Budget France : bilan 2013

La Cour des comptes vient de publier son rapport sur le budget 2013. La note moyenne des auditeurs se situe au niveau « passable ». Mais leurs incertitudes demeurent quant à la poursuite du redressement des comptes publics. Notamment à cause de la trajectoire de la dette face à l’évolution des taux.

Les prévisions budgétaires sont-elles « sincères et transparentes » ? Chacun aura son idée sur la question, selon la confiance qu’il accorde à la parole publique – laquelle serait en déclin prononcé, si l’on en croit le baromètre de l’opinion. Dans son récent rapport sur l’exécution budgétaire de 2013, la Cour des comptes se pose implicitement la même question – de pure rhétorique – puisqu’elle émet le souhait de voir s’améliorer la sincérité et la transparence des lois de Finances. Pour la transparence, on sait ce qu’il en est : depuis toujours, la comptabilité publique relève d’une langue ésotérique que seuls quelques initiés maîtrisent totalement. De plus, la masse des documents à examiner est substantielle, et encore faut-il relativiser : aux Etats-Unis, il faut une grande brouette pour les transporter, et donc quelques années pour les analyser. Ce qui confère une portée toute relative à l’influence des élus sur le contenu du budget. Pour la sincérité, qui relève du subjectif, il est hasardeux de porter un jugement. Mais quiconque a établi un budget prévisionnel sait de quoi il en retourne : la tentation est grande de surévaluer les espérances, surtout s’il s’agit de convaincre le conseil d’administration ou le banquier, voire les deux à la fois. Les projets de budget n’échappent pas à la règle : très rares sont ceux qui ont correctement anticipé la croissance à un an, mais il faut bien reconnaître que dans l’ensemble, les économistes ne sont pas très performants en la matière.

Mais la Cour des comptes a relevé un aspect plus problématique encore sur l’exercice 2013 : l’erreur considérable dans les prévisions de recettes. En dépit (ou à cause) du durcissement de la fiscalité, le surcroît d’impôts encaissés n’a représenté que la moitié, environ, du montant attendu. L’écart ressort ainsi à 15 milliards d’euros, ce qui n’est pas tout-à-fait anecdotique. Certes, la croissance s’est révélée inférieure aux attentes ; mais cette erreur de prévision n’est que très partiellement responsable du manque à gagner fiscal. L’essentiel résulte d’une appréciation dramatiquement fautive de la proportionnalité entre la nouvelle richesse produite et les recettes fiscales correspondantes (d’une mauvaise appréciation de l’élasticité entre des deux facteurs, pour employer le langage des statisticiens). Pour Bercy, à législation inchangée, 1% de PIB supplémentaire doit générer 1% de nouvelles recettes fiscales (élasticité égale à 1) ; dans les faits, cette élasticité s’est élevée à – 1,3…

Le boulet de la dette

Pour l’instant, ce bug considérable dans l’outil prévisionnel demeure inexpliqué. Il va sans dire que s’il devient désormais impossible d’estimer ce que la croissance rapportera au Trésor, Bercy pourra faire l’économie de son armada d’économistes distingués – un projet de budget au doigt mouillé sera tout aussi crédible. Plus sérieusement, il sera probablement nécessaire de revoir de fond en comble les modèles économétriques utilisés : il est bien possible que les lois statistiques se vérifient sur des chiffres de croissance (ou de récession) significatifs, mais qu’elles soient inopérantes pour des variations lilliputiennes (avec une performance de 0,3% l’année dernière, la « croissance » n’est pas très loin de la stagnation). Et peut-être qu’en période de basse conjoncture, les agents économiques usent-ils de tous les artifices, légaux ou non, pour minorer leur exposition aux impositions. Quand la fiscalité augmente au point de devenir oppressante, il ne faut pas trop compter sur le « comportement citoyen » du contribuable. « Trop d’impôts tue l’impôt » : l’adage a été vérifié en de multiples occasions et nul doute que d’aucuns le brandiront après la publication du rapport.

Un point jugé positif, toutefois, pour l’exécution budgétaire de l’année dernière : la baisse du déficit n’est pas exclusivement imputable au supplément de recettes, mais aussi à la stabilisation de la dépense publique en valeur, celle-ci étant un chouïa inférieure à la prévision de la Loi de Finances initiale (mais il est exact que l’inflation, plus faible qu’attendu, a favorisé ce résultat). On ne peut pas encore prétendre que l’Etat a réellement réduit la voilure, mais au moins a-t-il renoncé à lâcher le spi.

Ce rapport de la Cour [1], comme ses prédécesseurs, mérite la lecture attentive de quiconque s’intéresse aux rouages de la machinerie budgétaire (plus de 200 pages, tout de même). On retiendra ici le chapitre consacré à la dette et au déficit du pays : bien entendu, la première continue de progresser (6,7% par an, en moyenne, sur les quinze dernières années), et ce scénario durera tant que le budget sera exécuté en déficit. Ainsi, en 2013, la charge nette de la dette a pesé 45 milliards d’euros, dans un environnement exceptionnellement favorable en matière de taux : le paiement des intérêts n’a augmenté que de 30% par rapport à 1999, alors que la dette d’Etat a été multipliée par 2,5 sur la même période. Les auditeurs de la Cour notent qu’à structure de taux inchangée, cette charge serait égale au double de son montant actuel. On imagine sans peine les conséquences en cas de nette reprise de l’activité (tel n’est pas encore le cas), qui entraînerait une remontée des taux jusqu’à un étiage « normal ». Les gains budgétaires de la croissance seraient alors cannibalisés par l’augmentation des intérêts de la dette, rendant illusoire la résorption du déficit. Moralité : que l’économie stagne ou qu’elle prospère, l’avenir des comptes publics français semble bien incertain.

[1Accessible en intégralité sur www.ccomptes.fr

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