Grèce : un peu d'oxygène

Grèce : un peu d’oxygène

Longues délibérations de l’Eurogroupe et du FMI pour boucler le « sauvetage » grec. Un bricolage de fortune, assorti de dispositions très techniques, pour retarder le moment désagréable où les Etats-membres devront comptabiliser leurs pertes. Afin qu’il ne se produise pas avant les élections allemandes…

Le Père Noël aurait-il prématurément commencé sa tournée des chaussons communautaires ? C’est ce que l’on pourrait supposer après le sommet du 26 novembre, prétendument caractérisé par un élan de bienveillance et de générosité à l’égard de la Grèce. Tel est le sens des déclarations officielles et des commentaires empressés des observateurs patentés. Athènes serait désormais sauvée, l’euro avec elle et les marchés n’ont plus qu’à prendre bonne note de la nouvelle donne. Nul doute que chacun aimerait prendre ces allégations pour argent comptant. Mais la réalité s’écarte sensiblement du scénario rose que les participants tentent de vendre à l’opinion. Ce n’est pas pour rien que la session en cause ne s’est achevée qu’au milieu de la nuit ; ce n’est pas pour rien que le cri de victoire s’est exprimé en des termes cocasses : « La Zone euro et le FMI se sont mis d’accord pour réduire la dette grecque à 124% du PIB en 2020, au lieu des 120% initialement prévus ».

Presque 14 heures d’âpres discussions pour parvenir à un tel compromis, voilà qui ne plaide pas en faveur de la compétitivité des négociateurs. D’abord, parce que la victoire revendiquée représente une avancée risible en regard de la gravité de la situation : un dé à coudre de transfusion future pour un patient présentement hémorragique. Ensuite parce que l’estimation du PIB du pays, à échéance de huit ans, relève de la prestidigitation. En début d’année, les prévisionnistes tablaient sur un léger recul de la production grecque ; dans les faits, cette dernière devrait régresser de plus de 7% sur l’exercice. En revanche, le stock de la dette est parfaitement connu en temps réel : son montant est d’environ 340 milliards d’euros à ce jour. Il est unanimement reconnu comme monstrueusement excessif et objectivement irréductible à des proportions supportables par une gestion normale, même rigoureuse. La seule solution consiste à trancher dans le vif, comme le demande avec insistance le FMI, dans un revirement stratégique qui l’honore.

L’échéance retardée

Il est très facile de comprendre pourquoi les membres de l’Eurozone renâclent à envisager la restructuration nécessaire de la dette grecque : 80% environ de cette dernière sont détenus directement ou indirectement par ces mêmes Etats. Soit par les concours directs qu’ils ont accordés, soit au travers du fonds de soutien (le FESF), soit par le canal des banques centrales (nationales et européenne). Accepter un « haircut » de 65% à 70% (norme consensuelle parmi les économistes), cela signifie, pour les 17 Etats concernés, d’absorber une perte sèche de 180 à 190 milliardsd’euros. Pas étonnant que les Allemands freinent des quatre fers devant une telle perspective : la Bundesbank détiendrait un portefeuille significatif de créances grecques, et la BCE, dont Berlin est actionnaire à près de 19%, en a ramassé de grandes brassées. Angela Merkel ne peut ignorer que l’addition finira par lui être présentée. Mais son souhait le plus cher consiste à repousser l’échéance au-delà des élections de l’automne 2013, car les électeurs teutons (et leur Parlement) sont très mal disposés à l’égard des Grecs. Ainsi donc, faute de pouvoir utiliser une tronçonneuse pour abattre le séquoia des dettes athéniennes, les 17 ont sorti leur opinel. Ils ont donc obtenu, non sans peine, des résultats conformes aux moyens mobilisés.

D’abord, un délai supplémentaire de deux ans a été accordé à la Grèce pour dégager un excédent budgétaire primaire, fixé, pour 2016, à 4,5% du PIB (on appréciera la savoureuse précision de l’objectif). Cela ne change rien à la situation financière du pays, sauf que la Troïka devra patienter un plus longtemps avant de lui infliger de nouvelles purges. Sur la dette elle-même, qui constitue le problème en soi, les créanciers publics ont accepté quelques aménagements. D’abord, la maturité des prêts est prolongée de quinze ans. Là non plus, la mesure n’apporte rien d’autre que d’éviter, pendant un bon moment, le stress d’avoir à se demander comme refinancer le papier échu. En revanche, le taux des prêts bilatéraux (issus du plan de sauvetage de 2010) sera réduit de 100 points de base. Le FESF renoncera à ses coupons pendant dix ans et la BCE restituera à Athènes ceux qu’elle a encaissés. Sympa, mais aucune de ces mesures ne réduit l’endettement existant. Sauf que le FESF financera le rachat des obligations détenues par les investisseurs privés et qui feront l’objet d’un rachat le 12 décembre… si leurs détenteurs acceptent les conditions proposées. On parle officieusement d’une décote de 65% : une information malencontreuse, car le papier grec affichait auparavant une décote supérieure. Si bien que les spéculateurs se sont empressés de ramasser des titres, dont l’échéance 10 ans n’offre plus « que » 16,5% de rendement au moment où ces lignes sont écrites. Mais enfin, l’honneur est sauf : les pays membres se sont engagés « en blanc » à prendre toutes les mesures de soutien nécessaires, dès que la Grèce dégagera un solde primaire positif et qu’elle aura procédé aux réformes exigées par les bailleurs de fonds. Ce n’est pas demain la veille. Si bien que cette grande victoire ne signe pas, hélas, la fin du drame grec. Mais elle permet aux uns et aux autres de gagner un peu de temps. Suffisamment pour pouvoir réveillonner en paix.

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