Premières impressions (...)

Premières impressions sur la réforme du Code des marchés publics

Alors que la partie « législative » du nouveau droit des marchés publics a été adoptée il y a plusieurs mois déjà (ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015), la partie réglementaire du dispositif se fait attendre. C’est pourtant ce texte qui déterminera une grande partie des nouvelles obligations des acheteurs publics. Si le projet de décret soumis à la concertation par le Ministère de l’économie et des finances au début du mois de novembre 2015 lève un certain nombre d’incertitudes quant à la portée de la transposition de la directive 2014/24 par le gouvernement, toutes les zones d’ombre n’ont pas disparu. Tour d’horizon des principaux apports du projet de décret à la réforme qui devrait entrer en vigueur le 1er avril 2016.

Des incertitudes sur la portée des nouvelles obligations en matière d’allotissement

Si l’obligation d’allotissement prévue dans l’ordonnance 2015-899 ne constitue pas une nouveauté, du moins pour les acheteurs publics appliquant le code des marchés publics, il en va autrement pour tous les organismes actuellement soumis à l’ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005. La description des modalités précises de cette obligation revêt ainsi d’autant plus d’importance. Sur ce point, le projet de décret, s’inscrivant dans la droite ligne de l’ordonnance 2015-899, va au-delà des obligations prévues par la directive 2014/24.

Certes, conformément au dispositif de la directive, l’article 11 du projet de décret confirme qu’en cas d’absence d’allotissement, l’acheteur doit motiver son choix dans les documents de consultation ou le rapport de présentation. Toutefois, cette obligation de motivation a une portée bien différente en droit national, du dispositif communautaire.

En effet, pour rappel, l’article 46 de la directive 2014/24 fait de l’allotissement une simple faculté pour l’acheteur, qui, selon le considérant 78 de la directive, doit être « encouragé à diviser en lots les marchés importants ». En conséquence, si le pouvoir adjudicateur doit justifier des raisons le conduisant à ne pas allotir son marché, celui-ci « demeure libre de prendre sa décision de façon autonome sur la base de tout motif qu’il juge pertinent, sans faire l’objet d’un contrôle administratif ou judiciaire ».

Au contraire, en droit français, le juge effectue un contrôle poussé des motifs conduisant à ne pas allotir, permis par l’énumération de ces motifs exhaustifs par l’article 10 du code des marchés publics. Or, c’est précisément ce même dispositif qui est reconduit dans l’ordonnance, alors que la directive ne l’imposait pas. En conséquence, le nouvel affichage des motifs, a fortiori en début de procédure, ne peut que renforcer encore les pouvoirs de contrôle du juge à ce titre.

L’article 25 du décret précise en outre les obligations d’information des candidats en cas de procédure allotie. Le pouvoir adjudicateur devra ainsi préciser, à chaque fois que le marché est alloti, les modalités de réponse aux lots et le nombre maximum de lots pouvant être attribués à un même soumissionnaire dans les documents de consultation.

De même, lorsque le pouvoir adjudicateur aura décidé de limiter le nombre de lots susceptibles d’être obtenus par une même entreprise, il devra fixer les règles d’attribution des lots en cas de lots « surnuméraires ».

La combinaison de l’ensemble de ces obligations, achève d’ériger, pour tous les acheteurs publics, l’allotissement comme une obligation de principe. Ainsi, les dispositions du projet de décret, quant à la nouvelle possibilité, prévue par l’ordonnance 2015-899, d’autoriser les candidats à présenter des offres variables en fonction du nombre de lots susceptibles d’être obtenus, étaient très attendues.

Les acheteurs vont être sur ce point assez déçus. Le projet de décret dans sa version actuelle ne comprend pas de précision relative aux modalités de jugement des offres, dans le cas où le soumissionnaire est autorisé à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus, même si bien évidemment cette possibilité et ses modalités doivent être indiquées dans les règles de la consultation.

En revanche, jusqu’où doivent aller ces précisions ? Afin d’assurer l’égalité de traitement des candidats, il paraît indispensable au pouvoir adjudicateur d’anticiper les différentes combinaisons de réponse, et en tirer les conséquences, tant sur la structure des lots que sur les modalités de jugement des offres combinées. De même, la présentation d’offres variables autorise-t-elle l’acheteur à apprécier concurremment la dévolution d’un marché alloti et d’un marché global, en autorisant par exemple la présentation d’une offre variable uniquement sur l’ensemble des lots ? Tant de questions qui pourraient être in fine tranchées par les juridictions, entraînant leur « lot » d’insécurités juridiques.

Un champ de la procédure concurrentielle avec négociation incertain

Entérinant le nécessaire assouplissement des procédures de passation formalisées prévu par la directive 2014/24, l’ordonnance crée, au-dessus des seuils communautaires, une nouvelle procédure concurrentielle avec négociation. Le projet de décret précise ces cas de recours à la procédure concurrentielle avec négociation et les aligne sur les cas de recours au dialogue compétitif.

On ne s’en étonnera donc pas, l’article 25 du projet de décret prévoit la possibilité de négocier au-dessus des seuils chaque fois qu’une complexité technique, ou la nature particulière du marché le justifie. A ce titre, il est possible de passer une procédure concurrentielle avec négociation, lorsque le besoin consiste en une solution innovante au sens de l’article 90 du décret, lorsque le marché public comporte des prestations de conception, lorsque le marché ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, sa complexité ou au montage juridique ou financier ou en raison des risques qui s’y rattachent, ou encore lorsque le pouvoir adjudicateur n’est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante en se référant à une norme, une évaluation technique européenne, une spécification technique commune ou un référentiel technique.

