L'or des banques centrale

L’or des banques centrales

L’or a depuis longtemps perdu son rôle d’étalon monétaire. Pourtant, il figure encore en bonne place au bilan des banques centrales. Au moins sur le plan comptable. Entre les prêts aux spéculateurs et les dépôts à l’étranger, les banques centrales s’exposent à de gros risques. Sans compter celui des barres en tungstène…

La fascination pour l’or remonte à la nuit des temps. Quant à déterminer avec précision quel peuple fut le premier à utiliser la monnaie métallique, et à quelle époque, les avis d’historiens continuent à diverger. Tout comme demeure assez mystérieux le processus ayant conduit à la naissance d’une monnaie d’échange (bétail, outils, coquillages…), dont la pratique s’est longtemps cristallisée sur les métaux précieux. Aujourd’hui, les pièces d’or n’ont cours légal dans aucun pays de la planète. Cela n’empêche pas, bien entendu, que leur valeur de marché ait prospéré au rythme de l’envolée du métal. Désormais, aucune monnaie n’est convertible en or : le dollar est la dernière d’entre elles a avoir été dotée de ce statut prestigieux après les accords de Bretton Woods. Mais la convertibilité a été définitivement reniée en 1971, si bien que depuis cette date, la « relique barbare » keynésienne a disparu du paysage comme référence monétaire. Et pourtant, l’or continue de constituer une fraction déterminante des réserves des grandes banques centrales : 8 133 tonnes aux Etats-Unis (1er rang), 3 395 tonnes en Allemagne (2ème), 2 452 tonnes en Italie (4ème derrière le FMI) et 2 435 tonnes en France (5ème). Le stock chinois (6ème) ne représente que 1,6% de ses réserves de change avec 1 054 tonnes, mais ne cesse de gonfler, comme celui de la plupart des pays émergents, notamment la Russie et bien des Etats issus de l’éclatement de l’ex-bloc soviétique.

La tendance est générale : sur les trois dernières années, les banquiers centraux ont nettement renforcé leurs réserves métalliques. Bien qu’ils se déclarent défavorables, comme la plupart des économistes, au rétablissement d’un système monétaire ancré à l’or. Il en résulte ce constat paradoxal : pour toutes les banques centrales, l’or constitue une meilleure sécurité que la monnaie qu’elles émettent ou que n’importe laquelle des devises qu’elles reçoivent. Il n’est donc pas surprenant que l’opinion se préoccupe régulièrement de savoir où est stocké le trésor national, s’il est bien égal à son relevé officiel et même… s’il existe vraiment. Toutes ces questions n’émanent pas seulement des « complotistes » patentés ; elles résultent d’usages, de pratiques et de techniques qui ne favorisent guère la transparence.

Des secrets inavouables ?

Voilà quelques mois, Le Figaro a offert à ses lecteurs un périple documenté dans les caves fortifiées de la Banque de France –une première dans l’histoire de l’Institution. Pourquoi avoir, à ce moment-là, renoncé à la discrétion légitime de la Banque concernant l’emplacement de son magot, les voies d’accès et les sécurités du lieu ? Certes, il n’y a peut-être pas d’autre raison que la persévérance d’un journaliste en quête de scoop. Mais le résultat est là : la France a « prouvé » la détention de ses précieux lingots, même si le journaliste n’a pas sorti son mètre déroulant pour vérifier les comptes (l’exercice eût été aisé et rapide : 1 m3 d’or pèse près de… 20 tonnes !). L’information n’était pas anodine car au même moment, la bagarre du sénateur américain Ron Paul, contre la FED, atteignait un stade aigu. Le Sénateur réclame (depuis… trente ans) un audit indépendant et complet de l’Institution, afin notamment de vérifier si Fort Knox détient bien les quantités d’or portées au bilan de la Banque centrale. Car certaines opérations relatives à l’or demeurent « hors bilan » : comme le prêt de métal physique, par exemple. Une opération courante, au profit des spéculateurs qui opèrent sur le marché au comptant (encouragés, prétendent certains, par la FED elle-même : l’envolée du prix de l’or n’est jamais un bon signal pour les monnaies en général et le dollar en particulier).

La vente short sur le marché spot a d’ailleurs produit quelques embarras diplomatiques, quand des acheteurs (en particulier la Banque centrale chinoise) ont exigé la livraison de leurs achats au lieu d’un « dépôt » à Londres. Pour de grosses quantités, seules les banques centrales ont le stock suffisant pour le dépannage. C’est à l’occasion de l’un de ces sauvetages d’urgence que les Chinois ont constaté que leurs barres d’or étaient en réalité… du tungstène (même masse volumique que l’or). Selon la légende, 16 000 tonnes de lingots de 400 onces (le poids exact d’une « barre » d’or) auraient été fondus sous l’administration Clinton et gentiment décorés à l’or fin. Dont une bonne partie serait présentement logée à Fort Knox (information non vérifiable), le reste ayant été dispersé sur le marché (pas davantage vérifiable). Il est probable que la rumeur soit, au moins partiellement, fondée. Ce qui, dans cette hypothèse, promet des situations compliquées, un jour ou l’autre...

Même les Suisses s’inquiètent : un élu revient sur la question lancinante de la localisation de l’or de la Banque nationale. Laquelle a non seulement accordé des prêts en or, mais ne détient pas l’intégralité de son stock sur le territoire helvétique. Pourquoi disperser son or en Angleterre, aux Etats-Unis ou à Hongkong ? Pour assurer « la fluidité des opérations commerciales » sur le métal, argue la BNS. Soit. L’ennui, c’est qu’un prêt n’est pas nécessairement remboursé. Surtout quand il est devenu quasi-certain que les vendeurs short de métal finiront par prendre une grosse gamelle. Et pour accepter de confier la clef du coffre à des financiers britanniques, américains ou hongkongais, il faut avoir la confiance chevillée au corps. Ou bien carburer au fendant de l’aube au crépuscule.

Visuel : Photos Libres

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