Congrès national des (...)

Congrès national des tribunaux de commerce : 134 tribunaux représentés à Marseille !

Les 134 tribunaux de commerce de France ont été représentés deux jours durant à Marseille les 8 et 9 décembre à l’occasion de la tenue de leur congrès national 2016. Une première depuis vingt ans.

Accueil de M. Bruno NIVIERE, Président du Tribunal de commerce de Marseille

Mesdames, Messieurs les hautes personnalités….,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Tribunaux de Commerce,
Mes chers collègues juges de tous les tribunaux de France,
Mesdames, Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à Marseille. Je suis heureux en ma qualité de Président du Tribunal de Commerce de Marseille de vous accueillir dans notre ville ainsi que dans notre département. En effet, je tiens à associer nos proches voisins que sont les tribunaux d’Aix, Salon et Tarascon. Au total nous sommes près de 150 juges à représenter la justice consulaire dans les Bouches du Rhône. Avec ses 80 juges, Marseille est le deuxième tribunal de France en nombre de juges et certainement le plus ancien puisque notre juridiction trouve son origine en 1455 ... et, je le souligne pour nos chers amis du Tribunal de Commerce de Paris, Michel de l’Hospital n’était pas encore né ! Marseille, tribunal de commerce spécialisé depuis la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite "loi Macron" du 6 août 2015 dont le décret a été publié le 26 février 2016, tribunal de commerce à compétence particulière en matière de pratiques restrictives de concurrence depuis le décret du 30 décembre 2005, Marseille donc se devait de recevoir, j’allais presque dire enfin, un nouveau congrès de la Conférence Générale après celui de 1996. Une fois tous les 20 ans, ce n’est pas vraiment devenu une habitude ! Je remercie le Président Yves Lelievre et les membres du Conseil d’Administration de la Conférence Générale de cette décision. Je tiens aussi à remercier les partenaires dont le concours nous a permis d’organiser cette manifestation : Le CN des Greffiers des TC et le greffe du TC de Marseille, le CN des AJMJ et les AJMJ et Commissaires-Priseurs œuvrant près le TC de Marseille, le CN des Courtiers de Marchandises, le Conseil de l’Ordre des Avocats du Barreau de Marseille, la CNCC et la CRCC, le CSOEC et l’OEC Marseille-PACA, le CIP National, la Ville de Marseille, la CCI de Marseille-Provence, le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, le Conseil Régional Provence Alpes Côte d’Azur, la Banque Delubac, le réseau Caisse d’Epargne et la Caisse d’Epargne Provence Alpes Corse, et enfin la SMC … j’espère n’avoir oublié personne. Au cours de ce congrès nous entendrons des communications sur des sujets importants et communs à tous les juges, à savoir la justice commerciale face à l’ubérisation du droit, le financement des PME-TPE en ébullition, et la compétence des juridictions commerciales en droit maritime. Hier, dans des ateliers réservés aux juges, nous avons parlé de la réforme du droit des contrats et du droit des entreprises en difficulté. J’estime que ce congrès aura pour Marseille une signification toute particulière. En effet, notre ville est née du commerce et est devenue dès l’origine une place du commerce maritime. Aussi avons-nous reçu avec un grand intérêt l’annonce de la signature d’un accord de partenariat entre la Conférence Générale des Juges Consulaires de France et l’Association Française de Droit Maritime, qui va se matérialiser aujourd’hui par la tenue d’une table ronde consacrée à la compétence des juridictions commerciales en la matière. L’économiste Jacques Attali, clôturant un débat organisé cette année par l’association "Paris place de droit", déclarait que les seuls vrais atouts de la France, face au cahot planétaire du droit engendré par la globalisation des marchés, seraient aujourd’hui la francophonie et la dimension maritime. Je considère que le thème particulièrement pertinent de la table ronde de cet après-midi est donc d’une rare actualité. Le sujet est d’importance et la qualité des intervenants me fait dire que le débat de cet après-midi fera certainement date. Je suis heureux que cet échange se tienne à Marseille dont le tribunal de commerce a depuis toujours une chambre spécialisée dans les transports, notamment maritimes, et dont la jurisprudence fait bien souvent autorité. Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, je vous remercie de votre présence et je vous souhaite un congrès des plus intéressants.

