Dollar : vers le hard

Dollar : vers le hard landing

Un regain de confiance se propage dans l’opinion mondiale et sur les marchés. Accréditant l’idée que les « plans » en cours ramèneront le calme un jour prochain. Une thèse infirmée par le comportement de la Banque centrale chinoise. Qui apparemment se déleste de ses positions en dollars. Avant de précipiter le massacre du billet vert ?

Souvenez-vous que lors du récent G20, premier exercice du genre, la Chine a officiellement jeté sur le tapis une demande jusque là officieuse, visant à instituer une nouvelle monnaie de réserve internationale. Le dollar empoisonne la vie de tout le monde, à l’exception notable des Américains, bien entendu. Et ce depuis pas mal de temps. Exactement depuis le fatidique 15 août 1971 : pendant que vous faisiez bronzette sur la caillasse de Saint-Trop’, le père Nixon en profitait pour déconnecter le dollar de son équivalence en or (1/35ème d’once). C’est-à-dire que l’étalon du système financier mondial devenait désormais… élastique. Un peu comme si l’on décrétait demain que le mètre pouvait indifféremment valoir, au hasard, 60 ou 140 cm, un peu plus ou un peu moins, selon l’humeur des marchés du moment. De quoi transformer rapidement votre hôtel particulier en chambre de bonne, dans les phases de rétrécissement de l’étalon. La planète s’est finalement plutôt bien accoutumée à l’extravagance des changes flottants. Pour une raison simple : les Américains sont nombreux, ce sont des obsessionnels de la dépense, et ils se sont comportés durant cette longue période en consommateurs insatiables. Achetant au reste du monde tout ce qu’il avait à leur offrir. Du pétrole, d’abord, pour alimenter les bagnoles yankees aussi boulimiques que leurs propriétaires. Grâce à quoi les monarchies du Golfe ont amassé des tas de dollars.
Que faire de ces monts de thunes (vertes) quand on vit dans les dunes (jaunasses) ? Eh bien, on peut les gaspiller en joujoux coûteux, assortis de leurs munitions (le tout acquis aux States), et engloutir le solde en instruments de la dette américaine, reconditionnés pour être hallal. Ensuite, la montée en puissance de l’industrie asiatique a concentré du dollar dans les coffres de la Banque centrale chinoise. Laquelle, non contrainte par des interdits religieux, a stocké massivement des T-bonds et autres titres de créances US (environ 1 400 milliards de dollars à ce jour, sur un peu plus de 2 000 milliards de réserves de change). Cela fait beaucoup d’argent placé sur une même signature, dont la qualité est devenue très suspecte : l’Oncle Sam ayant accumulé une dette (publique et privée) dépassant 3,5 fois son PIB, les créanciers sont bien fondés à nourrir quelques inquiétudes…

La Chine se défausse

Seulement voilà : comment continuer à satisfaire un très bon client sans accepter de lui faire crédit ? C’est le jeu du « je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ». Un jeu dans lequel les Américains espèrent avoir emprisonné leurs fournisseurs-créanciers, si possible pour l’éternité. C’est précisément pour sortir de ce piège que plusieurs pays, dont la Chine, tentent de déboulonner le dollar de son statut impérial de monnaie de réserve, qui confère à l’émetteur un droit de seigneuriage abusif, et une capacité d’endettement dangereusement illimitée. Les premiers pas timides accomplis lors du G20, en faveur de l’accroissement des DTS du FMI, ne constituent en aucune façon une solution alternative, ni l’amorce du déclin du dollar. Le dispositif a surtout permis aux Etats-Unis de botter en touche. Mais la partie continue. Et il serait sans doute imprudent de sous-estimer la volonté des Chinois. Leur risque immédiat, en cas de collapsus sur le dollar, c’est de se faire méchamment écorner sur leurs énormes réserves de change encore libellées dans cette devise. Le problème consiste donc à se défausser du billet vert.

Le ménage a déjà largement commencé : Pékin achète à tour de bras des actifs réels, notamment les producteurs de matières premières. La banque centrale conclut également des swaps de devises, mais les montants en cause ne sont pas dévoilés. On sait toutefois que son rythme d’acquisition de T-bonds US ralentit fortement, et l’on sait aussi que ses derniers achats portent sur des échéances à… trois mois. Donc très rapprochées. Il n’est par ailleurs pas impossible que la Banque procède à des arbitrages au sein de son portefeuille, afin de raccourcir a « duration » de ce dernier, c’est-à-dire l’échéance moyenne des titres. Si bien que Pékin pourrait avoir, de longue date, préparé une fuite « en ordre » de ses positions en dollars, sachant que des ventes massives de sa part auraient pour effet d’en écraser le cours, et ainsi de laminer la valeur de son trésor. Il nous paraît en tout cas hautement improbable que les Chinois aient pris le risque de défier les Américains sur le terrain monétaire – avec une espérance de réussite quasi-nulle lors du G20 – sans avoir préparé de solution alternative. La « grande banque » américaine, c’est-à-dire les JP Morgan et autres Goldman Sachs, contrôle objectivement le pouvoir américain depuis des lustres, et pourrait étendre sa mainmise à la planète entière si le système-dollar venait à perdurer. On comprend que l’enjeu n’est pas mince. En dépit de ses éblouissants succès récents – son « sauvetage » pharaonique par l’Etat –, Wall Street n’a pas encore gagné la partie, ni même recouvré sa solvabilité. Et la prochaine étape de cette guerre financière pourrait se jouer avec le décrochage soudain et brutal du billet vert sur le marché des changes. Une crise exceptionnelle ne pourra se solder que par une entropie exceptionnelle du système ambiant, c’est-à-dire par une descente exceptionnelle dans le désordre. Autant s’y préparer…

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