CAHIERS UCEJAM : "La (...)

CAHIERS UCEJAM : "La réforme du droit des obligations" - Exposé de Mathias LATINA - Professeur agrégé de Droit privé, Directeur du CERDP

L’UCEJAM - a organisé quatre conférences-débats en 2017 qui ont permis d’apporter des réponses aux questions portant sur les thématiques suivantes :
- L’expert de justice face à la cybercriminalité.
- Actualités de l’activité d’expert de justice.
- L’expert de justice face à l’expert d’assurances.
- De la réforme du droit des contrats
Nous vous proposons de retrouver l’intégralité des actes des interventions par intervenant.
Cette semaine sur le thème de la quatrième conférence "De la réforme du droit des contrats", nous vous invitons à découvrir l’intervention de Mathias LATINA - Professeur agrégé de Droit privé, Directeur du CERDP.

Présentation de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

I) -La genèse de la réforme du droit des obligations

A) L’impulsion européenne

L’union européenne s’est très tôt intéressée au droit des contrats. Pour la Commission européenne, le contrat étant le vecteur des échanges économiques, les disparités des législations contractuelles européennes apparaissaient comme des freins aux échanges intra-communautaires.

Dans un premier temps, et à partir des directives de 1985 sur les produits défectueux et les « contrats hors établissement », l’Union européenne a décidé de légiférer de manière sectorielle. Elle s’est donc intéressée à certains aspects de la relation contractuelle et, plus précisément, à certains aspects des relations contractuelles passées entre consommateurs et professionnels. L’union européenne est donc intervenue par directives, pêle-mêle, en matière de vente à distance, de contrats électroniques, de garantie dans la vente, de voyages, vacances et circuits à forfaits, de timeshare, de crédit à la consommation etc.

Mais la Commission a été déçue de l’impact pratique de ces interventions sectorielles, le nombre d’échanges intra-communautaires n’ayant pas sensiblement augmenté et les disparités de législations n’ayant pas significativement diminué. L’harmonisation minimale, qui permettait aux législateurs internes d’adopter des dispositions plus protectrices du consommateur, a alors cédé sa place à l’harmonisation totale, interdisant aux États-membres d’adopter ou de maintenir, dans le champ de la directive, des dispositions autres que celles prévues. Un temps, la Commission européenne a même envisagé de combiner la technique de l’harmonisation totale par directive, avec une approche horizontale du droit des contrats de consommation. Dans un livre vert de 2007, elle avait ainsi proposé de réformer et de refondre pas moins de huit directives. Mais, face à la vive opposition des États-membres, l’Union européenne a revu ses ambitions à la baisse, ce qui a abouti à l’adoption de la directive du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, directive modifiant celles de 85 et de 95, relatives aux « contrats hors établissement » et à la vente à distance.

Il faut dire que, parallèlement à l’harmonisation par directive, l’Union européenne n’avait pas abandonné l’idée d’uniformiser le droit commun des contrats. La Commission européenne, après que le souhait en ait été émis par le Parlement européen en 1989, avait en effet marqué sa volonté de parvenir à une unification du droit commun des contrats, sur tous les territoires des États membres. Autrement dit, parallèlement à l’harmonisation sectorielle du droit des contrats de consommation, la Commission européenne avait caressé l’espoir d’une uniformisation à grande échelle du droit commun des contrats. Toutefois, les doutes relatifs à la compétence de l’Union européenne en la matière et les réticences des États-membres ont progressivement amené la Commission européenne à abandonner cette voie. Des ambitions relatives à l’unification du droit commun des contrats en Europe, il ne reste plus aujourd’hui qu’une proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente, datée du 11 octobre 2011, qui semble avoir été rangée dans un carton.

Il n’en reste pas moins que la doctrine française, au tournant des années 2000, s’est émue de la perspective d’une unification du droit commun des contrats, et ce d’autant que les modèles européens d’harmonisation, comme les Principes du droit européen des contrats, qui avaient vu le jour, s’éloignaient sensiblement de la tradition contractuelle française. Les travaux menés à l’échelon européen ont en effet révélé, de manière criante, la perte d’influence du droit français des contrats. L’obsolescence, sinon du droit contractuel français, au moins des textes du Code civil, empêchait la France de peser dans les discussions, surtout face à l’Allemagne, dont le Code, plus jeune (1900), avait été réformé dans sa partie relative au droit des obligations, en 2003.