Discours de M. Yves LELIEVRE Président de la Conférence générale des juges consulaires de France

C’est un plaisir pour moi de me retrouver parmi vous, en présence du Garde des Sceaux et des nombreuses personnalités qui nous font l’honneur de leur présence. Je salue tous les juges qui ont fait le déplacement. Notre congrès annuel est le temps fort de notre action au service des entreprises et de l’emploi. Mes remerciements vont aussi, à toutes celles et tous ceux qui participent, avec nous, à cette œuvre de justice ! Les greffiers, les mandataires et administrateurs judiciaires, les avocats, les experts comptables et commissaires aux comptes, les experts judiciaires, les commissaires-priseurs judiciaires, les huissiers. Je veux saluer leur engagement, leur compétence et leur indépendance dans la période difficile que beaucoup traversent. Ils vont, aussi, à tous ceux avec qui nous venons de lier un partenariat : l’Association Française des Juristes d’Entreprise, le Cercle Montesquieu, l’Ecole nationale de la magistrature, la médiation du crédit, le médiateur de l’entreprise, l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, l’Association Française de Droit Maritime, le Centre d’Information et de Prévention national. Votre présence est la marque d’un engagement commun au service de la justice et, plus particulièrement, de la justice consulaire.

Nous sommes l’une des plus anciennes institutions judiciaires, une des rares à avoir traversé la période révolutionnaire en conservant toute la confiance des justiciables. Nous assurons un service public de qualité qui ne pèse pas sur la dépense publique. N’est- ce pas là un modèle d’action publique vertueux ? De nombreuses réformes viennent d’intervenir. Elles nous engagent. J’y consacrerai la première partie de mon intervention. La mondialisation, le numérique continuent leur marche inexorable. Nous devons, plus que jamais, être une force qui sait se remettre en cause, qui innove et se projette vers l’avenir. Ce sera le thème de ma deuxième partie.

Les réformes : Elles ont concerné le cœur de notre activité mais, aussi, notre organisation et notre statut. L’encre de la dernière est à peine sèche !

Réformer le droit des entreprises en difficulté, le droit des obligations, favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges, touche le cœur de notre activité au service des entreprises et de l’emploi :
- Le droit des entreprises en difficulté a connu des avancées très importantes : La prévention des difficultés joue un rôle majeur dans le dispositif. Si le traitement de la prévention demeure de notre seule responsabilité, nous partageons la détection avec d’autres : les Centres d’information et de prévention, les médiations du crédit et des entreprises. Que d’entreprises remises sur pied, que d’emplois sauvés grâce à une bonne et rapide anticipation ! La proposition de directive de la commission européenne sur l’insolvabilité, rendue publique le 22 novembre dernier, instaure un régime préventif de traitement des difficultés. Elle rejoint, ainsi, nos préoccupations françaises, ce dont nous pouvons nous réjouir. J’appelle les juges en activité mais aussi ceux qui ont achevé leur judicature à se mobiliser, de plus en plus nombreux, pour la prévention des difficultés de l’entreprise.

- Les pouvoirs et les responsabilités entre les créanciers et les débiteurs ont fait l’objet d’un rééquilibrage pour permettre une meilleure confiance, et faciliter la sortie de crise de l’entreprise. Une question fait encore débat, notamment sous l’angle de la protection constitutionnelle du droit de propriété. Un actionnaire peut-il s’opposer, efficacement, à la mise en place d’un plan de restructuration alors que le bilan social fait ressortir une situation nette négative ? Cette question reste pendante.

- une voie a été ouverte à une seconde chance pour les entrepreneurs ayant connu la faillite. Un droit à « l’oubli » pour l’entrepreneur honnête. Cette évolution est aussi reprise dans le projet de la commission européenne. L’échec n’est pas sans vertus ! « Quand vous jouez une note, seule la suivante permettra de dire si elle était juste ou fausse » Miles Davis. Le chantier n’est pas achevé, le sera-t-il un jour ? Il faut améliorer l’attractivité et la compétitivité de notre droit. Les investisseurs ne sont pas suffisamment présents, notre droit social doit évoluer et le rebond de l’entrepreneur reste trop difficile. Ces constats sont, très largement, partagés. Des réflexions, auxquelles nous sommes associés, sont en cours. Elles devront dégager les solutions à la hauteur des enjeux.

