Dettes souveraines : (...)

Dettes souveraines : OMT contre QE3

Après le quantitative easing (QE) des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, l’Europe s’engage sur les chemins escarpés du rachat massif de dettes souveraines, baptisé OMT. L’orthodoxie n’est plus de mise chez les Banquiers centraux. La BCE repousse l’échéance du problème. Mais ne résout rien.

Il y a une dimension religieuse dans les angoisses qui assaillent tout un chacun, en ces temps de questionnements fondamentaux sur le polythéisme monétaire. Comme dans l’Olympe de la Grèce antique, les divinités-devises s’affrontent en des combats acharnés, empreints de passions désespérément humaines. Entendons par là que les motivations de ces luttes intestines relèvent des caractéristiques les moins honorables de notre espèce : l’obsession du pouvoir et une propension inguérissable à la cupidité. Ce n’est sans doute pas par hasard si l’aigle, l’un des attributs de Zeus (ou Jupiter, son double dans la mythologie romaine), se retrouve associé au dollar, tant dans sa version papier que sur les pièces d’or frappées dès après la naissance de l’Union. Mais l’aigle se déplume : le dieu-dollar a manifestement abusé de ses prérogatives et trop négligé les devoirs de sa haute charge. Il en résulte une sévère bronca olympienne ; les divinités de second rang se sentent pousser des ailes et attaquent au mollet le patron des sphères célestes de la finance. Plus exactement, ce sont leurs représentants terrestres, en la personne des banquiers centraux, qui mènent la guérilla. Des manœuvres qui doivent être conduites avec doigté. Car si la planète financière comporte de multiples chapelles, celles-ci sont toutes régies par la même foi : la confiance en la monnaie et en la rectitude dogmatique des grands-prêtres qui l’administrent, c’est-à-dire les instituts d’émission. Là est bien le problème.

On connaît les dérives hérétiques de la FED américaine, qui distribue les indulgences par brassées de milliers de milliards de dollars, au profit d’un système bancaire enlisé dans des pratiques peccamineuses. Personne ne sait exactement quelles peuvent en être les conséquences. Ben Bernanke lui-même se montre prudent, en suggérant que les risques liés à ces pratiques non conventionnelles « semblent maîtrisés ». Il faut surtout comprendre qu’il est agréablement surpris que des désordres majeurs ne se soient pas (encore) produits. Le gros avantage de la planche à billets, c’est de faire perdurer l’illusion que les montagnes de dettes accumulées seront remboursées un jour ou l’autre, et donc que les créances correspondantes ont une vraie valeur. Ce qui, répétons-le une fois encore, n’est pas le cas. Mais faute de « plan B », tout le monde préfère s’accrocher au déni de réalité.

Victoire de Goldman Sachs

Dans un tel environnement, la position des autres banques centrales n’est pas vraiment confortable. Elles supportent les inconvénients de la création monétaire massive aux Etats-Unis, sans bénéficier des conséquences « normales » que cette situation devrait entraîner (l’érosion du dollar). Jusqu’à maintenant, à tout le moins. Si bien qu’en Europe, l’endettement souverain entretient un psychodrame permanent, et des risques d’explosion de la Zone euro, alors que la dette US est supérieure (plus de 100% du PIB) et le déficit fédéral abyssal. Depuis le départ en retraite de Jean-Claude Trichet, Français de tendance Bundesbank, la Banque centrale européenne est mieux disposée à l’égard de la tendance Goldman Sachs, brillamment représentée par Mario Draghi. A l’exception notable de l’Allemagne, les Etats-membres de l’UE appellent de leurs vœux une intervention musclée de la BCE, sur le modèle de son homologue yankee. Puisque certains Etats ne parviennent plus à se financer sur le marché à des conditions acceptables, la Banque centrale n’a qu’à ramasser le papier à livre ouvert. Les taux usuraires baisseraient d’autant et la spéculation serait tuée dans l’œuf. Certes, le bilan de la BCE deviendrait alors une grenade dégoupillée et la crédibilité de l’euro s’en trouverait nécessairement affectée. Mais puisque l’Amérique agit de la sorte sans être punie de sa truanderie, pourquoi ne pas faire de même ? C’est le souhait de l’administration US : en cas de généralisation de ces pratiques sulfureuses, le dollar maintiendrait son avantage de primus inter pares, de première devise pourrie parmi toutes les monnaies pourries.

Les marchés attendaient donc avec impatience la dernière réunion du Comité de la politique monétaire de la BCE, et les traditionnelles déclarations qui s’ensuivent. Draghi n’a pas déçu les marchés en leur annonçant ce qu’ils espéraient : la Banque interviendra sur le marché secondaire de la dette souveraine, afin de « corriger les distorsions des marchés » et d’apaiser les craintes « infondées » des investisseurs quant à la « réversibilité » de l’euro (c’est-à-dire l’hypothèse de l’abandon de la monnaie commune par certains Etats-membres). Baptisé Outright monetary transactions (OMT), le plan en question ne prévoit aucune limite quantitative. Mais il pose deux garde-fous. Le premier est d’ordre juridique : les pays souhaitant être inclus dans ce programme devront formuler une demande d’aide au Fonds européen de stabilité financière (FESF). C’est-à-dire s’engager formellement sur un catalogue détaillé de contraintes et de garanties, de façon à tisser un filet de sécurité sous les acrobaties de la BCE. Le deuxième est d’ordre technique : sont concernés par l’OMT les titres dont la maturité n’excède pas trois ans. Autant dire que va s’accentuer le phénomène déjà observé, consistant à faire « rouler » la dette sur des échéances de plus en plus courtes. Si bien que pour les Etats en difficulté, le stress va aller grandissant sur les années qui viennent : dans trois ans au plus, c’est l’intégralité de la dette nationale (ou presque) qu’il faudra refinancer. Moralité : chaque « plan de sauvetage » repousse d’un chouïa l’échéance du problème sans le résoudre, et il en accroît l’intensité.

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