Le vent du boulet

Le vent du boulet

Pas plus que la rue, les sondages ne doivent conduire la politique d’un pays, mais ils sont à l’évidence un thermomètre sensible aux changements d’humeur de la population. Les gouvernements en tiennent compte pour mener la barque de l’État. Aussi, en ayant recours au 49.3, Élisabeth Borne a pris en pleine connaissance de cause la responsabilité de diriger contre l’opinion publique. Un sondage IFOP réalisé pour le compte du Journal du Dimanche rappelait encore, pas plus tard que la semaine dernière, que 78 % des Français étaient absolument contre un recours à ce fameux article qui fait un pied de nez à la représentation nationale.
Au final, il ne s’en est fallu que d’un poil – neuf voix seulement – pour que la motion de censure transpartisane du mini groupe LIOT ne mette le gouvernement cul par dessus tête...
Bien sûr, lorsque le 49.3 est dégainé pour faire passer « en force » un budget ou tout autre texte semblant éloigné des préoccupations du quotidien, l’homme de la rue continue de siroter son apéro au café du commerce sans se passionner outre mesure sur la légitimité ou le bien-fondé de ce dispositif. Mais il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’un sujet sensible, à implication directe dans la vie personnelle, comme le report de l’âge de la retraite.
Les Français ont vite fait leur calcul : il leur faut désormais quatre ans de plus au travail avant d’aller pêcher à la ligne par rapport à une tout autre époque où Mitterrand et Mauroy avaient baissé le curseur à 60.
On peut imaginer que, dans les heures qui ont précédé l’annonce au palais Bourbon du recours au 49.3, les spécialistes de la spécialité se sont livrés à de savants calculs pour déterminer si la réforme avait une chance de passer avec un vote « normal ». Mais sans majorité absolue à l’Assemblée, sans soutien massif des députés LR dont presque un tiers a voté la censure, le gouvernement avait toutes les chances de se retrouver le bec dans l’eau. Le 49.3 était donc à court terme la seule échappatoire possible pour que « ça passe » plutôt que « ça casse ».
Pari risqué. La défiance est désormais gravée dans le marbre, et sur le macadam des grandes villes qui n’ont pas tardé à s’enflammer.
À la télévision, Emmanuel Macron a sorti les avirons. Inutile pour lui d’espérer remonter les courants contraires qui le resteront encore un bon moment à en juger par la colère solidement ancrée, même si tout finit un jour par s’oublier. On le créditera d’avoir eu le courage de mener une réforme impopulaire, c’est un euphémisme, ce que ses prédécesseurs ont savamment évité. Cette volonté politique qui est une qualité ne l’exonérera pourtant pas d’avoir méprisé l’opinion, le corps social, les syndicats en particulier. Il avait déjà enjambé les élus de terrain lors de son premier mandat, avant de s’apercevoir qu’ils étaient indispensables pour la gestion de la crise sanitaire. La leçon n’a pas été retenue.
S’il a laissé des plumes de popularité dans cette réforme, Jupiter est donc resté Jupiter. Brillant, au dessus de la mêlée, un brin condescendant : on ne se refait pas. Il lui faut maintenant croiser les doigts pour pouvoir continuer à rester... droit dans ses bottes au cours des prochaines semaines.
Périlleux exercice !

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