G20 à Léningrad

Ambiance glaciale au G20 de Saint-Pétersbourg, sur fond de différends politiques. L’imperium américain se voit également contesté sur le plan économique. Au travers du statut hégémonique du dollar. Car un battement d’ailes de la FED suffit à provoquer une tornade dans les BRICS. La riposte s’organise.

Selon certains commentateurs, le dernier G20 pourrait marquer un moment « historique » des relations internationales. Il se trouve que par un hasard facétieux du calendrier, cette grand-messe avait été programmée à Saint-Pétersbourg. Compte tenu de l’humeur ambiante dans le club, on se serait plutôt cru à Leningrad, ainsi rebaptisée par feus les Soviets l’ancienne capitale des tsars. Le G20 ayant pour ambition de favoriser la concertation internationale, afin de fluidifier le commerce et de booster la prospérité de tous, c’est par nature un lieu d’ouverture et de convivialité. Seulement voilà : cette année, de méchantes fâcheries précédaient la réunion, ravivant le protocole constipé qui prévalut lors de la « guerre froide », ainsi nommée l’ère glaciaire qui empoisonna pendant des décennies les relations entre le bloc américaniste et le bloc soviétique. En ce temps-là, la propagande grossière et l’information faussaire étaient une spécialité russe, face à la vertu virginale du monde libre, doté d’institutions authentiquement démocratiques. En 2013, il semblerait que la vapeur se soit renversée : avec l’affaire Snowden et le psychodrame syrien, la suspicion d’abus de pouvoir, de propagande éhontée et de mensonges délibérés s’est abattue sur l’oncle Sam et son clan, pendant que la Russie défend vaillamment l’inviolabilité du droit international, la souveraineté des peuples et les libertés individuelles.

Ce basculement de polarité dans la morale politique, que la grande presse occidentale ne se résout pas à authentifier, n’est pas en soi le phénomène le plus surprenant. Ce qui est confondant, en revanche, c’est le confusionnisme invraisemblable qui enveloppe les velléités guerrières des USA et de la France – Descartes doit se retourner dans sa tombe. Nul ne parvient à comprendre les motifs d’une telle hystérie, sauf à satisfaire les obsessions religieuses de l’Arabie Saoudite et les intérêts gaziers du Qatar, des objectifs un peu courts pour risquer une déflagration mondiale. Au point de donner crédit à cette observation du journaliste russe Fédor Loukianov : « Les Américains ne savent pas ce qu’ils font, mais ils voient dans l’usage de la force la réponse à tous leurs problèmes, même quand les conséquences en sont imprévisibles ». Si l’on en juge au contenu du communiqué final de Saint-Pétersbourg, les dirigeants des grandes nations ne savent pas davantage à quel saint se vouer. Il en résulte un consensus sans appel sur les objectifs qui ne souffrent pas de discussions, et sur les autres des formulations byzantines qui provoqueraient une levée de boucliers si l’on en déplaçait seulement une virgule…

Entropie galopante

En qualité de paterfamilias de leurs maisons respectives, les dirigeants sont unanimement disposés à favoriser l’activité et l’emploi. Si bien que les références anciennes à la rigueur budgétaire ont été pudiquement évacuées. Il n’en demeure pas moins que les « réformes structurelles » sont toujours présentées comme un outil efficace du rétablissement des équilibres publics, ce qui est une autre façon de formuler les bienfaits de l’austérité – laquelle est un frein reconnu à la croissance et à l’emploi. On reste donc dans le même discours de la « ri-lance » lagardienne, même s’il est formulé autrement : à chacun de se débrouiller pour inventer une politique de relance qui permette de dépenser moins, tout en prélevant suffisamment d’impôts pour honorer ses dettes. Reconnaissons toutefois au communiqué une certaine lucidité : il est admis que si la croissance semble pointer son nez, le sursaut demeure fragile et la vigilance reste de mise. Ce que confirme, du reste, la publication des chiffres de l’emploi américain (très décevants) à la clôture du G20.

L’un des thèmes principaux de ce sommet avait déjà été préparé lors des séances précédentes : celui relatif à la fiscalité, au travers des travaux de longue date de l’OCDE. Pour éviter l’énorme déperdition fiscale que subissent les Etats, l’idée est de parvenir à l’échange automatique d’informations à partir des données bancaires. Engagement a été pris de s’y soumettre avant la fin 2015, ce qui constitue assurément une étape importante dans la lutte contre l’évasion – au moins sur le plan formel… En revanche, la volonté s’émousse lorsqu’il s’agit de combattre efficacement l’optimisation fiscale des grandes firmes et ces aspirateurs d’impôts que sont les trusts. Il est donc permis de se montrer circonspect quand aux succès à attendre de la croisade en faveur de la loyauté fiscale, même si le nomadisme des particuliers va devenir de plus en plus risqué.

Le dernier point important concerne la guerre des monnaies. On a déjà exposé ici les conséquences de la politique monétaire expansionniste des Etats-Unis : un effet médiocre sur l’économie nationale, mais significatif sur les économies émergentes, où ces capitaux surnuméraires vont glaner des espérances de profit supérieur. La perspective du prochain tapering de la Fed (la réduction progressive de son quantitative easing actuel) provoque un retour au bercail des capitaux, et déclenche le processus auquel les spéculateurs veulent échapper : la hausse du dollar par rapport aux monnaies dans lesquelles ils ont investi. Les BRICS [1] ont ainsi essuyé une dépréciation sévère de leurs devises. Si bien qu’ils implorent la Fed de modérer ses velléités d’orthodoxie, tout en mettant en place un fonds d’intervention - un concurrent du FMI – pour combattre cette volatilité. La guerre monétaire va ainsi se poursuivre au gros calibre. Sans sommation. Les prochains G20 pourraient se révéler bien peu consensuels…

[1Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud

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