CSG contre TVA

CSG contre TVA

Taxer la dépense ou taxer les revenus ? Le débat immémorial refait surface après l’intention affichée de remplacer par la CSG la « TVA sociale » désormais abrogée. Débat un tantinet futile face à la réalité des finances publiques. Débat largement surréaliste qui masque des interrogations autrement plus dérangeantes.

Chacun connaît l’apophtegme consensuel de la mythologie fiscale : un « bon impôt » a une large assiette, un taux modéré, et doit être difficilement éludé. Ce principe est probablement pertinent en temps ordinaire, où de simples pourboires rendent présentables les budgets publics. Mais sa portée devient homéopathique, voire illusoire, lors de Bérézina financières comme celle que nous traversons : la modération ne suffit plus à faire bouillir la marmite. Le « bon impôt » devient alors celui dont l’assiette est constituée de tous les revenus, taxés à un taux guerrier, et auquel personne ne peut se soustraire. Il en résulte que le bon impôt déplaît à tout le monde - le pire qui soit en termes d’arithmétique électorale. On comprend sans peine que tout gouvernement, face à l’impérieuse nécessité de rétablir les finances du pays, soit ainsi confronté à des choix douloureux pour sa popularité. La réflexion se concentre alors sur les moyens permettant d’obtenir les résultats escomptés (des recettes généreuses), tout en s’épargnant la vindicte de la fraction la plus large de l’opinion. En invoquant la justice fiscale pour justifier le caractère discriminatoire des options retenues, avant de faire appel à la solidarité et à l’unité nationale pour valider la hausse généralisée des prélèvements. Ce qui confirme la constante actualité de la sentence, souvent citée dans ces colonnes, de l’un des premiers patrons de la DGI : « L’impôt, c’est très simple : vous l’augmentez tant que les gens acceptent de le payer ». Cette observation de bon sens ne purge pas pour autant le conflit permanent, sans solution définitive, entre l’impôt efficace et l’impôt juste. Mais l’efficacité se mesure, alors que la justice s’apprécie. Des chiffres d’un côté, des sentiments de l’autre. En matière de finances publiques, le conflit est vite réglé : la matière supplante l’esprit, la comptabilité domine la philosophie. Sans l’éclipser pour autant, en témoignent les choix retenus par la majorité actuelle, en regard de ceux opérés par la précédente : taxer les revenus plutôt que la dépense.

Querelle picrocholine

Existe-t-il un motif idéologique pour préférer le recours à l’impôt sur la dépense plutôt qu’à l’impôt sur les revenus ? Il n’y a pas de position nettement tranchée même si, généralement, les libéraux préfèrent la moindre charge sur les revenus. Avec, à l’extrémité du spectre, les défenseurs d’une taxation exclusive de la dépense : on croit se souvenir, sans en être certain, que cette thèse émane de théoriciens suisses. Une approche très « calviniste », qui magnifie l’épargne et l’investissement (source de la richesse collective) et pénalise la dépense (punissant ainsi le comportement sulfureux des paniers percés). Le renchérissement de la consommation, par l’instauration de la TVA « sociale » tant décriée par la majorité actuelle, et abrogée par elle, aurait en effet pénalisé la dépense. Tout particulièrement celle des titulaires de revenus modestes, ou de revenus tout juste suffisants pour équilibrer leur train de vie, ces deux catégories constituant la plus grosse partie de notre population. Une hausse de la TVA aurait donc eu un effet dépressif sur leur moral et sur leur consommation, par l’augmentation générale des prix (à salaires constants). Que dire de l’option alternative de l’alourdissement projeté de la CSG ? Il aura le même effet de réduction mécanique du pouvoir d’achat ; mais pour tout le monde, y compris ceux qui se montrent ordinairement parcimonieux. La mesure est incontestablement plus efficace pour le Trésor que la hausse de la TVA ; elle est toutefois peu conforme à la posture compassionnelle affichée à l’égard des plus pauvres. Car elle introduit un distinguo qui n’est pas neutre sous l’angle politique : dans le premier cas, le citoyen décide de ses arbitrages de consommation sous l’effet de la hausse des prix ; dans le deuxième, il y est contraint par la baisse de son revenu disponible. Pour avoir tiré à boulets rouges sur la TVA sociale lorsqu’elle était dans l’opposition, la faction au pouvoir ne peut évidemment y souscrire aujourd’hui sans se déjuger. L’ennui, c’est que l’option alternative se révèle plus « antisociale » que celle qu’elle est censée combattre. La Majorité d’hier a donc beau jeu de la conspuer, avec des arguments pertinents : le choix retenu ajoute des inconvénients aux inconvénients.

Le succès d’un système libéral – dont le gouvernement actuel ne conteste pas le bien-fondé – repose sur la conviction que la liberté et l’autonomie de l’individu sont les meilleurs garants de la prospérité commune. Jusqu’à nouvel ordre, ce paradigme demeure valide. En revanche, le mode d’exploitation qu’il a favorisé, le capitalisme, lui-même heureux responsable d’un formidable enrichissement des sociétés, montre désormais des signes de sclérose que l’on ne peut raisonnablement occulter. En particulier ce constat : les intérêts de ceux qui font prospérer l’entreprise (les salariés), sont strictement contraires à ceux qui la possèdent (les actionnaires) : les salaires des uns minorent d’autant les profits des autres. Sous le double effet d’une croissance devenue évanescente et d’une concurrence désormais forcenée, le rendement de l’entreprise ne peut plus passer que par le rabotage des salaires. Lequel limite la capacité du pékin à acquérir les biens et services produits par les firmes qui l’emploient. Une pathologie destructrice qui mériterait sans doute de mobiliser l’énergie parlementaire, plus que la dispute picrocholine entre l’impôt sur le revenu et celui sur la dépense.

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