Edito hebdo - Élastique

Edito hebdo - Élastique ou caoutchouc ?

Reprenant à son compte une vieille tradition soviétique, Vladimir Poutine, qui a été formé par le KGB, prend avec la vérité la même distance que ses prédécesseurs. À l’en croire, il y a un peu plus de deux ans, lorsque les troupes russes se sont massées à la frontière ukrainienne, c’était seulement pour « des manœuvres  » militaires. «  Circulez, rien à voir » : il n’y avait, selon lui, que les dangereux Occidentaux pour imaginer qu’il puisse envahir le pays voisin… Bien sûr, si les soldats de Moscou se sont finalement rués dans une offensive criminelle, c’est seulement parce qu’ils y ont été contraints et forcés par l’attitude agressive de l’Otan, qui est comme chacun sait dirigée par les nazis (!). Selon le Kremlin, la Russie serait encerclée et donc menacée dans son existence même.
Soyons sérieux.
À qui revient la faute si des pays voisins veulent aujourd’hui rejoindre l’Alliance atlantique pour garantir leur sécurité ? Pourquoi la Suède a-t-elle brusquement tourné le dos à deux siècles de « pacifisme » ? Pourquoi la Finlande s’est-elle soudain engagée aux côtés des Occidentaux ? Pourquoi d’autres pays, dont la Moldavie, espèrent aujourd’hui bénéficier d’un parapluie assez large pour ne pas essuyer un orage venu de Russie ?
De même, lorsque le ministre des Armées de France Sébastien Lecornu a pensé utile d’appeler au téléphone son homologue russe la semaine dernière pour l’informer que Paris n’avait pas trouvé de lien entre le lâche attentat commis à Moscou et l’Ukraine, le ministre russe de la Défense (de l’attaque serait un titre plus exact) s’est ensuite précipité pour publier un communiqué dans lequel il espère que la France... n’est pour rien dans cette attaque. Peu importe pour ce dernier que cet attentat a été revendiqué par l’État islamique, qu’il n’est pas le premier du genre commis sur le sol russe, que les services occidentaux avaient prévenu Moscou de l’imminence d’un risque terroriste, que notre pays a déjà payé un lourd tribut aux fanatiques et reste plus que jamais une cible...
La ficelle employée par le ministre russe est si grossière qu’elle n’abuse personne. Elle souligne cependant l’état d’esprit prévalant à Moscou, avec une vérité s’écrivant « élastique  » mais se prononçant « caoutchouc », où le mensonge alterne avec la menace. Le Kremlin ne pardonne pas à Emmanuel Macron de dire à chaque occasion que la Russie «  ne doit pas gagner la guerre », que les démocraties doivent faire bloc contre cette dictature, aussi dangereuse pour la paix en Europe que pour son propre peuple. Les autres alliés occidentaux sont logés à la même enseigne de la désinformation et du trucage permanent, même si Paris est en ce moment davantage ciblé par l’ours moscovite.
Le jour où cette guerre s’arrêtera – espérons le plus tôt possible – il faudra bien se mettre autour de la table pour discuter des nouvelles règles régissant les rapport entre la « sphère » russe et la « sphère » occidentale. On voit déjà le problème : quelle valeur accorder à la parole de Moscou qui foule aux pieds les traités et ses propres engagements sous des prétextes fallacieux ?
L’histoire est un éternel recommencement, et ce n’est guère rassurant…
J.-M. CHEVALIER

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