BAIL COMMERCIAL La (...)

BAIL COMMERCIAL La variation du loyer doit jouer à la hausse comme à la baisse

Obs. Civ. 3e, 14 janv. 2016, à paraître au bulletin, pourvoi n° 14-24681

Contracter, c’est prévoir 1 ! Outil de prévision, la clause d’indexation est monnaie courante dans les baux commerciaux. Une clause d’indexation, ou clause d’échelle mobile, est une prévision contractuelle qui permet d’appliquer une variation à une valeur, en fonction d’un indice désigné par les parties. Elle organise donc la variation automatique du montant du loyer, à des échéances déterminées 2. En matière de baux commerciaux, le jeu de cette stipulation est possible sur le fondement de l’art. L. 145-39 du Code de commerce. Depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, l’indice de référence est l’indice des loyers commerciaux.

L’intérêt de la clause d’échelle mobile est l’adaptabilité qu’elle offre au travers de la relation entre l’évolution du loyer et celle du marché. Cet enjeu est directement lié à la rentabilité de l’opération pour le bailleur, mais également à l’espérance d’une certaine justice économique par le locataire en cas de baisse de l’indice de référence 3.

Mais, parfois, le bailleur est prêt à accepter les hauts, mais pas les bas... C’est pourquoi il insère dans l’acte une clause limitant les variations en sa faveur. Qui dit contractuel ne dit pas forcément juste 4. Cette pratique pose la question d’une perturbation dans l’équilibre économique du bail au détriment du locataire qui se verrait privé d’une révision à la baisse.
Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la 3e chambre civile de la Cour de cassation a dû apprécier la validité d’une clause d’indexa- tion excluant la réciprocité de la variation.
En l’espèce, un bail commercial, conclu en 2002, comportait une clause d’échelle mobile prévoyant un ajustement annuel automatique du loyer, en fonction des variations de l’indice du coût de la construction. Le dernier paragraphe de la clause était ainsi rédigé :
« La présente clause d’échelle mo- bile ne saurait avoir pour effet de ramener le loyer révisé à un mon- tant inférieur au loyer de base précédant la révision ».
La Cour d’appel de Paris avait accueilli la demande du locataire, en réputant non écrite la clause litigieuse. Elle condamnait le bailleur à la restitution du trop perçu.
Dans son arrêt de rejet du 14 janvier 2016, la Chambre civile approuve la décision des juges du fond, et fait écho, à cette occasion, à une jurisprudence ancienne.

i. Le rappel d’une jurisprudence ancienne
La Cour de cassation avait, il y a longtemps, annulé de telles clauses, ayant estimé que doit être déclarée nulle la clause d’échelle mobile, insérée dans un bail à usage commercial, prévoyant un prix minimum – la stipulation excluant toute réciprocitéet n’ayant d’autre but que de prémunir le bailleur contre la dé- préciation monétaire et de faire échec à la loi sur le cours forcé 5. De plus, les hauts magistrats s’étaient déjà exprimés préci- sément sur le sens de la clause d’indexation. Ils révélaient alors un attachement à la fonction de la clause. Cette dernière était définie par la variation automatique du loyer qu’elle organise, et par le jeu qu’elle autorise aussi bien en faveur du bailleur que du preneur 6. La réciprocité était alors reconnue comme essence de la clause, tout simplement en vertu de l’aléa qui doit la caractériser. Depuis, le débat est resté princi- palement doctrinal. Du moins, tel était le cas jusqu’à l’apparition de plusieurs décisions, rendues en 2010 par la cour d’appel de Douai 7, et en 2013 par celles d’Aix-en-Provence et de Paris 8. Au nom de la liberté contractuelle, les décisions semblaient faire place à la licéité de la clause d’échelle mobile ne jouant qu’à la hausse, ou laissaient du moins persister une certaine hésitation jurisprudentielle.

ii. La clarification d’une jurisprudence hésitante
Dans l’arrêt commenté, qui aura les honneurs d’une publication au bulletin, la Chambre civile vient clarifier la question et renoue avec ses premières interprétations. Au visa de l’art. L. 112-1 du Code monétaire et financier, elle rappelle l’essence de l’indexation en faisant obstacle au déséquilibre induit par l’absence de réciprocité. En effet, la clause litigieuse, en limitant la variation à un montant inférieur au loyer de base précédant la révision, prend en compte une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. Elle organise donc une distorsion prohibée par l’art. L. 112-1, d’ordre public.

C’est ainsi que la Haute Juridiction rompt avec les hésitations tant doctrinales que juridictionnelles. Qu’on se le dise, le loyer est à l’image de la vie, il doit connaître des hauts et des bas ! Le propre d’une clause d’échelle mobile est de pouvoir faire jouer une variation à la hausse comme à la baisse. La stipulation écartant toute réciprocité de variation fausse le jeu normal de l’indexation, et doit donc être sanctionnée de nullité.
Assurément, il ne s’agit que d’une nullité partielle. Le bail est bien préservé, a fortiori même si le contrat dispose que la clause d’in- dexation est un élément déterminant 9. Le jeu de la rétroactivité de l’annulation permet pour sa part la restitution des montants excédentaires perçus par le propriétaire. On notera également que la décision est d’autant plus favorable au locataire que les juges du fond n’ont soumis l’action du locataire à aucun délai de prescription, pas même celui de la prescription quinquennale. Attention, toutefois, l’assiette de restitution des trop-perçus est quant à elle limitée à la période des cinq années précédant l’action, en vertu de l’art. 2224 du Code civil 10.

1. RIPERT G.
2. V° « Clause d’échelle mobile », in Les prin- cipales clauses des contrats d’affaire, MESTRE J. et RODA J. (dir.), Lextenso, 2011, p. 337. 3. V. not. AURIAC L., « Loyer : clauses de révision, d’indexation et d’échelle mobile », AJDI 2013, p. 667.
4. Cf. FOUILLÉ A. : « qui dit contractuel, dit juste ».
5. Com. 15 nov. 1950, D. 1951, p. 21.
6. Pau, 10 juill. 1958, GP 1958. 2.
7. Douai, 21 janv. 2010, n° 08/08568, AJDI 2010, p. 552 : l’indexation annuelle du loyer en référence à l’ICC, mais uniquement à la hausse, est licite et conforme à la liber- té contractuelle, elle ne revêt toutefois pas l’exigence de variation positive ou négative posée par l’art. L. 145-39 C. com. (selon le- quel la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision ju- diciaire).
8. Cf. PLANKEEL F., « Clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse : réputé non écrit, nullité ou révision du loyer ? », AJDI 2013, p. 517.
9. Civ. 3e, 6 juin 1972, Bull. civ. III, n° 369 ; Civ. 3e, 9 juill. 1973, Bull. civ. III, n° 467. 10. Aix-en-Provence, 15 mars 2013, n° 11/06632, AJDI 2013, p. 517 ; PLAN- KEEL F., préc. Adde Paris, 4 avr. 2012, n° 10/23391, AJDI 2012, p. 424.

Par Hania KASSOUL Doctorante au Centre d’Etude et de Recherche en Droit des Procédures, Faculté de Droit et Sciences Politiques de Nice Sophia-Antipolis. [email protected] Publication récente de l’auteur : "L’éternel retour de la mention manuscrite du cautionnement : quel formalisme pour la durée de l’engagement ?", recueil Dalloz, 5 novembre 2015, p.2231-2235.

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