L’ancienneté de nos textes et le décalage entre ces derniers et le droit positif ne permettaient donc plus au Code civil de remplir sa fonction de modèle. Il devenait urgent que la France se réforme, afin qu’elle puisse s’appuyer sur un texte moderne dans les discussions menées à l’échelon européen.

Reste que si la matière inflammable de la réforme avait été fournie par l’Union européenne, l’étincelle est venue de la doctrine, encouragée par le président Jacques Chirac. Ce dernier, au cours d’un colloque organisé à la Sorbonne à l’occasion du bicentenaire du Code civil en 2004, avait en effet appelé de ses vœux une réforme du droit des obligations. La doctrine a alors répondu à cet appel en rédigeant des avant-projets.

B) Les avant-projets doctrinaux

Deux offres de réforme doctrinales ont successivement vu le jour.

La première, à l’initiative des Professeurs Pierre Catala et Geneviève Viney, a abouti à l’« Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription », remis officiellement au garde des sceaux le 22 septembre 2005. Cet avant-projet proposait une réforme complète du droit commun des contrats, de la responsabilité civile, du régime général de l’obligation et de la prescription.

La seconde offre, dirigée par le Professeur François Terré, sous l’égide de l’Académie des Sciences morales et politiques, a été publiée dans plusieurs ouvrages successifs proposant respectivement de réformer le droit des contrats, la responsabilité civile et, enfin, le régime général de l’obligation.

Ces deux avant-projets reposaient sur des partis pris radicalement opposés. L’avant-projet Catala était de facture classique. Deux éléments témoignent de ce classicisme. D’abord, le rôle du juge en matière contractuelle, conformément à la tradition française, restait modeste. Ensuite, l’avant-projet Catala avait pris soin de reprendre la notion de cause, en consacrant l’analyse dualiste qui s’était imposée depuis le milieu de 20e siècle. L’idée de cet avant-projet était que, pour servir de modèle, le droit français des contrats devait, avant tout, rester ferme sur ses bases.

Au contraire, les rédacteurs des avant-projets Terré avaient considéré que, pour servir de modèle, le droit français des contrats devait faire le premier pas en rapprochant son vocabulaire et son mode de fonctionnement des standards européens, tels qu’ils avaient émergé des codifications privées européennes, comme les Principes du droit européen du contrat ou le Projet de cadre commun de référence. L’influence de ces codifications sur cet avant-projet était donc nette. Notamment, la notion de cause disparaissait en tant que telle, même si ses principales fonctions, traditionnelles et contemporaines, étaient maintenues dans la subdivision consacrée au contenu du contrat.

La mécanique gouvernementale s’est alors mis en branle, la Chancellerie ayant initialement décidé de « saucissonner » la réforme du droit des obligations en trois parties : d’abord la réforme du droit commun des contrats, ensuite la réforme de la responsabilité civile, enfin la réforme du régime général de l’obligation. Finalement, ce plan n’a pas été suivi. Le projet de réforme du droit commun des contrats a connu deux versions (2008, 2009), contre une seule pour celui relatif au régime général de l’obligation (2011). Quant à la réforme de la responsabilité civile, elle n’a donné lieu à aucune version de travail, au moins rendue publique. Ce devrait être le cas dans les semaines à venir, la réforme de la responsabilité ayant été annoncée.

Alors que l’on pensait le projet enterré, le gouvernement a décidé de se lancer dans la réforme fin 2013, en faisant fuiter une dernière version de l’avant-projet dans la presse économique. Le choix a été fait de réformer par ordonnance, compte tenu de l’agenda parlementaire, de la technicité de la réforme, et de l’absence totale de bénéfice politique à attendre de cette réforme. Le Parlement, dans une loi dite de simplification du droit du 16 février 2015, a alors habilité le gouvernement à réformer par ordonnance l’actuel titre 3 du livre 3 du Code civil, intitulé « du contrat ou des obligations conventionnelles en général ». Un projet d’ordonnance a ainsi été soumis à une consultation publique en mars et avril 2015, l’ordonnance ayant été publiée le 10 février 2016.
Le Parlement, conformément à la procédure prévue par l’article 38 de la constitution, devra ensuite la ratifier au cours de l’année 2016, ratification au cours de laquelle il pourra faire des modifications. L’absence de ratification n’empêche toutefois pas l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

L’ordonnance est ainsi entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

II) -Traits caractéristiques de la réforme du droit des obligations

A) Libérale ou sociale ?

