Budget : les coulisses du PLF

Dernières corrections des copies avant leur présentation aux débats budgétaires. Lesquels promettent d’être très animés cette année. D’autant que le Conseil d’analyse économique, supposé enrichir la réflexion du Premier ministre, vient d’expédier des exocets propres à tétaniser l’Assemblée – majorité comprise…

Les enfants ne sont pas les seuls à appréhender la rentrée. Cette période est aussi un moment difficile pour le gouvernement, les parlementaires de tous bords et les citoyens de toutes conditions. Car elle marque l’ouverture du marathon budgétaire, une période éprouvante ne s’achevant qu’aux alentours de la dinde de Noël. Dans les temps anciens, où notre pays se croyait riche pour l’éternité, les débats portaient principalement sur la façon, pour l’Etat, de dépenser l’argent qu’il n’avait pas. Désormais, on se focalise plutôt sur les moyens de lever de nouvelles ressources, afin d’honorer les dettes anciennes. C’est moins gratifiant, on s’en doute. Mais les empoignades n’en seront pas moins âpres.

D’ores et déjà, le gouvernement a livré les grandes lignes de son projet de loi de Finances. Il n’est toujours pas question d’austérité, ni même de rigueur. Seulement de responsabilité. Laquelle suppose d’imposer un « effort budgétaire », c’est-à-dire une certaine parcimonie. Afin de respecter les engagements (réactualisés) de notre pays à l’égard de Bruxelles, tout en suivant les bons conseils du FMI – relancer sans dépenser. Ce tour de force serait possible par la mise en place des fameuses « réformes structurelles », consistant, dans les grandes lignes, à dynamiter les piliers de l’Etat-providence qui sont les fondations du « modèle français ». Un pas est donc accompli dans cette direction au travers du PLF : l’effort porterait à 80% sur la réduction des dépenses. Paradoxalement, la communication reste discrète sur ce chapitre, pour se concentrer sur les mesures concernant les 20% restants. On y reviendra lorsque le projet sera officialisé. En attendant, la fanfare est mobilisée, si l’on en juge aux préconisations du Conseil d’analyse économique (CAE), comité d’experts rattaché au Premier ministre, dont la dernière note [1] laconique, semble-t-il rédigée entre deux bouchées de croissant au petit-déjeuner, a déjà fait couler un torrent de commentaires.

Imposer les espérances

Certains observateurs ont qualifié de « révolutionnaire » le contenu de la note du CAE. De fait, ce qui est le plus révolutionnaire, c’est le raisonnement de bric et de broc, alignant des poncifs mal équarris, qui conduit à des préconisations plutôt téléphonées. On comprend que la note vise à tester deux pistes ayant déjà fait l’objet de rapports. La première concerne l’assurance-vie, dont le statut fiscal, il est vrai, offre des avantages singuliers par rapport aux autres formes d’épargne. On a suffisamment abordé le thème dans ces colonnes sans qu’il soit nécessaire d’y revenir. Selon les experts du Comité, « La défiscalisation des revenus de l’épargne ne se justifie généralement pas, à l’exception notable de l’épargne retraite ». C’est-à-dire, sous la plume des rédacteurs, de l’épargne qui se dénoue sous forme de rente – ce que les épargnants français refusent obstinément, car ce mode opératoire suppose l’aliénation du capital, en contrepartie de rentes rikiki. En revanche, les assureurs-vie rêvent de pouvoir être dégagés de l’obligation de restituer le capital à leurs assurés sur simple requête de ces derniers. Convenons-en : avec des sorties exclusives en rentes, leur gestion serait infiniment plus confortable et assurément plus rémunératrice… Les experts affirment que les entreprises ne manquent pas de financement, sauf celles qui sont « petites, jeunes et risquées » (ce qui fait pas mal de monde). Moralité : il faut encourager les épargnants à se substituer aux professionnels dans le financement des entreprises risquées. La création d’un nouveau Plan d’épargne en actions (PEA) spécifique va dans ce sens. Et un débat va naître, visant à subordonner les avantages de l’assurance-vie au financement des petites et très petites entreprises. Avec les déconvenues appropriées en perspective.

La deuxième préconisation « révolutionnaire » du CAE concerne l’immobilier. Dans l’esprit du CAE, le patrimoine immobilier est comparable à la propriété foncière de l’Ancien régime : regroupant des « rentiers », c’est-à-dire des parasites, par opposition aux « investisseurs » qui financent les entreprises, donc la dynamique du futur. Passons sur le fait que les statistiques démentent cette approche simpliste : les vraies fortunes contemporaines sont essentiellement financières, pas immobilières. Mais il est vrai que le patrimoine du Français moyen repose, pour une très large part, sur la propriété de sa résidence principale. En foi de quoi le CAE recommande-t-il de soumettre à l’impôt sur le revenu le « loyer implicite » que représente la jouissance de sa propre résidence. L’idée n’est pas neuve : elle a été avancée l’année dernière par le think tank Cartes sur table, qui se veut le poil à gratter du PS. Et pour faire bonne mesure, la valorisation éventuelle de l’immeuble ne saurait échapper à la taxation : « Nous proposons simplement d’annualiser la plus-value réelle (en déduisant l’inflation) avant de l’imposer au barème général de l’impôt sur le revenu ». Pour le coup, il s’agit là d’un concept novateur : l’imposition des espérances de profit. En creusant ce sillon, il devrait être possible de dépouiller le contribuable de l’intégralité de ses revenus.

Cette note du CAE, pour bricolée qu’elle soit, donne un reflet assez fidèle de l’état d’esprit qui prévaut face à la décrépitude des finances publiques. Personne ne mène une réflexion en profondeur, visant à rebâtir une architecture cohérente du financement public. Toute l’énergie est déployée dans la recherche de nouveaux alibis de taxation, avec l’assiette la plus large possible. Voilà qui confirme le vieil adage de la Direction générale des impôts : « L’impôt, c’est très simple : vous l’augmentez tant que les gens acceptent de le payer ».

Prévision de croissance abaissée

Le projet de budget, qui sera présenté le 25 septembre, prévoit des économies de 15 milliards d’euros. Le gouvernement a revu à la baisse sa prévision de croissance pour 2014, à 0,9%. Dans le programme de stabilité, présenté au printemps dernier à Bruxelles, il tablait sur une hausse du PIB de 1,2% pour l’an prochain. Le déficit public serait ramené à 3,6% du PIB, contre 2,9% annoncés initialement. Pour cette année, celui-ci atteindra 4,1%, soit 0,4 points de plus que prévu, en raison essentiellement des moins-values fiscales.
B.L

Visuel : Photos Libres

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