Le repentir fiscal

  • le 28 mai 2009
Fisc

Les millénaristes appelaient au repentir en invoquant la proximité de la fin des temps. Ce n’est pas sur le même argument que Bercy suscite la « régularisation » des capitaux détenus dans les paradis. Et pourtant. Le contexte très particulier de notre époque doit inciter les récalcitrants à ne pas refuser sans réfléchir la main tendue par le fisc.

La repentance revient à la mode. Dans sa version récente, cette démarche consistait à implorer le pardon pour des péchés commis par d’autres, et de préférence en des temps reculés. Pour une bonne repentance, il fallait que les actes critiquables aient suffisamment ranci, que leurs auteurs aient disparu depuis suffisamment longtemps pour que leurs lointains descendants n’aient plus à souffrir de l’opprobre. Selon cette approche, il est donc beaucoup trop tôt pour que la grande famille des banquiers batte sa coulpe pour les horreurs qu’elle a commises. En toute impunité. Alors que jadis, la corporation était méchamment exposée : lorsqu’elle prêtait trop d’argent aux princes, elle risquait sa peau. Nul gouvernement n’a jamais revendiqué l’absolution pour le sort cruel que Philippe le Bel fit subir aux banquiers siennois et aux Templiers, afin d’effacer sa dette. En ces temps reculés, la fabrication de crédits subprime méritait le bûcher ; aujourd’hui, elle vous vaut des parachutes dorés. Il faut donc en conclure que nous avons désormais le pardon plus facile pour les errements contemporains, et que nous ne négligeons pas d’accorder une prime substantielle aux pécheurs, afin de compenser leur risque de rôtir en enfer.

Il semblerait que notre gouvernement soit tenté par cette démarche angélique et évangélique à l’égard des contribuables distraits. Ceux qui ont omis de déclarer à l’administration leurs possessions à l’étranger, et tout particulièrement dans les paradis fiscaux. Sont ainsi concernés, selon Bercy, ceux qui ont hérité de biens offshore et négligé de les répertorier dans leur déclaration de succession ; ceux qui ont travaillé à l’étranger et ont oublié de déménager leurs comptes lors du rapatriement ; ceux qui ont volontairement transféré des fonds dans un paradis afin de se soustraire à leurs obligations fiscales. Mais pas ceux qui ont trafiqué sur des marchés prohibés. Pas de ça, Lisette ! On ne négocie pas avec les voyous patentés. Ceux-là devront conserver leurs comptes dans les paradis infernaux, et se ronger les sangs ad vitam, car l’absolution leur sera refusée. On ne saurait dire si la sanction est pour eux trop cruelle ; mais elle est indiscutablement pénalisante pour le Trésor. Car les sombres paradis regorgent d’argent provenant de trafics inavouables. Si l’on en croit la presse américaine, il semblerait que l’Oncle Sam se soit montré moins regardant. Il se murmure que la crise bancaire aurait favorisé le blanchiment de capitaux appartenant aux cartels de la drogue ; d’aucuns soupçonnent que quelques suicides malencontreux, au sein de grandes institutions, seraient directement liés à de telles opérations. Mais ce sont certainement des ragots : l’industrie financière yankee est bien trop respectueuse de la loi pour s’être abaissée à recycler de l’argent sale…

Une régularisation tentante

Ainsi donc Bercy a récemment fait le point sur l’activité de la « cellule de régularisation des avoirs non déclarés dans les paradis fiscaux ». Il ne s’agit pas d’une geôle destinée à incarcérer les contrevenants, mais d’une « cellule administrative d’accueil pour les résidents français désireux de régulariser leur situation fiscale »( . On le comprend, l’approche de l’Administration se veut bienveillante. Du reste, les services concernés auraient enregistré, en trois semaines d’activité, 220 appels circonstanciés, émanant pour 40% d’entre eux d’avocats ou de conseils des contribuables concernés, ces derniers ayant préféré, pour une première approche, ne pas avancer à visage découvert. Il est assez probable que la cellule connaîtra un regain d’activité, même si les précédentes tentatives de régularisation ne se sont pas révélées très productives. Certes, Bercy précise que la démarche ne correspond pas à une amnistie : les impôts devront être acquittés – limités toutefois à la période de reprise, soit trois ou six ans selon qu’il s’agit de l’impôt sur le revenu ou de l’ISF. Mais il n’y aura pas de poursuite pénale pour fraude fiscale, et « les intérêts de retard et les pénalités feront l’objet d’une modulation pour tenir compte de la démarche spontanée du contribuable ». On voit que l’esprit est à l’apaisement et que la porte est ouverte à la négociation.

Pourquoi cette nouvelle « régularisation », bien que non amnistiante, est-elle promise à davantage de succès ? Parce que les contribuables en cause ont, cette fois-ci, deux solides raisons d’accepter la main tendue. La première est que le voile des paradis fiscaux commence à se déchirer, même s’il est encore improbable qu’ils soient rapidement mis à l’index pour devenir de véritables prisons. La seconde doit être appréciée avec lucidité : c’est l’état général du système bancaire. Il est en effet permis de penser que l’on connaîtra de gros sinistres paradisiaques, qu’il s’agisse de banques totalement autochtones ou de filiales des grandes institutions internationales. Dans cette hypothèse, les détenteurs de capitaux ne seront pas très à leur aise pour engager une procédure ou réclamer indemnisation, dès lors qu’ils seront en délicatesse avec leur réglementation nationale. Et il est parfaitement imaginable que les institutions concernées soient tentées de fossoyer leurs filiales offshore, grosses détentrices de « produits toxiques », sachant que les remous judiciaires seront alors limités – mais pas la colère des mafias, il est vrai, qui sollicitent rarement les tribunaux pour réclamer justice. Il faudrait alors redouter d’autres « suicides » au sein du monde financier… Mais enfin, il vaut sans doute mieux avoir son argent près de chez soi, même si nos banques ne sont d’évidence pas aussi solides qu’elles le prétendent. Même s’il est paradoxal de payer au Trésor de prix d’une indulgence, pour mériter de quitter… le paradis.

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