- Quant à la réforme du droit des obligations, en chantier depuis de très nombreuses années, l’ordonnance publiée le 10 février dernier est entrée en application le 1er octobre.
Bien qu’élaboré sous l’égide de Napoléon, le code civil de 1804 n’était pas resté figé dans le marbre pendant plus de deux siècles. La Cour de cassation l’avait, fort opportunément, interprété, adapté, complété quand elle ne l’avait pas combattu, si bien que notre droit des obligations était, paradoxalement, devenu jurisprudentiel. Le législateur a su dessiner un droit des contrats efficace basé sur l’héritage jurisprudentiel et mieux armé dans la compétition entre les grands systèmes juridiques. La partie faible sera mieux protégée et le rôle du juge accru. 2 Il n’en demeure pas moins que ces réformes de fond demeurent lourdes et complexes pour les justiciables. Contrairement aux intentions, régulièrement affichées, elles ne simplifient que très rarement. Si les grandes entreprises peuvent s’y retrouver ce n’est pas le cas des dirigeants de TPE ou de PME. Quelle que soit la mesure annoncée, même en leur faveur, nombre d’entre elles ne la comprennent pas et, souvent même, ne l’entendent plus !

L’instabilité des règles et des procédures est l’un des maux les plus sérieux de notre pays car elle touche à l’essentiel c’est-à-dire à la sécurité juridique ! Comment prendre des décisions et des risques, comment embaucher lorsque l’on pas de repères quant aux textes applicables et qu’en plus la situation économique reste atone ! Nous serons, comme d’autres, et une fois encore, des réducteurs de complexité mais la complexité n’est pas une nécessité et sûrement pas une marque d’efficacité ! Notre culture de la réglementation doit, absolument et rapidement, évoluer !

- Notre cœur de métier est également touché par une autre grande réforme : Favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges alors qu’une procédure est déjà engagée.

Une solution négociée est préférable à une solution imposée. Si la première mission du juge est de trancher les litiges, il peut aussi concilier les parties. Dans le domaine commercial, les types de litiges qui se prêtent à une solution négociée sont nombreux. La loi Justice 21e siècle fixe les règles. Il faut structurer sans rigidifier afin de préserver à la médiation la souplesse qui en fait son intérêt et toute sa richesse. A nous de la rendre attractive et efficace.

Le juge peut directement concilier, en respectant certaines règles, il peut, aussi, déléguer cette mission à un conciliateur de justice, ou à un médiateur lorsque les parties le demandent ou que le litige s’y prête. Concilier ce n’est pas trancher le litige, c’est une parenthèse dans le procès. Concilier nécessite une formation spécifique tant sur le plan de la technique que sur le plan de la déontologie. L’Ecole Nationale de la Magistrature en partenariat avec la Conférence Générale organise de nombreuses formations décentralisées. Les Centres de médiation proposent, aussi, des formations parfaitement adaptées. La Conférence générale a édité un recueil des bonnes pratiques et nommé un délégué national pour permettre un meilleur investissement de chacun d’entre nous. Les MARD s’installent et se développent. Les résultats sont là et ça marche. Plus de 2200 conciliations depuis le début de l’année et plus d’une affaire sur deux se conclue par un accord.

Les réformes ont, aussi, concerné notre organisation et notre statut :

- La loi pour la croissance et l’activité du 6 août 2015 a prévu la création de tribunaux de commerce spécialisés amenés à traiter les procédures collectives les plus complexes ouvertes depuis le 1er mars 2016. Le décret du 26 février a fixé la liste et le ressort des 18 tribunaux de commerce spécialisés.

Chacun le sait, nous sommes et restons, viscéralement, attachés à la justice de proximité. Non par refus d’évoluer mais, tout simplement, parce que le tissu industriel de notre pays est composé, pour l’essentiel, d’entreprises de petite ou moyenne taille réparties sur l’ensemble du territoire et que chacun de nous est préparé à remplir les missions pour lesquelles il a été élu. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvions pas accepter une spécialisation qui ignorait la réalité du terrain. La prévention des difficultés n’a de sens qu’au plus proche des entreprises ! Elle devait le rester ! La création de tribunaux spécialisés n’a de sens que si elle concerne uniquement les entreprises les plus importantes, les opérations les plus complexes. L’objectif est d’aboutir à une solution plus riche en emplois et en activité sur l’ensemble du territoire !

La réforme est en place. Le nombre de dossiers ayant été transmis, à ce jour, à un TCS demeure faible. Des incertitudes demeurent quant aux sociétés pouvant être détenues par une autre. La notion de groupe se doit d’être précisée.