Une chose est certaine, notre droit des contrats reste un droit des contrats libéral. Quant à la réforme, il est difficile de le dire. Les libéraux estimeront que les dispositions qui ont pour but de briser le dogme de l’égalité des contractants, qui innervent notre droit depuis 1804 sont trop nombreuses et, partant, dangereuses. Les tenants d’une conception plus sociale, ou solidaire, du droit des contrats sont au contraire
déçus de la timidité du législateur.

Quelles sont les « pommes de discorde » ?

- D’abord, la bonne foi. Celle-ci doit, aux termes de l’article 1104 du Code civil, se déployer au cours de la négociation, de la formation et de l’exécution du contrat. Il n’y a là qu’une simple codification de l’extension temporelle qu’avait connue la bonne foi, sous l’empire de l’ancien article 1134, alinéa 3 du Code civil, à l’initiative de la jurisprudence.

D’aucuns pourraient ainsi regretter que la norme de comportement de l’article 1104 du Code civil n’ait pas été intensifiée, c’est-à-dire que les parties n’aient pas eu « l’obligation d’agir de bonne foi », voire qu’un devoir de coopération n’ait pas été consacré dans les contrats de longue durée.

En dépit de l’absence d’intensification de la bonne foi, d’autres auteurs pourraient toutefois s’inquiéter de la place qui lui a été attribuée. En inscrivant la liberté contractuelle [1], la force obligatoire [2] et la bonne foi [3] au « frontispice du droit des contrats », dans un chapitre premier consacré aux « dispositions liminaires », l’ordonnance du 10 février 2016 pourrait favoriser l’émergence de « principes directeurs » du droit des contrats, au rebours de l’ambition du législateur manifestée dans le rapport de présentation de l’ordonnance [4]. Or, une partie de la doctrine s’était émue de l’attribution à la bonne foi de la qualité de « principe directeur », au motif qu’elle pourrait ainsi devenir « un joker », permettant au juge de contourner les conditions de mise en œuvre de tel ou tel mécanisme contractuel, voire de mettre en échec des clauses ne contrevenant pourtant à aucune règle précise [5].

Autrement dit, la qualification de principe directeur permettrait au ver de la bonne foi de s’immiscer dans le fruit de la sécurité contractuelle. Certes, ayant sans doute entendu ces craintes, le législateur n’a pas expressément qualifié la liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat et la bonne foi de « principes directeurs ». Mais, en les regroupant et en les mettant en valeur, le législateur n’a-t-il pas permis de révéler « le cœur des règles primordiales » du droit des contrats, ce qui pourrait conduire à en « libérer tout le potentiel [6] » ? C’est dire que si la lettre de l’article 1104 du Code civil véhicule la conception libérale de la bonne foi, qui s’était imposée sous l’empire des anciens textes, sa place pourrait au contraire permettre le développement d’une conception plus intense de la bonne foi.

- Ensuite, l’abus de dépendance, nouveau vice du consentement rattaché à la violence par l’article 1143 du Code civil, suscitera sans aucun doute des débats. En particulier, comment doit-on interpréter le terme de « dépendance » ? La dépendance visée par le texte est-elle une dépendance au sens strict, c’est-à-dire une dépendance vis-à-vis du cocontractant, que cette dépendance soit économique ou affective ?
Ou est-ce une dépendance au sens commun du terme, la dépendance étant dans la « novlangue administrative » en vogue un synonyme de fragilité ou de vulnérabilité ? Si l’on entend la dépendance au sens étroit du terme, le périmètre de l’article 1143 du Code civil sera limité, et son utilisation victorieuse rare. Au contraire, si la dépendance est synonyme de faiblesse, comme le laisse entendre le rapport de présentation de l’ordonnance, l’article 1143 pourrait favoriser la justice contractuelle(8), mais également donner lieu à un contentieux de masse.

Il y a donc, dans la réforme, des dispositifs destinés à permettre la prise en compte de l’inégalité de faits entre les parties. Mais de là à dire que la réforme est sociale, il y a un pas que l’on peut hésiter à franchir.

B) -Le rôle du juge est-il renforcé ou non ?

S’agissant du rôle du juge, les signaux envoyés par le législateur sont contradictoires.

