DROIT DE L'ARBITRAGE (...)

DROIT DE L’ARBITRAGE : L’arbitre unique désigné par les parties

Notre précédente contribution [1] suggérait in fine, à propos du coût de l’arbitrage, de reposer la question de l’arbitrage à juge unique. La problématique est simple en effet : si les honoraires d’un arbitre unique sont moins lourds que ceux d’un collège de trois arbitres, la pratique est souvent réticente à ne désigner qu’un seul arbitre, en réminiscence sans doute de l’adage "juge unique, juge inique".

Par Dominique VIDAL Professeur émérite, avocat honoraire Arbitre agréé, ICC, CMAP, IEMA

[email protected]

L’article 1451 CPC dispose que "le tribunal arbitral est composé d’un ou de plusieurs arbitres en nombre impair". Même en l’état d’une convention d’arbitrage (clause compromissoire ou compromis) qui prévoit un tribunal arbitral à trois membres, les parties peuvent encore convenir, à l’acte de mission, de désigner un arbitre unique. Leur liberté est donc totale à cet égard, sous la seule réserve, évidemment, que leur volonté en ce sens soit réelle et commune, et qu’elle soit éclairée. Comment l’éclairer ?

Les craintes suscitées par l’arbitrage à juge unique

On sait l’hésitation, la perplexité, la crainte ou la frayeur que peut faire naître en pratique l’hypothèse d’un arbitre unique. Ne serait-ce pas altérer la qualité du délibéré ? Le "délibéré avec soi-même" sera-t-il aussi exigeant que s’il était collégial ? L’impartialité du juge unique ne serait-elle pas davantage exposée à certaines tentations ?
Deux circonstances aggravantes :
- l’arbitrage est rendu le plus souvent en dernier ressort ;

- l’avocat peut craindre engager sa responsabilité s’il oriente son client vers un arbitrage à juge unique qui se termine mal.
On peut cependant observer que dans toute formation juridictionnelle (judiciaire ou arbitrale) collégiale, le rôle du président est prépondérant, s’il n’est déterminant. Le juge unique pourrait donc manifester une différence de degré davantage qu’une différence de nature.

L’arbitrage à juge unique n’est d’ailleurs qu’une application du procédé plus général de la juridiction statuant à juge unique. Pour l’anecdote, rappelons qu’en 1996 l’université de Toulon organisait un colloque sur les juges uniques. Dans son rapport de synthèse [2], le professeur Jacques Mestre rappelait (actes du colloque, Dalloz 1996, p.136) que le débat semblait alors "largement dépassé", observant que le colloque avait démontré que l’unicité n’était pas fondamentalement une mauvaise chose et avait même des avantages spécifiques.

Les avantages de l’arbitrage à juge unique

Les avantages spécifiques de l’arbitre unique sont en phase avec la logique de l’arbitrage. En voici quelques-uns, sans ordre de leur importance, laquelle pouvant varier selon la procédure :
1- Le coût des honoraires d’arbitrage est considérablement
allégé ;
2- L’organisation pratique du déroulement de la procédure d’arbitrage est plus facile, à commencer par le calendrier de la procédure, et surtout sa modification lorsqu’elle s’avère nécessaire à raison des circonstances ; l’expérience pratique enseigne qu’il est curieusement infiniment plus facile de modifier trois agendas que cinq agendas ;
3- Le dialogue avec les parties et/ou leurs avocats est plus direct, ce qui permet, dans le respect scrupuleux du contradictoire, d’optimiser l’instruction du dossier ;
4- L’arbitre unique se ressent plus directement responsable ; tout juge unique le dira dans le domaine judiciaire ; il en est de même dans le domaine arbitral 
5- La procédure est aisément plus rapide dans le respect constant des conditions requises de régularité, d’indépendance et d’impartialité ;
6- En définitive, un arbitre de renom [3] a pu écrire que "l’arbitre unique peut remplir la mission qui lui est confiée dans le parfait respect des règles qui régissent l’arbitrage".

Alors, dans quel domaine envisager l’arbitre unique ?

La première réponse, évidente, vise les "petites affaires", à raison du meilleur coût de l’arbitrage. Les suites de la cession d’un fonds de commerce ou de droits sociaux portant sur une TPE ou même certaines PME peuvent entrer dans cette hypothèse.
Mais on rencontre aussi l’arbitrage à juge unique pour des litiges très importants. La pratique de la CCI de Paris en atteste, par exemple si la procédure doit être particulièrement rapide.
Un dernier argument : l’article 1513 al.3 CPC, relatif à la sentence d’arbitrage international, dispose qu’ "à défaut de majorité, le président du tribunal arbitral statue seul. En cas de refus de signature des autres arbitres, le président en fait mention dans la sentence qu’il signe alors seul". Le président du tribunal arbitral collégial se comporte alors comme un arbitre unique.
En effet, les affaires soumises à arbitrage sont souvent des affaires complexes dans le sens où elles comportent de nombreuses questions, auxquelles le tribunal doit apporter autant de réponses sous peine de statuer infra petita. Le président peut être de l’avis de l’arbitre "A" sur la question 3, mais de l’avis de l’arbitre "B" sur la question 15. Lorsque le délibéré porte ainsi sur une multiplicité d’options inconciliables, le président peut sortir de l’impasse et définir la solution cohérente qui lui parait juste.

Avec l’article 1513 al.3 CPC, l’arbitrage à juge unique devient un mécanisme légal à vocation subsidiaire mais générale ; du moins en matière internationale.

La solution est également adoptée en matière interne par le règlement d’arbitrage du CMAP.
En définitive, l’arbitrage à juge unique est une solution à considérer dès lors, bien entendu, que l’arbitre unique est pénétré des exigences du droit de l’arbitrage et des devoirs de sa charge.

(1)- "L’arbitrage pour tous (ou presque) : article 11 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016", Les Petites Affiches des A-M, 25nov/ler déc. 2016, p.20

(2)- IEJ de Toulon, XXIème colloque des IEJ, Dalloz 1996, p.135.

(3)- Michel Armand-Prévost, « L’arbitre unique, mythe ou réalité ?, Les Cahiers de l’arbitrage, volume III, édition Gazette du Palais, 2006, p.61.

[1(1)

[2(2)

[3(3)

deconnecte