Banques : ordonnances anti-crise

Comment prévenir une nouvelle crise qui pourrait balayer le système financier ? Les Américains répondent à la question par la « règle Volcker », qui interdit aux banques la spéculation pour compte propre. Les Européens tentent de formaliser l’Union bancaire. Un dispositif fondé sur la solidarité. Donc difficile à formaliser…

Le revoilà. Paul Volcker, 86 ans et tout son allant, demeuré célèbre en qualité de président de la Banque fédérale américaine, pour des travaux pratiques qui ont confirmé la pertinence de la théorie monétariste. C’est lui qui terrassa l’inflation américaine au début des années 1980, par strangulation de la masse monétaire et ascension vertigineuse des taux d’intérêt : il osa relever le taux directeur de la FED jusqu’à 20%. Attaquée au canon de 75, la hausse des prix fut vaincue. Et la croissance anémiée, bien entendu, ce qui encouragea Reagan à se séparer d’un Banquier central efficace, certes, mais un peu trop opiniâtre dans ses positions, et pas assez sensible à la température des sondages d’opinion… Il est assez piquant de voir Volcker revenir aujourd’hui sur le devant de la scène, quand son lointain successeur à la tête de la FED mène une politique de relance agressive : Ben Bernanke fabrique du dollar à la chaîne et distribue son argent gratos, ou presque. Avec des résultats bien peu probants : le surcroît de PIB obtenu est beaucoup plus faible que la masse de dollars créés pour le dynamiser. Fermer le robinet des liquidités est donc efficace pour vaincre la surchauffe ; mais l’ouvrir en grand ne suffit pas pour doper la création de richesses… dans l’économie réelle. Sur les marchés financiers, en revanche, c’est la nouba.

Quoi qu’il en soit, le législateur américain vient de donner vie à la Volcker Rule, une règle édictée par le susnommé au sein du Dodd-Frank Act – la fameuse loi de 2 300 pages adoptée en 2010, visant à réglementer strictement un secteur financier devenu dangereusement anarchique. Au cas d’espèce, le dispositif est clair : il s’agit d’interdire aux banques le trading pour compte propre, c’est-à-dire toute opération spéculative qui n’ait pas pour objectif exclusif la couverture d’une position. Ce serait ainsi la fin des paris hasardeux réalisés avec l’argent des déposants, qui se soldent, lorsqu’ils sont gagnants, par des bénéfices mirifiques pour la banque, et lorsqu’ils sont foireux, par des pertes monstrueuses pour… les contribuables. A ce jour, le trading pour compte propre génère une fraction non négligeable des résultats bancaires. Avec de temps en temps des bugs très coûteux : Nick Leeson coula la banque Barings avec une perte de « seulement » 1,3 milliard de dollars. Malgré leurs performances très supérieures, ni Jérôme Kerviel (7,26 md$), ni Howie Hubler (9 md$) n’ont réussi à fossoyer leurs banques respectives. Mais ces acrobaties malheureuses ont ébranlé la Société Générale et Morgan Stanley.

Si elle est appliquée (à la mi-2015), la règle Volcker réduira considérablement le risque systémique. D’ici là, on peut compter sur les banques pour déployer la grosse artillerie en vue d’émasculer le texte, ou braver l’interdiction d’accéder au casino financier. Mais les autorités démontrent une véritable volonté de contraindre la finance à des pratiques raisonnables.

L’union introuvable

Dans ce contexte, les établissements européens se retrouvent dans un environnement réglementaire plutôt moins contraignant. L’essentiel des préoccupations sécuritaires se concentre actuellement sur la mise en place de l’« Union bancaire ». Un dispositif qui vise à optimiser la surveillance du secteur financier et à résoudre rapidement les crises larvées ou déclarées. Le premier étage concernait la supervision unique des banques : après bien des atermoiements, il a été admis que la BCE en serait chargée. A la Banque centrale, donc, d’assurer l’audit régulier des principaux établissements (dont le bilan est supérieur à 30 milliards d’euros : la plupart des banques mutualistes et caisses d’épargne allemandes demeurent ainsi sous la seule supervision des organes nationaux). Ce point ayant été réglé voilà quelques mois, les débats présents portent sur des aspects plus pratiques : déterminer qui déclenche les opérations de sauvegarde (ou de mise en faillite), et qui apporte les capitaux nécessaires. Sur ce terrain, on s’en doute, le consensus est plus difficile à obtenir. Car, outre le transfert de souveraineté, il pose la question inévitable de l’étendue de la solidarité européenne en cas de coup dur. En la matière, la solidarité est potentiellement plus coûteuse pour les plus riches : nul ne s’étonnera si l’Allemagne mobilise toute son énergie pour en réduire la portée.

C’est donc la Commission qui pilotera la gestion des crises, mais sous mandat consultatif : la décision reviendra au Conseil des ministres de l’Union. Quant à savoir qui paie quoi, les choses se compliquent un peu. Avant de piocher dans le Fonds de résolution – alimenté par les banques elles-mêmes, et qui devrait s’élever à 55 milliards d’euros dans… une dizaine d’années –, plusieurs hypothèses sont envisageables. Si l’établissement est solvable, l’Etat concerné peut aider à la recapitalisation (grâce à un fonds national ad hoc, également abondé par les banques). Si l’établissement est défaillant, c’est la règle du bail-in qui s’impose : à savoir que les actionnaires, les créanciers et... les déposants sont appelés à la rescousse (au-delà de 100 000 euros pour ces derniers). L’épisode chypriote, en son temps présenté comme unique et exceptionnel, est donc promis à généralisation. Comprenons par là qu’avant contribution éventuelle du MES (Mécanisme européen de stabilité, un fonds de sauvetage d’une capacité théorique de 500 milliards d’euros, sous financement solidaire des membres de la Zone euro), ce sont les Etats nationaux et leurs ressortissants (créanciers ou déposants) qui seront en priorité appelés à la rescousse. Voilà qui ressemble à une union du chacun pour soi.

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