La Loi Justice du XXIe siècle a été promulguée le 18 novembre. Les décrets d’application le seront prochainement. Les dispositions qui concernent notre statut et notre office ont été complétées et regroupées dans un titre unique du code de commerce. La lisibilité en est, ainsi, très nettement, améliorée. Nous le souhaitions !

Ces dispositions ont été précédées de nombreux échanges rendus plus difficiles par l’absence d’un fichier répertoriant l’ensemble des juges en activité. Sur ce point les choses devraient, nous l’espérons, évoluer dans le bon sens. Cette réforme se solde, aujourd’hui, par des sentiments mitigés : D’abord un sentiment de satisfaction, celui d’avoir, grâce à la mobilisation exceptionnelle de chacune et chacun de vous, sous l’impulsion de la Conférence générale conforter notre statut tout en respectant nos spécificités. Je tiens à saluer l’écoute attentive du Garde des sceaux, des services de la chancellerie et du législateur.

- Nous allons bénéficier de la protection statutaire sur le modèle des juges professionnels. Nous devions souscrire une assurance privée !

- Une limite d’âge a été fixée à 70 ans pour toutes les professions réglementées. Après de longues et délicates discussions, la loi nous autorise à siéger jusqu’à l’âge de 75 ans révolus pour 14 ans consécutifs dans le même tribunal.

- Si nous sommes amenés à changer de résidence pour des raisons professionnelles ou personnelles, nous pourrons, beaucoup plus facilement, changer de tribunal en cours de judicature. D’autres dispositions, essentielles, inscrivent dans la loi ce que la Conférence Générale mettait, déjà, en œuvre : la formation et la déontologie.

Notre légitimité repose sur notre compétence et notre indépendance :

La compétence nous oblige à une formation actualisée et approfondie permanente. C’était dans les faits. La loi rend la formation obligatoire. Le partenariat de la Conférence Générale, de plus de 10 ans, avec l’Ecole Nationale de la Magistrature, fonctionne très bien. Les programmes sont préparés en commun. Les formations sont enseignées en binôme, un juge professionnel et un juge consulaire. C’est une belle image d’ouverture et de confiance réciproque qui va bien au-delà de la présentation commune des modules ! Nous continuons à progresser ensemble : Pour des formations plus spécialisées compte tenu de la complexité des textes. C’est indispensable pour accéder à certaines fonctions au sein du tribunal. Pour des formations plus décentralisées et enseignées à distance. Je salue le nouveau directeur de l’ENM Olivier Leurent et la nouvelle responsable de la formation des juges consulaires Anne Cécile Soulard. Vous êtes bienvenus ! C’est l’occasion d’annoncer la signature d’une convention entre la Conférence générale et l’ENM qui a pour objectif de permettre à des auditeurs de l’ENM d’accomplir une partie de leur stage dans les tribunaux qui souhaiteront les accueillir. Des formations sont développées par les Cours d’appel.
Chaque tribunal organise, aussi, ses propres formations. Pour les domaines économiques les plus pointus la Conférence générale développe des partenariats :
- Avec l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, sous la responsabilité du professeur François Xavier Lucas, nous avons ouvert, en octobre dernier, la deuxième promotion du Diplôme Universitaire « Droit des entreprises en difficulté » sous le parrainage de Laurent Vallée, secrétaire général du Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une formation continue de 120 heures qui réunit 22 juges et 4 commissaires au redressement productif. Mais chacun de nous doit pouvoir améliorer ses connaissances du droit des entreprises en difficulté. C’est la raison pour laquelle nous venons de lancer, avec l’Ecole de droit de la Sorbonne, sous la direction du Professeur François Xavier Lucas, une formation à distance du type e-learning. Chacun peut suivre les formations sous forme de vidéos et de notes de synthèse, à partir de son domicile sur son propre ordinateur. Elle donnera lieu, pour les plus assidus qui auront subi avec succès les tests de niveau, à un certificat de « Droit des entreprises en difficulté » délivré par l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.

- Avec l’Association Française des Juristes d’Entreprise nous déclinons sur l’ensemble du territoire une formation de haut niveau décentralisée sur le nouveau droit des contrats que nous renouvellerons autant de fois que nécessaire.

Mais, n’oublions pas que chacun de nous demeure acteur de sa propre formation.

- La formation c’est une façon de mieux appréhender l’indépendance et l’impartialité du juge.