D’un côté, la réforme a multiplié l’utilisation des standards comme le « raisonnable [7] », le « manifeste [8] » , ou encore le « significatif [9] » qui donnent nécessairement un rôle accru au juge [10]. Qui d’autre que le juge pour décider, in fine, ce qui est raisonnable, manifeste ou significatif ? En outre, le juge dispose bel et bien du pouvoir de réviser le contrat pour imprévision, à la demande d’une partie, ce qui est symboliquement fort, puisque l’arrêt dit du « canal de Craponne [11] » , véritable ode à la non-immixtion du juge dans le contrat, est brisé. On pourrait donc conclure à un accroissement du rôle du juge.

De l’autre, pourtant, le législateur a semblé signifier, à plusieurs reprises, que le juge ne pouvait pas s’ingérer dans la sphère contractuelle pour la corriger, et que son rôle devait se borner à juger de sa validité ou à compenser ses conséquences néfastes, sans toucher à son contenu, par le biais de dommages et intérêts.

Par exemple, le juge peut annuler un contrat conclu sous l’empire d’un état de dépendance, lorsqu’un abus du cocontractant a entraîné un avantage manifestement excessif, mais il ne peut pas corriger ce déséquilibre [12]. Dans la même veine, les tribunaux pourront annuler un contrat pour erreur, mais non maintenir le contrat en corrigeant cette erreur, comme le proposaient les Principes européens du droit des contrats [13]. En outre, le juge peut octroyer une indemnité à celui qui s’est vu imposer un prix abusif, mais il ne peut pas modifier directement ce prix [14]. La différence n’est pas que symbolique, sachant que la mesure de la révision est l’écart entre le prix abusif et le prix considéré comme juste par le juge, tandis que la mesure de l’indemnisation est le préjudice subi par la partie lésée. Or, ce préjudice peut parfois être distinct de la fraction abusive du prix.

De toute façon, où est la cohérence ? Le juge peut modifier un prix, à la demande de la partie lésée, lorsqu’il a été déséquilibré par les circonstances [15], mais il ne peut pas le faire lorsque le prix a été fixé abusivement. D’ailleurs, est-ce sciemment que le législateur a inversé les solutions entre le projet d’ordonnance de 2015 et la version finale de 2016 ? Il faut en effet se souvenir que, dans le projet d’ordonnance de 2015, le juge pouvait modifier le prix abusif [16], mais n’avait pas le pouvoir de modifier le contrat déséquilibré par les circonstances, sauf commun accord des parties [17]. On comprend mal ce qui a pu justifier une telle inversion, sauf à y déceler la volonté du législateur, par un jeu de vases communicants, de ne pas donner le sentiment d’une augmentation des pouvoirs du juge. Ainsi, le message de l’ordonnance quant au rôle du juge n’est pas limpide.

III) -Aspects pratiques de la réforme du droit des obligations

A)- L’application de la loi dans le temps

En vertu de l’article 9 de l’ordonnance, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 resteront soumis au droit actuel, tandis que les contrats conclus à partir du 1er octobre 2016 seront soumis au droit nouveau, encore que certains auteurs commencent à plaider pour tordre le sens de cet article.

Plusieurs points doivent être mis en valeur :

- Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 resteront soumis aux anciens textes, tel qu’interprétés par la jurisprudence. Mais
lorsqu’une jurisprudence a été brisée, comme celle relative à la rétractation dans la promesse unilatérale de contrat [18], il n’est pas impossible que la Cour de cassation vienne effectuer un revirement de jurisprudence, sous l’empire des textes antérieurs, afin de mettre en cohérence le droit ancien et le droit nouveau. On peut d’ailleurs espérer une telle convergence des droits. Dans un arrêt rendu par une chambre mixte, le 24 février 2017 (n° 15-20.411), la Cour de cassation a mentionné l’ordonnance du 10 février 2016, dans une espèce, dans laquelle elle n’était pas applicable, afin d’expliquer les raisons de son revirement de jurisprudence. La haute juridiction laisse donc entendre qu’elle pourrait interpréter les règles anciennes à la lumière des nouvelles.

- Il faudra aujourd’hui, plus encore qu’hier, prendre garde à la modification des contrats. L’avenant, en tant que contrat, sera soumis au droit nouveau s’il est conclu après le 1er octobre 2016, tandis que le contrat modifié restera soumis au droit ancien en ce qui concerne les parties non modifiées, sauf si les modifications en question sont si substantielles que le contrat en sortira transformé : on parle parfois de « novation de contrat ». Or, il se trouvera bien des contractants qui, pour échapper à tel ou tel disposition nouvelle, tâcheront de dissimuler l’existence d’un nouveau contrat derrière la modification d’un ancien, pour tenter de maintenir leur contrat dans le
giron du droit ancien.

