Fonds publics : le verdict de la Cour

Le rapport de la Cour des comptes sur l’année 2013 rend hommage au Gouvernement pour son « effort structurel » dans l’assainissement budgétaire. Mais il épingle son optimisme dans les prévisions de recettes et ses faiblesses dans la maîtrise des dépenses. Les préventions demeurent pour l’exercice en cours.

Toujours très attendu, le rapport annuel de la Cour des comptes [1]. D’abord, parce qu’il offre aux médias matière à gonfler leurs rubriques critiques pendant quelques jours, voire davantage si les thèmes se prêtent à polémique. Ensuite parce que chacun est désormais sensibilisé à la qualité de la gestion publique, un thème qui n’intéressait naguère qu’une poignée de spécialistes et les inévitables Cassandre – gentiment catalogués comme grincheux de service. Maintenant que sont devenus évidents les effets calamiteux de plusieurs décennies consécutives de gestion folklorique, et que le pays est sommé d’honorer la pyramide de dettes qu’il a ingénument édifiée, le travail de la Cour des comptes s’est nettement revalorisé aux yeux de l’opinion. Et les autorités gestionnaires ont cessé de le traiter par dessus la jambe : en témoigne l’amélioration significative de la prise en compte des recommandations de la Cour.

Dans la mission de contrôle de régularité de l’usage des fonds publics, l’action des commissaires aux comptes de la « maison France » s’inscrit dans la continuité. En revanche, il semble que la Cour ne cesse de s’enhardir dans sa mission d’évaluation de la pertinence des politiques publiques, mesurée à l’aune des résultats obtenus par rapport aux moyens affectés. L’observation vaut tout autant pour les actions engagées, ayant produit des effets mesurables, que pour les mesures projetées au travers de la loi de Finances. A croire que la Cour, qui a vocation statutaire à assister le Parlement et le Gouvernement, n’est guère consultée lors de l’élaboration du budget…

Ralentissement de la détérioration

Le rapport débute logiquement sur un constat déplaisant : le déficit d’exécution 2013, estimé à 4,1% du PIB (chiffre définitif à la fin mars), excède nettement les prévisions gouvernementales. Lesquelles, initialement fixées à 3%, avaient pourtant été revues à la hausse, en accord avec Bruxelles. Les magistrats reconnaissent toutefois que l’effort structurel, bien que légèrement inférieur aux prévisions de la loi de programmation (1,7 point de PIB contre 1,9), « a atteint un niveau inégalé dans le passé ». On ne peut donc reprocher au Gouvernement d’avoir négligé ses obligations. Mais il a failli dans les deux compartiments traditionnels : d’abord, une surévaluation des recettes, imputable à la fois à des prévisions de croissance trop optimistes (ce que la Cour avait en son temps signalé) et à une mauvaise évaluation de l’élasticité des recettes au PIB (elles étaient supposées, à tort, directement proportionnelles à ce dernier). Ensuite, les dépenses ont continué de dériver, la hausse en volume étant partiellement masquée par la faiblesse de l’inflation (0,7% constaté, au lieu de 1,8% prévu dans la loi de Finances initiale) : les administrations publiques manifestent toujours autant de difficultés à respecter la rigueur budgétaire. Pour ce qui est de l’année en cours, le rapport juge « incertaine » la réalisation de l’objectif de réduction des déficits. Au vu de leurs commentaires, les magistrats auraient dû plutôt noter « improbable ». Etalonnée à 0,9%, la croissance prévisionnelle est considérée comme « plausible » ; il faut admettre que sur ce terrain, la Cour n’est pas mieux lotie que le Gouvernement quant à la fiabilité des anticipations. Mais elle critique le fait d’avoir de nouveau retenu une parfaite proportionnalité entre les prélèvements et la croissance, ce que l’expérience de l’exercice dernier a formellement démenti. Quant aux objectifs de maîtrise des dépenses, ils apparaissent d’ores et déjà comme « difficiles à atteindre ». Pour les économies annoncées, « leur montant ne conduit pas à une baisse des dépenses mais à un ralentissement de leur croissance », note le rapport. Le refrain est connu et aisément explicable : les rémunérations représentent environ 25% de la dépense publique. Pas étonnant que la question de l’effectif des fonctionnaires soit régulièrement évoquée, et plus récemment la question du blocage éventuel de l’indexation des traitements… Ainsi, l’objectif d’un déficit de 3,6% du PIB pour cette année paraît fortement hypothétique, et le retour à un équilibre structurel en 2016 irréaliste, sauf… « une mobilisation et une action résolue de l’ensemble des autorités publiques ». Et probablement des contribuables, se doit-on d’ajouter au verdict des magistrats.

En 2013, la Cour a épinglé le ministère de l’Agriculture, dont les contrôles sanitaires seraient notoirement insuffisants : pas étonnant que le cheval se substitue aussi aisément au bœuf. Voilà qui est embarrassant, au moment où la filière agricole lance le label « viandes de France », supposé rassurer le consommateur. Se trouve également épinglé un accord de coopération franco-britannique en matière de porte-avions, duquel il ressort que les Gibies nous ont arnaqué de 200 millions d’euros. Voilà ce qu’il en coûte de dealer avec la perfide Albion. Sont également critiquées les collectivités d’outre-mer, pour leur inertie en matière de politique touristique. La Cour recommande ainsi la suppression du dispositif fiscal « Girardin » concernant ces territoires, et son remplacement par des aides moins coûteuses et plus efficaces. Enfin, au chapitre du suivi des recommandations, on se saurait éviter le régime des « facilités de circulation » accordées aux personnels de la SNCF et à leur famille (gratuité ou quasi-gratuité). Si la Cour ne remet pas en cause le principe de l’avantage en nature, suggérant toutefois de restreindre le périmètre de son attribution (plus de 750 000 bénéficiaires, dont à peine plus de 20% sont des personnels actifs), elle préconise de le soumettre complètement aux régimes fiscal et social correspondants. A ce jour, c’est la SNCF (donc le contribuable) qui paie l’intégralité des charges sociales, ainsi que… la CSG. Et les cheminots ne déclarent pas leur avantage en nature, les veinards.

[1Le rapport intégral est disponible sur http://www.ccomptes.fr/

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