CSG : un précédent explosif

CSG : un précédent explosif

Les nouvelles modalités de perception de la CSG, sur certains produits de placement, n’expriment pas seulement la mesquinerie d’un Trésor impécunieux. C’est la remise en cause du principe de non-rétroactivité en matière fiscale. La porte ouverte à des violences d’Etat contre les droits fondamentaux du citoyen.

La CSG est-elle un impôt ou une cotisation sociale ? La question, de pure rhétorique, continue de diviser les théologiens du droit français, même si la Cour de Justice des Communautés européennes l’a tranchée par un jugement de Salomon : la CSG, ainsi que la CRDS, sont en même temps l’un et l’autre.

Le verdict faisait suite à la question de l’assujettissement des Etrangers (travailleurs frontaliers et résidents communautaires, tout particulièrement), dont le cas a soulevé un contentieux au tout début des années 2000. Depuis lors, l’Etat ne peut taxer que ceux d’entre eux qui sont à la fois fiscalement domiciliés en France et qui relèvent d’un régime obligatoire français d’assurance maladie. Une double condition, donc. On passera ici sur les situations byzantines qui peuvent résulter du statut hybride desdites contributions. Ne serait-ce, chez nous, que sur la question de la déductibilité du revenu imposable : en principe, les cotisations obligatoires sont déductibles, alors que les impositions ne le sont pas. Dans les faits, une (petite) partie de la CSG se trouve déductible, selon des mécanismes aussi faciles à assimiler que la pratique de l’araméen. Il en résulte que la doctrine officielle reconnaît à cette contribution des caractéristiques partielles de cotisation, et la physionomie principale d’un impôt. Sauf lorsqu’il s’agit d’en modifier les modalités, comme vient de le faire le projet de loi de Financement de la Sécurité sociale. Qui introduit une entorse de taille au principe de non-rétroactivité en matière fiscale – un thème qui écorche la susceptibilité des épargnants et massacre le peu de confiance qu’ils accordent encore aux engagements de l’Etat. Il va sans dire que les institutions qui gèrent cette épargne partagent les mêmes préoccupations. Tel est le cas des assureurs, qui ont semble-t-il été pris de court par les nouvelles modalités d’assujettissement aux prélèvements sociaux des produits générés par l’assurance-vie.

Vers la spoliation légale

Les compagnies n’ont pourtant pas ménagé leurs investissements informatiques, pour répondre à l’évolution constante de la réglementation sur ce terrain. Que ce soit en matière d’assiette (selon la date des versements), en matière de taux (lesquels ont constamment évolué depuis l’instauration de la CSG) ou en matière de nature de support (les fonds en euros subissent un prélèvement annuel, au moment de l’inscription en compte des produits ; les unités de compte sont taxables au moment du retrait ou au terme du contrat). Pour complexifier un peu le tableau, certains contrats sont totalement exempts d’impôt sur le revenu grâce à leur ancienneté, mais sont passibles des prélèvements sociaux. A quel taux ? Là se situe la novation. Jusqu’au 25 septembre dernier, les prélèvements s’appliquaient au taux en vigueur l’année de l’acquisition des bénéfices. Désormais, c’est le taux légal au moment de la sortie qui s’appliquera à l’intégralité du boni. Pour les contrats les plus anciens, dont la réglementation, au moment de leur souscription, garantissait l’exonération de toute ponction, l’addition sera salée, sachant que la taxe s’élève aujourd’hui à 15,5% - ce qui est sensiblement plus élevé que le zéro promis à l’origine. Jusqu’à ce jour, le législateur s’est montré plutôt prudent dans le traitement fiscal des capitaux de l’assurance-vie, en respectant à-peu-près la règle sacro-sainte de la non-rétroactivité. Mais le gisement est tel (plus de 1 600 milliards d’euros d’encours) que la tentation est grande, pour tout gouvernement en quête de ressources, de s’y abreuver largement. Le risque n’est pas nouveau -nous ne cessons de le répéter dans ces colonnes – mais son acuité s’accroît à due concurrence du délitement des finances publiques. Il en résulte que nombre d’assurés de longue date, qui ont investi des sommes élevées au temps où aucune limitation ne restreignait l’exonération de droits de succession, peuvent légitimement se poser quelques questions sur la pérennité de leurs avantages. Car l’enjeu dépasse ici, et très largement, celui de l’impact des prélèvements sociaux. De la ligne directe aux non parents, le taux maximum des droits de mutation à titre gratuit s’étage entre 40% et 60%. On se doute que la mise en cause, même partielle, d’une telle exonération, rapporterait au Trésor bien plus que les 600 millions attendus de la réforme de la CSG.

Il n’est pas question de discourir ici du bien-fondé ou de l’équité du régime, extrêmement favorable, dont bénéficient les (anciens) contrats d’assurance-vie en matière de succession. De véritables fortunes ont été, sont et seront transmises en toute exonération. Il est donc permis de juger ce dispositif exagérément inégalitaire – du reste, la réglementation est devenue depuis lors plus restrictive. Mais en son temps, toute cette épargne a offert à l’Etat et à l’économie privée une source abondante de financement. C’est cette contribution, essentielle aux besoins de la collectivité, que les avantages fiscaux ont encouragée. Un deal à long terme, puisque les capitaux en cause n’étaient susceptibles de sortir du circuit qu’à la disparition de l’assuré. Voilà maintenant que l’Etat menace d’apostasier ses promesses anciennes, au motif qu’il est décavé pour cause de mauvaise gestion. L’incursion dans le territoire interdit de la rétroactivité fiscale, avec le précédent de la CSG, constitue ainsi un signal très lourd de sens : la puissance publique s’autorise désormais à trahir sans vergogne ses engagements passés. Au moment où la machine judiciaire se déchaîne contre les évadés fiscaux, l’Etat légitime la défiance des fraudeurs à l’égard de la parole publique. Quand les institutions se montrent déloyales envers les citoyens, ce sont les fondements de la démocratie qui sont mis en cause. Pour un butin de 600 millions d’euros, le Gouvernement prend de gros risques. Car il est désormais suspect de mijoter de nouvelles violences contre la loi, et donc contre les libertés fondamentales de ses administrés.

Visuel : @ Paul Bonhomme

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