- Dans le même ordre d’idées, il faudra manier soigneusement les concepts de prorogation, d’une part, qui permet de prolonger la vie d’un contrat devant arriver à terme, et qui reste donc soumis au droit ancien s’il est conclu avant le 1er octobre 2016 et, d’autre part, ceux de renouvellement et de tacite reconduction qui entraînent la naissance d’un nouveau contrat, identique à l’ancien, mais soumis au droit nouveau si le renouvellement a lieu après le 1er octobre. Tous ces concepts sont aujourd’hui définis aux articles 1213 à 1215 du Code civil.

- Il faut noter, enfin, la création de trois actions interrogatoires, notamment en matière de pacte de préférence (1123), de représentation (1156) et de nullité relative (1183). S’agissant de cette dernière, elle permettra au cocontractant du titulaire d’une action en nullité, de ne pas attendre l’écoulement du délai de prescription de cinq ans. Il pourra donner un délai de 6 mois au titulaire de l’action, pour confirmer ou agir en nullité. Passé ce délai, le contrat sera réputé confirmé. Ces trois actions sont d’application immédiate et pourront donc être mises en œuvre, à propos de contrats conclus avant le 1er octobre 2016.

Ces remarques n’épuisent pas les problèmes, mais elles illustrent les réflexes qu’il va falloir adopter en la matière.

B) -L’impérativité des règles issues de l’ordonnance

L’article 1102 du Code civil consacre la liberté contractuelle dans ses trois dimensions : liberté de contracter ou non, liberté de choisir son cocontractant et liberté de déterminer le contenu du contrat. Dès l’alinéa 1, le législateur indique toutefois que la marge de manœuvre des parties ne s’exprime que « dans les limites fixées par la loi ». Ce sont les traditionnelles atteintes à la liberté contractuelle : contrat forcé, personne dotée de droit de préemption ou encore contenu impératif. L’alinéa 2 précise ensuite que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ».

Mais comment identifier les règles d’ordre public ? Si l’on en croit le rapport de présentation de l’ordonnance, le législateur semble avoir souhaité brider le pouvoir des juges dans la définition du contenu de l’ordre public.

En droit des obligations, l’ordre public ne pourrait plus être que textuel. Autrement dit, seules les dispositions prévoyant expressément leur caractère impératif seraient d’ordre public. Le juge perdrait ainsi le pouvoir de classer, au sein de l’ordre public, les autres règles. Si tel était véritablement le cas, le changement serait majeur.
Les dispositions expressément désignées comme étant d’ordre public, dans le droit des obligations, ne sont en effet pas légions.

Il s’agit :
- de la bonne foi [19],
- de l’obligation précontractuelle
d’information [20],
- du pouvoir de modération du juge sur la clause pénale [21],
- de la faculté judiciaire d’octroyer des délais de grâce [22] et
- de l’interdiction d’instaurer, d’un commun accord, des présomptions irréfragables [23].

Il n’est pourtant pas certain que cette directive soit suivie par les juges, au-delà de l’absence de portée normative du rapport de présentation de l’ordonnance. Deux raisons peuvent être invoquées.

- La première est tirée de la lettre de l’article 1102 du Code civil. Celui-ci énonce, dans son alinéa 2, que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ». La réserve posée par le second alinéa est d’apparence classique, qui évoque l’article 6 du Code civil. Le texte vise néanmoins un domaine plus large que celui de l’article 6. En effet, les contrats ne peuvent déroger aux « règles », et non aux seules « lois », qui intéressent l’ordre public. Le nouveau texte « prend acte de l’existence d’un ordre public qui dépasse les frontières de la loi au sens formel, et reconnaît par ce biais l’existence d’un ordre public virtuel ou judiciaire, mis en œuvre par la jurisprudence ». En pratique, donc, l’ordre public devrait faire échec à des contrats qui iraient à l’encontre de règles légales ou prétoriennes. La lettre de l’article 1102 va donc à l’encontre de la directive du rapport de présentation.

