Le révélateur Chrysler

Le révélateur Chrysler

  • le 13 mai 2009

On sait depuis longtemps que l’industrie automobile américaine est à l’agonie. La tentative de sauvetage de Chrysler mobilise d’importants fonds publics, et les droits à pension des salariés de la firme. L’ancien actionnaire, le fonds Cerberus, obtient de confortables dédommagements… indirects. Le pillage des deniers publics continue.

Chrysler

Avec les nouveaux épisodes de ses embarras majeurs, le constructeur automobile américain Chrysler suscite logiquement de nombreux commentaires. Pour renforcer l’idée que la firme pourrait rebondir, il est fait référence à la situation dramatique qu’elle connut à la fin des années 1970, où elle faillit disparaître. Lee Iacocca, qui avait été récemment nommé aux commandes, parvint à la redresser en quelques années, grâce en particulier à une garantie du gouvernement fédéral sur un prêt de 1,5 milliard de dollars (un montant considéré comme gigantesque à l’époque). Lee Iacocca est une légende : c’est lui qui, alors qu’il était designer chez Ford, habilla la mythique Mustang. Et c’est également lui qui remit Chrysler en piste, rétablit sa profitabilité, racheta Lamborghini (aujourd’hui propriété de Audi), American Motors (producteur de la Jeep) et inventa le « minivan » – le monospace. Tout cela en ayant proposé que son salaire de président fût limité à… 1 dollar par an ! Mais il exigea en contrepartie un bon paquet de stock options, qui se transforma en un joli magot lorsqu’il quitta l’entreprise, dont le cours boursier avait repris des couleurs. C’était encore le temps de l’aventure entrepreneuriale « à l’américaine », où un manager pouvait s’associer à l’actionnariat à risque égal. On sait que depuis lors l’état d’esprit a beaucoup évolué : si les bonus, stock options, parachutes et retraites dorés ont prospéré, les salaires de base du staff se sont littéralement envolés.

Et pour autant, les firmes concernées ne sont pas des modèles de santé. Sans même faire référence au secteur financier, complètement sinistré, les constructeurs automobiles de l’Oncle Sam sont aujourd’hui dans une situation de détresse maximale. La soudaine impécuniosité des acheteurs américains a mis en lumière une triste réalité : elles sont financièrement exsangues et les modèles qu’elles produisent sont résolument obsolètes. Les « grands capitaines » qui les ont dirigées, pourtant traités comme des émirs du pétrole, les ont tout simplement laissées mourir de vieillesse. Sur la base d’un raisonnement bouffi de suffisance : à savoir que les Américains ne renonceraient jamais à leur « culture » de la bagnole comme signe ostensible de leur opulence et de leur way of life. Des bagnoles m’as-tu-vu, encombrantes et gaspilleuses. Les patrons des majors de Detroit se sont grossièrement trompés. A tel point que la survie du secteur est désormais gravement compromise.

Le contribuable paiera

Ainsi donc Chrysler, une nouvelle fois, est amenée à se mettre sous la protection de la loi sur les faillites pour éviter la liquidation pure et simple. Et en vue de préparer une trousse de survie avec l’Italien Fiat, qui voit l’opportunité de s’offrir un réseau de distribution en Amérique du Nord, et de tendre vers une production de masse : le seuil de 5 millions de véhicules annuels est considéré comme la norme concurrentielle minimale pour prétendre se maintenir dans ce secteur. On ne discutera pas ici de la pertinence de cette approche, sauf à observer que les véhicules ne sont pas tout-à-fait le même type de produit que les boulons de douze ou les puces électroniques, parfaitement banalisés et interchangeables. Mais enfin, voyons les conditions préalables à l’alliance. Les premiers concernés par le dépôt de bilan sont évidemment les créanciers. Les principales banques US détenaient la plus grosse partie de la dette garantie (près de 7 milliards de dollars), qu’elles ont accepté d’effacer contre 2 milliards en paiement comptant. Finalement, leur perte sera moindre qu’avec les « subprime ». Le Trésor US et son homologue canadien amènent en cash ou en garantie 10,5 milliards de dollars, contre 10% du capital. C’est cher payé, sachant que Fiat en obtient 20% sans bourse délier (enfin, pour l’instant…). Le principal actionnaire va devenir… le fonds d’assurance retraite et santé du constructeur, qui se trouve être un (très) important créancier de la firme – en particulier, avec les engagements de retraite : si la firme ne se redresse pas, les salariés perdront à la fois leur emploi et leur pension.

Quid alors des actionnaires actuels de Chrysler ? On se souvient que l’Allemand Daimler fit en son temps l’acquisition de 80% de la firme pour un prix de revient avoisinant les… 30 milliards de dollars, et qu’il dut finalement jeter l’éponge en cédant ses titres à Cerberus Capital Management, l’un des fonds d’investissements les plus importants des États-Unis, pour un montant de 7,4 milliards de dollars. Dans l’opération en cours, la part de Cerberus va évidemment se réduire à la peau de chagrin. Mais pas sans quelques compensations. Car le fonds est également majoritaire dans GMAC, la société de financement de… General Motors. Laquelle a déjà bénéficié de subsides publics pour éviter le naufrage, et va continuer d’en recevoir pour accompagner le financement des véhicules produits par Chrysler. La générosité publique n’est sans doute pas tout à fait le fruit du hasard. Le président de Cerberus n’est autre que John Snow, qui était Secrétaire au Trésor de George W. Bush avant d’occuper ses fonctions actuelles. Et l’on trouve parmi les dirigeants du fonds un certain Dan Quayle, qui fut en son temps… Vice-Président des États-Unis (et reçut le prix parodique IgNobel, pour sanctifier sa réputation de cancre invétéré). Ceux qui douteraient encore de l’entreprise de pillage public systématique, menée par un cartel de politiciens-businessmen, peuvent remiser leurs illusions. Et nourrir quelques inquiétudes sur le devenir de la « démocratie » à l’américaine, qui semble-t-il fait des émules un peu partout sur la planète.

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