Il n’y a pas de légitimité sans indépendance et impartialité. Ces valeurs doivent nous guider au quotidien. L’émergence de cours supranationales, en particulier celle de la Cour européenne des droits de l’homme, leur donne un périmètre très large. Il ne suffit plus de nous sentir intérieurement impartial pour juger, nous devons observer, nous-mêmes, l’apparence d’impartialité que nous donnons à voir au public. Comme le dit un adage anglais : « Il faut non seulement que la justice soit faite mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous. » Disons le plus simplement : Jugeons comme nous souhaiterions être jugé ! C’est valable, d’abord, dans notre comportement. On ne désigne pas un auxiliaire de justice avec lequel on entretient une relation de proximité personnelle, on ne juge pas une partie avec laquelle on a été ou on est uni par une communauté d’intérêt qu’il soit matériel ou moral ou au contraire à laquelle on est opposé par un différend quelconque. C’est aussi valable pour les décisions que nous prenons : nous devons respecter une totale neutralité dans l’exposé des moyens et motiver la décision prise. Au travers des parties la motivation s’adresse aux institutions et aux justiciables dans leur ensemble. Elle doit être exempte de toute influence ! Notre autorité découle de sa clarté et de sa force de conviction. Une justice comprise et qui inspire confiance est une justice acceptée ! C’est notre responsabilité à nous juges !

La réforme met en place les procédures propres à prévenir les conflits d’intérêts. Une déclaration d’intérêt mais pas de déclaration de patrimoine, un renforcement des pouvoirs des premiers présidents des cours d’appel et la création d’un collège de déontologie auprès du Conseil National des Tribunaux de Commerce. Le président Jean Pierre Rémery, conseiller à la Cour de cassation a été nommé membre du collège. Mais la déontologie, science de ce qui convient, c’est d’abord, une question de culture. Nous devons, en permanence, nous interroger, réfléchir sur la nature et la qualité de la relation à entretenir avec le justiciable et les auxiliaires de justice afin de déterminer pour chaque situation cette juste distance composée tout à la fois d’humilité, d’écoute et de bienveillance mais aussi d’autorité, d’impartialité et d’indépendance. « Pas trop de relation, pas trop d’isolement. Voilà où est la sagesse » selon Confucius.

Je disais, à propos de ces réformes, sentiment de satisfaction mais demeure, aussi, un goût d’amertume non parce que nous n’avons pas été, totalement, entendus car, au final, c’est le législateur qui fait la loi. Non, c’est un sentiment d’inachevé :

D’abord parce que le diable peut se cacher dans les détails …

Si le législateur fixe les règles, nous sommes responsables du fonctionnement harmonieux de nos juridictions. Il nous incombe de veiller aux dispositions de mise en application ! Attention à ne pas désorganiser les tribunaux avec des dates de mise en application non adaptées suite aux mesures d’âges, de mandats ou d’incompatibilité ! Attention, aussi, à ne pas rendre une formation obligatoire sous peine d’être réputé démissionnaire, sans même en rembourser les frais de déplacement ! La formation comme l’indépendance n’ont aucune consistance réelle si elles ne sont pas soutenues par des moyens à la hauteur de nos missions. Et c’est le cas aujourd’hui ! Rappelons- nous Marc Aurèle « seul un esprit serein est en état de juger ». Nos besoins budgétaires, matériels et de formation sont quasi inexistants à ce jour. Ils doivent être évalués et financés. Le Premier président de la Cour de cassation ainsi que le Procureur général près de cette même cour ont constitué un groupe de travail chargé de réfléchir à une organisation budgétaire de l’autorité judiciaire visant à mieux garantir l’exécution de ses missions. Nous sommes concernés. Nous avons demandé à y être associés. Nous le sommes. Nous en attendons des résultats féconds et 4 rapides ! Sentiment d’inachevé aussi, parce que, et chacun de nous le sent bien, ces réformes ne prennent pas, suffisamment, en compte l’évolution du monde économique et financier, elles manquent du souffle nécessaire pour préparer l’avenir.

N’attendons pas tous des autres ! Nous devons jouer un rôle actif dans l’évolution de notre fonction de juge du commerce et de l’économie. Soyons force de proposition !

Certes, notre efficacité n’est pas en cause : selon les chiffres clés de la justice 2016 la durée moyenne des affaires terminées est de 5,3 mois pour nos tribunaux, inférieure à toutes les autres juridictions, le taux d’appel sur les jugements au fond est de 14,7% inférieur, lui aussi, à toutes les autres juridictions.

