Enquête sur une magistrate

Enquête sur une magistrate : le communiqué du procureur de Nice

Damien Martinelli, procureur de la République de Nice, a publié ce matin le communiqué suivant à la suite de l’enquête confiée au parquet niçois sur les liens présumés entre une magistrate et un individu corse « très défavorablement connu des services de police ».

Communiqué du Procureur de la République de Nice

« À la lumière d’interceptions téléphoniques, (il est apparu) que cette magistrate, affectée après la Corse au parquet de Toulouse, paraissait dans une relation de proximité avec un individu très défavorablement connu des services de police, au sujet notamment de travaux dans une villa dont elle était occupante située sur la rive sud d’Ajaccio. Outre le cadre de ces travaux, les conversations permettaient de s’interroger sur les éventuelles contraintes susceptibles de peser sur certains prestataires intervenants.

« En contacts réguliers également avec d’autres personnes connues des services de police, et possiblement d’elle-même pour avoir eu à connaître de dossiers les concernant, la magistrate semblait entretenir une grande proximité faite notamment de services réciproques.
Parmi les services rendus, l’enquête mettait en évidence que la magistrate aurait pu, outre des conseils juridiques, rechercher et communiquer des informations concernant des procédures en cours ou des données issues de fichiers.

« Ce cercle d’amis entourant la magistrate ne manquait pas de souligner sa profession, cette proximité pouvant apparaitre aux yeux de ses membres comme une garantie en cas de difficultés judiciaires tout en démontrant, aux yeux des autres, une capacité d’influence étendue.
Par ailleurs, l’enquête préliminaire, au terme d’un travail très précis et très approfondi des enquêteurs et au travers notamment de perquisitions, exploitations de supports informatiques, de témoignages, d’analyses de documents bancaires et d’analyses de dossiers judiciaires clôturés allait mettre en évidence des éléments permettant d’envisager la possible commission de faits de faux en écriture publique par dépositaire de l’autorité publique et usage ainsi que de détournement de fonds publics.

« Les résultats des investigations permettaient en effet de considérer que, dans plusieurs des fonctions occupées, la qualité de juge d’instruction aurait pu être utilisée pour établir de fausses ordonnances de commission d’expert et de fausses ordonnances de taxe en désignant fictivement des proches afin d’obtenir indirectement et indument le versement de sommes au titre des frais de justice pour la réalisation d’expertises fictives, ce en matière informatique et en traduction.
Outre la possible implication d’un ex-conjoint, il apparaissait également que l’identité et les comptes bancaires de jeunes filles au pair présentes au domicile auraient pu être utilisés dans le cadre du détournement de fonds publics reposant sur ces faux.
Au total, le montant global des détournements pourrait être évalué à plus de 120000 €.
L’enquête permettait également de considérer qu’au possible mépris du respect des règles en matière d’urbanisme, de droit du travail et d’obligations fiscales, les fonds détournés auraient pu être utilisés pour procéder à différentes opérations de valorisation du bien immobilier précité.
La magistrate était interpellée le 3 avril 2024 à l’un de ses domiciles par les enquêteurs de l’OCLCIFF.

« Placée en garde à vue, elle acceptait de faire des déclarations et répondait à quelques questions en contestant d’abord toute infraction et tout manquement à ses obligations professionnelles. Elle reconnaissait ensuite uniquement une consultation illicite de données au profit d’un individu défavorablement connu.
Elle est déférée ce jour dans le cadre de l’ouverture d’une information judiciaire des chefs de :
- Faux en écriture publique ou authentique par un dépositaire de l’autorité publique
- Usage de faux en écriture publique ou authentique
- Détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l’autorité publique
- Recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé en bande organisée
- Trafic d’influence passif et actif : sollicitation ou acceptation d’avantage par une personne pour abuser de son influence auprès du personnel judiciaire national
- Association de malfaiteurs en vue de préparer un crime ou un délit puni de 10 ans
- Blanchiment de délits n’excédant pas 5 ans (notamment de fraude fiscale et de détournement de fonds publics)
- Construction sans permis
- Détournement de la finalité de fichiers de données personnelles
- Association de malfaiteurs en vue de la préparation et de la commission de délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement
- Complicité de violation du secret professionnel
- Recel de détournement de la finalité de fichiers de données personnelles
- Extorsion en bande organisée
- Abus de biens sociaux d’une SARL par un gérant à des fins personnelles
- Recel du délit d’abus de biens sociaux
- Corruption active
- Corruption passive
- Complicité de détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l’autorité publique
- Recel de détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l’autorité publique
- Violation du secret de l’enquête ou de l’instruction

« Sa mise en examen est demandée pour les onze premières infractions listées. Les faits reprochés portent sur une période totale comprise entre 2008 et 2022.
Des réquisitions de placement en détention provisoire sont prises pour les motifs suivants : conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité, empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille, empêcher une concertation frauduleuse entre la personne concernée et ses coauteurs ou complices, mettre fin à l’infraction et prévenir son renouvellement.

« Ces réquisitions sont également motivées par la nécessité de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission et l’importance du préjudice causé, les faits de faux en écriture publique par dépositaire de l’autorité publique et usage susceptibles d’être caractérisés étant notamment de nature à remettre en cause la nécessaire confiance dans l’autorité judiciaire ».

Le contexte de l’affaire

« Le 26 janvier 2021, dans la suite d’un double dessaisissement d’abord du parquet JIRS de Marseille puis du parquet d’Ajaccio, une enquête était ouverte par le parquet de Nice des chefs notamment de recours en bande organisée aux services de personnes exerçant un travail dissimulé, de blanchiment de fraude fiscale, de trafic d’influence actif et passif des autorités judiciaires et d’association de malfaiteurs en vue de la préparation de ces infractions, faits susceptibles de mettre notamment en cause une magistrate précédemment en fonctions comme juge d’instruction en Corse. L’enquête devait ensuite être élargie des chefs notamment de faux en écriture publique par dépositaire de l’autorité publique et usage, faits de nature criminelle, et de détournements de fonds publics.

« Les investigations conduites sous la direction du parquet de Nice étaient confiées à titre principal à l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), en co-saisine avec le service interdépartemental de la police judiciaire d’Ajaccio et la section de recherches d’Ajaccio de la gendarmerie nationale.

Visuel de Une (Archive octobre 2023) Damien Martinelli lors de son audience solennelle d’installation au TJ de Nice ©S.G

deconnecte