très vite ce qu’il se passe, parfois avant moi. J’essaie de toujours répondre même si parfois cela peut être gênant pour la sincérité des investigations à mener. À Nice plus qu’ailleurs, j’ai rencontré cette situation de manière très fréquente. Et puis, mettre le focus sur une personne qui verra finalement son absence de mise en cause reconnue, cela jette un soupçon au départ. Le mal est fait car le final n’intéresse plus personne, c’est le début qui compte pour l’opinion publique et c’est fort regrettable ».

Photo de Une : Xavier Bonhomme lors de l’audience solennelle de rentrée du Tribunal judiciaire de Nice fin janvier 2023. ©S.G

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