Mais nous devons nous renforcer : nous sommes élus avec une base électorale trop restreinte. Pour certains, il y a un risque de cooptation. Nous sommes efficaces. Pour certains, l’aléa judiciaire est trop important.

Le risque de cooptation pose la question du renouvellement des juges, environ 300 chaque année. Un certain nombre de tribunaux peinent à trouver des dirigeants de qualité disponibles pour assurer une fonction de plus en plus exigeante. L’entreprise est au cœur de nos tribunaux, en tant que justiciables mais aussi en tant que juges. Au-delà de nos relations avec les organisations professionnelles et les chambres de commerce, la Conférence Générale a passé des partenariats avec l’AFJE et le Cercle Montesquieu pour attirer de nouveaux candidats. IL ne faut pas multiplier à l’excès les obstacles et il faut valoriser la fonction de juge du commerce. Il ne s’agit pas de remettre en cause le bénévolat qui nous constitue. Sauf à rappeler qu’il est peu connu, souvent incompris pour ne pas dire suspect ! Nous développons des formations universitaires diplômantes, très utiles, dans le cadre d’une carrière professionnelle. Mais il faut trouver avec les entreprises et les pouvoirs publics d’autres moyens de valoriser la fonction. C’est, seulement, ainsi que nous arriverons à conserver la qualité et la diversité requises.

Se pose, aussi, la question de la base électorale qu’il est impératif d’élargir. C’est une demande récurrente de la Conférence Générale. La loi va dans ce sens puisque les chambres des métiers vont, aussi, pouvoir participer aux élections des juges consulaires. Cette réforme d’importance élargira notre compétence aux litiges entre artisans. Pour des raisons techniques elle interviendra en 2022.

- La question de la prévisibilité de nos décisions doit, aussi, être posée. Nous devons apprendre à travailler mieux ensemble, d’une façon plus efficace et plus harmonieuse. Notre action personnelle doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion collective. La prévisibilité de nos décisions suppose une mise en commun du savoir et une bonne connaissance des décisions des cours supérieures. Le juge est indépendant et doit le rester, mais cela ne veut pas dire qu’il doit être solitaire. Pour reprendre la formule du premier président de la Cour de cassation, chacun de nous doit « développer un sens plus collégial de l’indépendance. » C’est ainsi que nous apporterons une réponse efficace au grief portant sur l’imprévisibilité et l’aléa des décisions.

Le renforcement de la juridiction commerciale française pose, plus largement, la question de l’évolution de la justice économique et commerciale en Europe et dans le monde.

- Contrairement à ce que nous entendons trop souvent, des juges issus de l’entreprise et élus par leurs pairs, participent à la justice commerciale dans de nombreux pays européens. Nous sommes membres de l’Union Européenne des Magistrats statuant en matière commerciale. Plus de 500 ans d’existence. Je salue la présence parmi nous du président Rainer Sedelmayer qui est autrichien, de la vice- présidente Belge Paulette Vercauteren et du vice-président français, bien connu de nous tous, Jean Bertrand Drummen. A l’heure où pour parvenir à une meilleure harmonisation du droit de l’insolvabilité européenne, les professionnels sont amenés à se coordonner, il est temps que les juridictions, elles- mêmes, puissent mieux se connaître pour travailler, efficacement, ensemble.

- Car les défis sont à nos portes : Nous sommes à la charnière entre deux mondes. Un univers, essentiellement, national, un monde matériel basé sur l’écrit et la rencontre physique, un monde ou règne la loi et où les professions sont tranquilles chez elles. Et un nouveau monde qui déroute : Il se dématérialise. Il échappe aux territoires. Toutes les frontières se brouillent. Nous entrons dans un monde dans lequel l’avenir « n’est précédé d’aucun testament » pour reprendre l’aphorisme de René Char. Ces changements sont portés par le progrès technologique et la mondialisation des échanges et des droits. Ils sont irréversibles. La digitalisation de l’économie va changer le monde car elle redéfinit l’espace entre les hommes et entre les objets. La caractéristique première du numérique est de mettre un maximum d’informations à disposition des entreprises. Les millions de décisions rendues par tous les tribunaux de France seront disponibles en open data c’est-à-dire en accès libre. L’enjeu sera de faire parler cette mémoire numérique de la justice pour refléter, au mieux, les décisions prises par les juges. Alors la justice prédictive fera son entrée dans notre pays ! Nous aurons, sur ce sujet, une table ronde animée par le spécialiste incontestable du sujet le professeur Bruno Dondero.

