Banques : au-dessous du volcan

Les modalités techniques de l’audit des banques européennes viennent d’être publiées. Afin de satisfaire au volet « prévention » de l’Union bancaire. Quant aux modalités de résolution en cas de crise, les débats sont encore ouverts. Et toujours houleux. Pas sûr qu’ils aboutissent avant l’élection du prochain Parlement.

Pendant combien de temps encore les banques seront-elles omniprésentes dans le flux de l’actualité ? Voilà maintenant plus de cinq ans que chaque citoyen les observe comme le Catanais scrute l’Etna : avec reconnaissance pour ses flancs fertiles, mais avec angoisse pour ses vomissements sporadiques. De fait, le cratère bancaire ne cesse d’émettre des fumerolles depuis la crise des subprime, sans avoir depuis lors produit d’éruption catastrophique. Mais le danger persiste et les volcanologues patentés, qu’ils appartiennent aux gouvernements ou aux organes de supervision, ont au moins acquis quelques certitudes : s’il est possible de réduire la probabilité d’un accident majeur, il est illusoire de réduire le risque à zéro. Tout au plus peuvent-ils l’endiguer par une réglementation rigoureuse – un objectif qui est loin d’être atteint, eu égard à la puissance de feu du lobbying financier –, et atténuer les effets d’une défaillance majeure en organisant par avance les secours d’urgence.

Tel est l’objectif principal du projet d’Union bancaire, sur le tapis européen depuis pas mal de temps, qui connaîtra peut-être son aboutissement dès la semaine prochaine. Ou peut-être pas. Car jusqu’aux plus récentes discussions, il n’est pas possible de déceler la voie d’un consensus qui ne dénature pas le projet. C’est-à-dire qui ne le rende pas objectivement inopérant. On ne reviendra pas sur le contenu complet du dispositif envisagé, qui a déjà été largement développé dans ces colonnes. Mais il faut mettre en avant les sujets qui fâchent. Sans surprise, ce sont les grands classiques de toute joute politique : le pouvoir de décision et l’argent. A savoir qui déclenche le « plan Orsec » en cas de défaillance d’un établissement, le processus pouvant entraîner la liquidation pure et simple de ce dernier. Et qui paie l’addition pour les perfusions qui seront nécessaires, quelle que soit l’issue de l’accident.

Politiques contre technocrates

Pour la première question, le Parlement européen préconise la solution technocratique et entend remettre la clef de la cellule de crise à la Commission. Alors que le Conseil, composé des ministres des Finances des Etats-membres, revendique le pouvoir de décision. On pourra s’étonner que les eurodéputés, unanimement dépités par la modicité de leurs attributions dans la machinerie européenne, fassent le choix d’une super-administration non élue pour une telle décision. Ils disent redouter la pollution du débat par des « considérations politiques », ce qui est plutôt paradoxal. Mais qui transcrit sans doute assez bien l’évolution des mentalités quant à leur perception de la sphère financière : après avoir salué l’« indépendance » de la Banque centrale, les élus de tous bords réduisent le système financier à sa dimension purement technicienne. Ce en quoi ils ont assurément tort, cela dit sans vouloir les offenser. Mais gageons que pour leur permettre de sauver la face, la décision finira par être attribuée au Conseil, « sur proposition de la Commission ». Même si cela doit ralentir un peu le processus, qui se doit d’être expéditif pour préserver son efficacité.

Quant aux moyens financiers à mobiliser, les discussions sont encore plus âpres. Le « Fonds de résolution unique », censément abondé par les banques elles-mêmes, est supposé réunir 55 milliards d’euros… dans dix ans. Avec toutefois un pré-accord pour ramener ce délai à huit ans. Comme la cagnotte promet d’être un peu légère en cas de pépin, le Fonds doit pouvoir emprunter. D’accord, dit l’Allemagne, mais sans la garantie solidaire des Etats de l’Union. Et sans recours au MES (Mécanisme européen de solidarité), lequel engagera chaque pays, pour peu qu’il devienne effectivement opérationnel un jour. En attendant que le petit cochon anti-crise se remplisse, les Etats-membres seraient chargés d’assumer l’ardoise éventuelle, en cas de défaillance d’une de leurs banques nationales. On l’aura compris, tout cela ne constitue pas vraiment un environnement sécuritaire.

Audit : sévère mais sélectif

Reste évidemment à mesurer le risque réel auquel sont exposées les banques européennes. Sur ce sujet, l’accord est acquis pour une supervision de la BCE, qui débutera d’ici quelques mois ses opérations d’audit. La méthodologie des investigations vient d’être publiée : on souhaite bien du plaisir aux auditeurs, qui vont devoir ingurgiter préalablement le manuel ad hoc de près de 300 pages, aussi limpide pour le quidam que la notice d’un grille-pain rédigée en chinois. Ce pourquoi le chroniqueur est au regret de ne pouvoir donner un avis éclairé sur la qualité de l’information qui résultera de cette opération-vérité. En tout cas, la BCE annonce que 58% des actifs pondérés des plus grandes banques de l’Union seront passés au crible. Ce qui représenterait une masse de près de 4 000 milliards d’euros – chiffre incompréhensible, dès lors que le total de bilan des seules quinze premières banques européennes représente environ 18 000 milliards... Danièle Nouy, présidente de l’organe de supervision, s’est déclarée en accord avec Mario Draghi. Selon lequel les tests en cause ne seront crédibles que si des banques sont recalées à l’examen. Voilà donc qui promet rigueur et sévérité dans l’analyse, et donc pleurs et grincements de dents chez les candidats. Sauf que la presse anglaise révèle une information surprenante : deux grands établissements allemands, spécialisés dans le crédit hypothécaire, auraient été exemptés d’un examen détaillé. Au motif que les investigations seraient longues et coûteuses. Voilà qui va, au sein de l’UE, améliorer encore la popularité de l’Allemagne…

deconnecte