Toutefois, il est dorénavant également possible de passer un marché selon une procédure négociée au-dessus des seuils lorsque le besoin ne peut être satisfait « sans adapter les solutions immédiatement disponibles ». Le caractère générique de cette expression, directement tiré de la directive, laisse insuffisamment présager le champ réel de ce cas de recours à la procédure concurrentielle avec négociation. Si les considérants de la directive font principalement référence aux marchés de travaux, aucune limitation de ce type n’est prévue par le texte. On ignore pour l’instant si, concrètement, cette hypothèse englobera ou non largement les marchés de travaux et de services, en ouvrant à l’acheteur public la possibilité de négocier, dès lors qu’il ne se borne pas à acquérir un produit « sur étagère ».

Des modalités de publicité et de mise en concurrence modernisées et simplifiées

Si les modalités de publicité existantes sont maintenues et les cas de dispense de publicité et de mise en concurrence restent globalement les mêmes, le seuil de publicité et de mise en concurrence facultatif est relevé à 25.000 euros. Les procédures devront par ailleurs être entièrement dématérialisées, selon un calendrier fixé par l’article 40 du décret. Ainsi, jusqu’au 1er octobre 2018, la dématérialisation reste facultative, mais l’acheteur pourra l’imposer et ne pourra refuser de recevoir les candidatures et les offres par voie électronique. La dématérialisation est en revanche obligatoire pour les marchés de fournitures de matériel informatique et les marchés de services informatiques. A partir du 1er octobre 2018, toutes les communications et tous les échanges sont effectués par voie électronique.

Autre élément de simplification, la distinction entre les services inclus et « exclus » (articles 29 et 30 du code des marchés publics) est supprimée, de sorte que tous les marchés de services sont soumis aux procédures formalisées dès 209.000 euros. Seuls les services sociaux conservent un régime allégé de publicité et de mise en concurrence, selon l’article 28 du décret. Exception notable, ou survivance de cet ancien régime, l’article 29 du décret prévoit la possibilité de passer les marchés de services juridiques avec un avocat selon une procédure adaptée sans limitation de montant. Il est vrai que la directive 2014/24 excluait en principe ces marchés du champ d’application des règles de mise en concurrence, le gouvernement français ayant au contraire souhaité conserver le principe de soumission des marchés de services juridiques aux règles des marchés publics.

Conséquence de la dématérialisation, les délais minimaux de réception des candidatures et des offres sont réduits. A titre d’exemple, en appel d’offres ouvert, le délai minimal est de 35 jours à compter de l’envoi de l’avis en appel d’offres ouvert et 30 jours en cas d’appel d’offres restreint. Autre assouplissement, il est dorénavant possible en appel d’offres ouvert d’examiner les candidatures avant les offres (article 64 et 65).

Enfin, la définition des offres irrégulières inacceptables, inappropriées est modifiée pour autoriser le pouvoir adjudicateur à admettre le plus largement possible la régularisation des offres, ce qui constitue une nouveauté importante en procédure formalisée. Le pouvoir adjudicateur peut autoriser la régularisation des offres irrégulières dans tous les cas (article 56), et même, dans certaines procédures, les offres inacceptables. Selon l’article 59, le marché est attribué soit sur la base d’un critère unique du prix ou du coût ; soit (ce qui est obligatoire pour le dialogue compétitif et le partenariat d’innovation) sur la base d’une pluralité de critères. Conformément à la pratique des acheteurs publics, ces critères pourront prendre dorénavant officiellement en compte l’organisation, la qualification et l’expérience du personnel assigné à l’exécution du marché, lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d’exécution du marché public.

Si on peut à titre anecdotique relever que quelques nouveaux critères de choix comme la diversité ou le bien-être animal sont ajoutés à la liste de l’article 53 du code des marchés publics, l’article 60 du décret précise quant à lui les coûts pris en compte dans le coût du cycle de vie.

L’existence des avenants consacrée

Si le régime d’exécution financière des marchés est globalement reconduit, la grande nouveauté introduite par l’article 134 du décret est de permettre la modification du marché par avenant. Il sera dorénavant largement possible de modifier le marché initial. Outre le cas de cession, ou de modification prévue dans le marché initial, l’avenant peut résulter également d’un cas de nécessité (ancien cas de marché complémentaire). Plus intéressante encore, la possibilité de modifier le marché en cas d’augmentation inférieure au seuil de l’article 42 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et dans la limite de 10% (marché de services et de fournitures) ou 15% (marchés de travaux) du montant du marché initial. Le décret prévoit même, conformément à l’expression consacrée, la possibilité d’apporter au marché toute modification non substantielle, telle que définie par le texte. Si les assouplissements prévus par les textes semblent ainsi prendre en compte certaines contraintes des acheteurs publics, la portée de ces nouvelles dispositions ne saura toutefois réellement connu qu’une fois que les acheteurs, et les tribunaux, seront saisis de l’application concrète du nouveau dispositif.

Par Amélie Mailliard
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet ALONSO MAILLIARD

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