Grèce : vers l'épilogue

Grèce : vers l’épilogue ?

Cinq ans après ses débuts, le drame grec se poursuit et gagne en intensité. Car le calendrier se resserre avec l’échéance qu’Athènes doit honorer le 16 novembre. La seule issue consiste à accorder une nouvelle et vigoureuse restructuration. Mais les Etat-membres n’entendent pas en supporter le coût. Notamment l’Allemagne.

Convenons-en : la légèreté gestionnaire, la corruption institutionnalisée et l’évasion fiscale sont depuis longtemps des spécialités helléniques bien rodées. Bien qu’elle n’en ignorât rien, l’UE se montra bienveillante en 1981 avec l’intégration de la Grèce dans son club, et vingt ans plus tard en l’autorisant à renoncer à la drachme pour l’euro, en échange de la promesse verbale de se montrer à l’avenir bonne fille. Le paternalisme popote des politiques et technocrates européens se justifiait à l’aune du PIB grec : infime en regard de celui de la Zone. Quand bien même Athènes négligerait-elle les règles élémentaires de l’orthodoxie, pensait-on à l’époque, il suffirait de quelques remontrances et d’une poignée de picaillons pour rétablir la situation. On sait ce qu’il en est aujourd’hui : la brèche dans les comptes publics grecs menace de naufrager le paquebot européen. Cinq ans après le début de la crise et après le deuxième « plan de sauvetage », le navire continue de gîter méchamment et sur le pont, les officiers distillent des ordres contradictoires. La rébellion s’installe au sein de l’équipage et çà et là émergent des velléités de mutinerie.

Pour parfaire le tableau, voilà qu’émerge un secret dérangeant dont les autorités grecques avaient pudiquement « perdu » la preuve durant ces deux dernières années : la fameuse « liste Lagarde », un inventaire détaillé des titulaires grecs de comptes bancaires suisses. Provenant du braconnage d’un employé indélicat de HSBC, dont le larcin, juridiquement condamnable mais moralement défendable, avait permis à l’administration fiscale française de débusquer quelques magots anonymes. Par esprit de confraternité, la ministre des Finances de l’époque avait aimablement cafté au gouvernement grec l’identité de ses fugitifs fiscaux : à peu-près tout le gratin athénien du business et de la politique, sans distinction d’âge, de sexe ni d’appartenance sectaire. Une raison suffisante pour égarer durablement ce brûlot… Désormais publique, la liste en question provoque des réactions compréhensibles de la part des principales parties intéressées : les créanciers lorgnent la cagnotte off shore et les citoyens grecs, harassés de ponctions, maudissent le rouerie de leurs élites – voire plus, au fur et à mesure de la montée en puissance de l’exaspération collective. En toile de fond, la date fatidique du 16 novembre, où le pays doit faire face à une très grosse échéance dont il n’a pas le premier sou. Il faut donc que d’ici là, la Troïka, les créanciers et le Parlement grec se soient accordés pour que les fonds nécessaires soient débloqués, évitant ainsi le défaut d’Athènes et par ricochet une indescriptible chienlit en Europe et dans le monde entier. L’enjeu est objectivement considérable.

Berlin en première ligne

C’est normalement la réunion de l’Eurogroupe du 12 novembre qui doit acter le contenu de l’accord, autorisant le déblocage des 31,2 milliards d’euros virtuellement attribués à Athènes, mais consignés jusqu’à ce que le Parlement ait voté un nouveau train de mesures d’austérité exigé par les divers créanciers. Et accordant à la Grèce un délai supplémentaire de deux ans pour atteindre ses objectifs – ce qui accessoirement devrait encore coûter 30 milliards de plus, non provisionnés à ce jour. L’Allemagne a déjà fait connaître son scepticisme quant à la probabilité de boucler le dossier le 12 novembre. Ce qui fait monter d’un cran la pression. Comble de malchance, les députés grecs ne peuvent avaliser, si tant est qu’ils le veuillent, l’un des plus récents projets du gouvernement (intégrant en particulier la baisse du traitement des fonctionnaires et une nouvelle érosion des pensions de retraite) : la Cour des comptes l’a déclaré inconstitutionnel. On se demande bien où le Premier ministre ira chercher les fonds correspondants pour satisfaire les négociateurs…

Un zéphyr de lucidité est venu caresser certains dirigeants européens, ainsi que le FMI, qui ne voient qu’une solution raisonnable : une nouvelle restructuration de la dette. Ce que le signataire ne cesse de répéter depuis la première et (trop) timide restructuration. Car en dépit du fardeau fiscal qui est imposé aux populations, l’amortissement des emprunts est mécaniquement impossible (le pays se prépare à sa sixième année consécutive de forte récession). Selon les dernières estimations, la dette pèsera 190% du PIB cette année et 220% en 2016, en supposant que la situation évolue favorablement (ce qui est hautement improbable). Pourquoi donc n’a-t-on pas procédé, et ne procède-t-on toujours pas, à ce qui est inéluctable : un abandon massif de créances ? Parce que ces dernières, à l’origine disséminées dans les portefeuilles bancaires, se trouvent désormais concentrées dans un nombre de mains limité. Quelques hedge funds, bien sûr : mais eux sont des spéculateurs avertis et acceptent le risque encouru, face aux profits spectaculaires qu’ils engrangeront s’ils gagnent leur pari. Les autres sont surtout… les banques centrales nationales et la BCE, qui ont collectivement ramassé une large part de ce papier. Il en résulte qu’en cas de sévère restructuration, ou de défaut, les instituts d’émission devraient se recapitaliser auprès des Etats pour compenser les pertes encourues. Le plus gros perdant de l’épreuve serait alors l’Allemagne qui, outre la Bundesbank, détient près de 19% du capital de la BCE. L’addition serait très salée. Ou plutôt sera. Mais sans doute madame Merkel préfère-t-elle que l’échéance soit reportée au-delà des législatives de l’automne prochain…

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