L'empire Goldman Sachs

L’empire Goldman Sachs

  • le 29 juillet 2009

Premier rôle chez les « topbankers » après avoir contribué au sinistre de Lehman Brothers, la banque Goldman Sachs est au firmament de sa gloire et de sa puissance. Mais à lire la longue enquête d’un journaliste d’investigation américain, cette position a été acquise et consolidée dans des conditions peu honorables. Pour ne pas dire plus…

Les Américains ne sont dépourvus ni d’humour ni de lucidité. On lit par exemple dans une récente édition du Borowitz Report (site satirique créé par le comédien Andy Borowitz) : « Goldman Sachs en pourparlers pour l’achat du Département du Trésor ». Avec ce commentaire présumé d’un dirigeant : « Nous avons déjà tant d’employés en commun ! Le plus difficile pour nous en ce moment, c’est de déterminer la partie que nous ne possédons pas encore ! » Bien entendu, il s’agit d’une boutade. De l’humour noir. Car voilà longtemps que la firme entretient avec les organes officiels des relations incestueuses : qu’il s’agisse des ministères-clefs (comme le Trésor), des autorités de contrôle des institutions bancaires ou des… banques centrales elles-mêmes, la direction est ordinairement confiée à un ancien dirigeant de Goldman Sachs (GS). Henry Paulson, le père du méga-plan de soutien aux institutions trop-grosses-pour-faire-faillite, n’a pas ménagé sa peine pour les secourir – ni la douleur du contribuable. Pour autant, il a considéré que Lehman Brothers n’était pas assez importante pour être sauvée. D’autant qu’elle était le seul vrai concurrent de… Goldman Sachs.
Que la bagarre soit rude entre compétiteurs, tout le monde l’admet volontiers : l’économie de marché n’est pas une affaire d’enfants de cœur. Que les armes employées ne soient pas toujours conformes à la Convention de Genève, voilà qui ne fera pas pleurer Margot : dans la fosse à requins, les crevettes n’ont pas leur place. Mais GS va plus loin, ce que le public commence à appréhender, comme en témoigne la diffusion de cette saillie : « Goldman Sachs aurait un régime de faveur par le Gouvernement ? Mais non ! Goldman Sachs est le Gouvernement des Etats-Unis ». S’il s’agit encore ici d’un ton badin, des analyses fouillées et sans humour se multiplient, telles un long article de Matt Taibbi publié par le magazine américain Rolling Stone, et repris par le site français ContreInfo sous le titre : « Goldman Sachs : la grande machine à bulles américaine ».

Une énorme razzia

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Matt Taibbi retrace l’histoire de la banque et son implication directe dans les cinq grandes « bulles » qui ont émaillé la vie des marchés depuis le krach de 1929. La saga commence en 1869 avec Marcus Goldman et son gendre Samuel Sachs. La banque qu’ils créent se spécialise opportunément dans le papier commercial : en ces temps de forte croissance, elle y gagnera un solide matelas. Mais ses premiers exploits datent des années 20, avec l’usage intensif des investment trusts, ancêtres des fonds mutuels actuels. Constitués avec un recours massif à l’endettement, permettant des achats d’actions non moins massifs et faisant ainsi monter les cours dans des proportions spectaculaires. Les principaux fonds de GS, Shenandoah Corporation et Blue Ride, sont cités par Galbraith comme représentatifs de la cause majeure du krach, dans l’ouvrage qu’il a consacré à la Grande Crise. Dans la deuxième bulle, celle des « valeurs Internet », GS apporta sa contribution active tout en échappant au désastre qui s’ensuivit. Matt Taibbi s’appuie sur des témoignages internes et sur des condamnations de la firme (à des pénalités plutôt douces bien que chiffrées en dizaines de millions de dollars), pour avoir livré des informations frelatées sur des sociétés introduites en Bourse au mépris de la réglementation, avoir entretenu « la chaudière » avec entrain, manipulé les cours et permis aux initiés de bâtir des fortunes aux dépens de cohortes de gogos qui se firent plumer. La belle réputation de rigueur et d’intégrité de Goldman, auparavant justifiée, s’est envolée à la fin des années 1990.
On connaît aujourd’hui la part très active que prit GS dans l’affaire des subprime : son lobbying efficace pour contourner la réglementation hypothécaire (et la faire exploser), et son implication majeure dans la titrisation des crédits pourris, refilés après camouflage à tous les investisseurs de la planète – pendant qu’elle prenait, pour son propre compte, des positions spéculatives à la vente sur ces mêmes produits (ce qui s’appelle un délit d’initié). Là encore, GS s’est honorablement sortie des multiples procès en payant… 60 millions de dollars (« environ ce que son département des CDO gagnait en un jour et demi pendant le boom immobilier » écrit Matt Taibbi). Pas de quoi décourager ses pratiques… Et puis vint la flambée récente des matières premières, dont le pétrole qui frôla les 150 dollars le baril, alors que le marché était plutôt en… surproduction. Pourquoi ce miracle ? Parce que GS, qui dut abandonner le cheval devenu sulfureux de la titrisation immobilière, enfourcha celui des matières physiques, en convaincant les investisseurs d’acquérir ses fonds ad hoc – constitués, là encore, au mépris de la réglementation, grâce à un passe-droit obtenu auprès de l’organisme de contrôle (le CFTC) dès 1991. Une nouvelle bulle allait ainsi se constituer puis éclater, avec les conséquences que l’on connaît. Mais le grand jeu à venir de GS, selon Matt Taibbi, nous l’avons déjà évoqué dans ces colonnes : le marché des crédits de carbone, pour lutter contre le « réchauffement climatique d’origine humaine ». Un dada écolo, largement contestable, dont la banque finance généreusement la propagande depuis pas mal de temps. Outre ses investissements directs dans l’éolien et les biocarburants, dans les sociétés qui émettent les crédits carbone, et la Bourse de Chicago qui les cote. Un autre grand présent dans le même business : Al Gore lui-même. Etonnant, n’est ce pas ? Ainsi, GS se met en position de capter le plus gros morceau de la manne carbone, c’est-à-dire un impôt dont le montant sera fixé et collecté par… Wall Street ! Goldman est réellement devenu le gouvernement des USA. Et constitue avec les élus ce qui ressemble étrangement à un gang…

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