Le défi de la mondialisation doit aussi être relevé.
Il faut répondre aux préoccupations des entreprises qui sont toutes appelées à être en lien avec le monde. Nous devons porter notre regard au-delà de l’hexagone et accepter la réalité économique qui est celle de notre temps. Le juge connaîtra les normes étrangères. La tradition française, idéalisant la loi comme source principale du droit, est remise en cause. Petit à petit nous serons amenés à intégrer dans les motivations de nos jugements des notions venues d’autres systèmes juridiques. C’est un nouvel espace passionnant qui s’ouvre à nous !

IL ME FAUT MAINTENANT CONCLURE
Je voudrais, d’abord, saluer toutes celles et tous ceux qui, dès le mois prochain, dans nos 134 tribunaux, revêtiront la robe de juge, auront la même boule au ventre que nous avons tous eue lorsqu’ils feront face, pour la première fois, aux avocats et aux parties. Lorsqu’ils comprendront que « la sagesse du jugement consiste à élaborer des compromis fragiles où il s’agit de trancher moins entre le bien et le mal, entre le blanc et le noir qu’entre le gris et le gris ou entre le mal et le pire …. » selon la belle formule de Paul Ricoeur. Ils devront examiner avec la même attention, la même écoute, la même patience les arguments développés devant eux quand bien même ces arguments tendraient à les déstabiliser.

«  Juger c’est savoir écouter, essayer de comprendre et vouloir décider  » selon la définition, bien connue, de Pierre Drai, ancien premier président de la Cour de cassation. Faites en sorte que toute volonté de croire est une raison de douter !

Je voudrais, au nom de tous, remercier toutes celles et tous ceux qui vont achever, en cette fin d’année, leur judicature et leur dire toute l’admiration et tout le respect que nous leur devons. Aucun d’entre nous ne quitte le bateau avant l’heure sauf pour raisons de santé, des raisons familiales ou professionnelles. Alors je leur dis bon vent et soyez fier de la mission accomplie mais n’oubliez pas que vous pouvez continuer à servir l’institution en rejoignant les équipes en charge de l’anticipation des entreprises en difficulté ou de l’apaisement des litiges ! Il y a du travail passionnant qui ne manque pas et que la limite l’âge n’atteint pas ! Je voudrais aussi saluer toutes celles et ceux qui m’ont aidé durant ces trois années à maintenir le cap et aller de l’avant. Merci aux présidents de nos tribunaux de commerce, merci aux membres du conseil d’administration, merci aux membres de nos comités et commissions, merci aux membres de mon bureau, à mon secrétaire général et merci à la directrice de la Conférence sans laquelle, je vous l’assure, rien ne serait possible. Merci à toutes et tous pour le travail accompli et votre dévouement ! Quant à moi, après près de 20 ans passé dans vos rangs, il me reste à vous saluer en vous remerciant pour votre soutien sans faille, votre amitié jamais démentie, à vous dire le plaisir qui a été le mien de travailler avec vous. Gardez confiance et espérance dans l’avenir. N’oubliez pas que la confiance, elle ne se réclame pas elle se gagne. Elle se gagne en goutte mais elle peut se perdre en litre car elle n’est jamais définitivement acquise. La confiance c’est ce ciment invisible qui conduit une équipe à gagner.
Aucun projet ne peut aboutir sans la confiance ! Et j’ai confiance dans l’équipe qui va prendre le relais.
L’avenir, c’est la foi de notre âge, c’est le flambeau du passé et c’est l’étoile du présent. « L’avenir, pour Paul Valery, c’est la parcelle la plus sensible de l’instant ».

Photo de Une : De gauche à droite : David Galtier, Général de Gendarmerie, commandant la zone sud de la France, Dominique Tian, Député (LR) de Marseille et 1er adjoint de la Ville de Marseille,
Jean-Marie Huet, Procureur Général CA d’Aix-en-provence, Jean-Claude Gaudin, Sénateur-Maire de Marseille, Stéphane Bouillon, Préfet de Région, Jean-Jacques Urvoas, Ministre de la Justice,
Yves Lelièvre, Président CGJCF, Bruno Nivière, Président TC Marseille, Chantal Bussière, 1e Présidente de la CA d’Aix, Georges RICHELME, Vice-Président de la CGJCF

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