- Ensuite, le législateur n’a pas suivi le guide qu’il s’est lui-même fixé. On s’étonne par exemple qu’il n’ait pas pris la peine de préciser, que le pouvoir du juge de supprimer les clauses abusives dans les contrats d’adhésion, est d’ordre public. Sans doute est-ce parce que le caractère d’ordre public de cette disposition va de soi, ce que confirme le rapport de présentation de l’ordonnance. Mais, puisque le législateur est pris en défaut sur le terrain de l’article 1171 du Code civil, ne pourrait-il pas l’être dans d’autres hypothèses ?

On songe, par exemple, à la clause de divisibilité par laquelle des parties conviendraient que deux contrats, bien qu’interdépendants au sens de l’article 1186 du Code civil, conservent leur indépendance juridique, l’anéantissement de l’un n’ayant pas d’effet sur la destinée de l’autre. La jurisprudence antérieure n’était pas limpide quant à la validité d’une telle clause. Elle avait toutefois décidé que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants » et « que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance [24] ». Quid de cette jurisprudence sous l’empire des nouveaux textes ?

À suivre la logique du rapport de présentation de l’ordonnance, les parties devraient pouvoir retrouver leur marge de manœuvre contractuelle. En effet, le texte ne précise pas que les clauses contraires à cette interdépendance sont réputées non écrites. Il est toutefois douteux que la Cour de cassation modifie sa position et autorise demain, ce qu’elle condamnait clairement hier.

En somme, sur le terrain de l’ordre public, il n’est pas certain que la marge de manœuvre contractuelle des parties ait été fondamentalement modifiée. ?

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RÉFÉRENCES
(1) Cette formation est basée sur l’ouvrage suivant (G. Chantepie, M. Latina, La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2016) que l’on pourra consulter pour des développements plus substantiels. V. aussi M. Latina (Dir.), La réforme du droit des contrats en pratique, Dalloz, 2017. V. aussi M. Latina (Dir.), La réforme du droit des contrats en pratique, Dalloz, 2017. Page droite : (2) C. civ., art. 1102. (3) C. civ., art. 1103. (4) C. civ., art. 1104. (5) V. Rapport de présentation de l’ordonnance du 10 février 2016. (6) A. Ghozi, Y. Lequette, « La réforme du droit des contrats : brèves observations sur le projet de la chancellerie », D. 2008. 2609, n° 7. (7) A. Ghozi, Y. Lequette, art. préc., n° 5 qui citent G. Cornu, « Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes »,
Études Bellet, 1991, p. 81 et « L’élaboration du code de procédure civile », in La codification, Dalloz, 1996, p. 77. (8) V. Rapport de présentation de l’ordonnance du 10 février 2016 : « L’une des innovations essentielles du texte consiste à assimiler à la violence, l’abus de la dépendance dans laquelle se trouve son cocontractant, ce que la jurisprudence de la Cour de cassation a admis dans des arrêts récents, et que la doctrine et les praticiens qualifient de « violence économique », même si le texte est en réalité plus large, et n’est pas circonscrit à la dépendance économique (article 1143). En effet toutes les hypothèses de dépendance sont visées, ce qui permet une protection des personnes vulnérables et non pas seulement des entreprises dans leurs rapports entre elles. » Italiques ajoutées au texte. (9) C. civ., art. 1116, 1117, 1123, 1158, 1188, 1195, 1197, 1211, 1218, 1222, 1226, 1231, 1301-1, 1307-1. (10) C. civ., art. 1141, 1143, 1220, 1221, 1231-5. (11) C. civ., art. 1171. (12) N. Blanc, « Le juge et les standards juridiques », RDC 2015, p. 394. (13) Civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne, D. 1876, 1, p. 193 ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 11e éd., Dalloz, n° 163 : « Que, dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ». (14) C. civ., art. 1143. (15) PEDC, art. 4 : 105. Comp. Avant-projet Terré, art. 52. (16) C. civ., art. 1164 et 1165. (17) C. civ., art. 1195. (18) Projet d’ordonnance, art. 1163 et 1164. (19) Projet d’ordonnance, art. 1196.(20) C. civ., art. 1124. (21) C. civ., art. 1104, al. 2. V. aussi C. civ., art. 1112 qui précise que les parties doivent « impérativement » satisfaire aux exigences de la bonne foi. (22)C. civ., art. 1112-1, al. 5. (23)C. civ., art. 1231-5, al. 4. (24)C. civ., art. 1343-5, al. 5. (25)C. civ., art. 1356, al. 2. Les parties ne peuvent pas non plus contredire les présomptions irréfragables prévues par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment. (26) Mixte, 17 mai 2013, n° 11-22768.

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