L’orthodoxie selon le FMI

Vive la crise : jamais dans l’Histoire la fortune privée n’a été aussi élevée. Est-ce à dire que la population mondiale baigne dans l’aisance ? Pas vraiment. Le festin n’est servi qu’à une poignée de commensaux privilégiés. Et le FMI propose de consolider cette aristocratie en ponctionnant le patrimoine de tout un chacun.

Les statistiques donnent-elles une image fidèle de la réalité ? On peut le supposer, pour peu que les séries de données soient elles-mêmes fiables. En revanche, l’interprétation qu’elles suscitent mérite sans doute un certain scepticisme. En témoigne la dernière livraison du Crédit Suisse, dans son exercice annuel d’évaluation de la richesse privée sur toute la planète : le stock atteindrait désormais 241 000 milliards de dollars US, record absolu depuis le début des temps. La tentation est donc d’en déduire que notre espèce n’a jamais été aussi prospère et que, en dépit de la crise économique et financière qui sévit depuis plus de cinq ans, les ménages jouissent d’une aisance inconnue de leurs ancêtres sapiens, depuis le Paléolithique. On veut parler de l’aisance moyenne, bien entendu : sur la base des derniers relevés, l’adulte terrien détient 51 600 USD d’actif net. On notera au passage que c’est la devise américaine qui sert d’étalon de mesure, en dépit de sa volatilité déroutante par rapport aux autres monnaies.

On notera donc, accessoirement, que la politique agressive de la FED – qui fabrique du dollar à une cadence frénétique – permet aux Yankees de s’enrichir en dormant, puisque la dépréciation relative du dollar n’est pas prise en compte dans les statistiques. Il est donc naturel que sur l’année écoulée, la « création de richesse » soit principalement localisée aux Etats-Unis : on la retrouve dans le rebond du marché immobilier (même s’il est modeste et fragile) et surtout dans le dynamisme de Wall Street, dont les cours sont dopés par le flot de liquidités émanant de la Banque centrale. La richesse mondiale, tout particulièrement celle des Américains, est ainsi suspendue au trafic d’anabolisants des Instituts d’émission, qui favorise la « gonflette » des patrimoines privés. On sait ce qu’il adviendrait en cas de sevrage : la fière musculature des fortunes présentes se transformerait en un amas de chairs flaccides.

Spoliation universelle

Mais cet enrichissement généralisé est d’autant plus trompeur si l’on s’intéresse à la répartition de la fortune. Car pour faire partie du club enviable des 50% les plus riches de la planète, il suffit de posséder un actif net supérieur à… 4 000 USD. Soit approximativement 3 000 euros. Cela signifie, par corollaire, que le patrimoine individuel de la moitié de la population mondiale est inférieur à ce seuil dérisoire : ensemble, les 50% les plus pauvres détiennent moins de 1% de la richesse totale. Alors que les 10% les plus riches en possèdent 86% et le dernier centile – les 1% super-riches – en contrôlent 46%. D’ici peu, la moitié de la galette mondiale sera dans les mains d’une poignée d’individus : en ayant refusé de constater la faillite du système financier, par transfert de l’ardoise sur le contribuable, les autorités politiques ont accéléré le phénomène de concentration des richesses. Lequel devrait se poursuivre sur les années à venir, si l’on en croit les analyses du Crédit Suisse. A moins que les 90% de la population mondiale, qui se partagent les miettes du festin de façon inéquitable, ne soient tentés de réagir vertement à ce mode de répartition. Car si la fortune se concentre, les revenus suivent le même mode de distribution : aux Etats-Unis, la richesse produite sur l’année écoulée a été captée par l’élite fortunée dans une proportion supérieure à 100%. C’est-à-dire que tous les autres se sont appauvris : de fait, le pouvoir d’achat du Yankee moyen est devenu inférieur à son niveau des années 1970. Voilà sans doute qui explique, pour une bonne part, la popularité du Tea Party et le jusqu’au-boutisme de ses représentants au Congrès.

L’accroissement de la richesse individuelle ayant, pour une large part, sa contrepartie dans l’enflure de l’endettement collectif, se pose inévitablement la question de résorber la dette souveraine, largement issue du transfert des défaillances privées sur le dos des contribuables. Le consensus s’était, jusqu’à ce jour, constitué autour d’une croyance mobilisatrice : avec des « réformes structurelles », de menus sacrifices et quelques ponctions fiscales, les gouvernements parviendraient à ramener les finances publiques sur la voie de l’orthodoxie. On l’a maintes fois rabâché dans ces colonnes : une telle approche relève de la méthode Coué. L’évidence s’impose désormais : il faut purger les dettes souveraines autrement que par des incantations. Voilà donc que le FMI monte au créneau. En suggérant d’abord de renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu – un tel positionnement ne mange pas de pain et place le Fonds dans le camp confortable de la « justice fiscale ». Et ensuite, de prélever sur les patrimoines le montant nécessaire à l’amortissement de la dette souveraine surnuméraire. En une seule fois, afin d’apporter au problème une solution « définitive ». Vous voyez le cheminement de la pensée : on met en avant une ponction supplémentaire sur le revenu des « riches », avant de boulotter un morceau du patrimoine de… tout le monde. Une généralisation de l’aventure chypriote qui avait pourtant, nous a-t-on assuré, un caractère « exceptionnel ». Tous ces méandres pour éviter le chemin direct, conforme à la morale capitaliste : le défaut généralisé des Etats sur une partie de leur dette. Car cette voie naturelle présente le handicap de pénaliser les principaux créanciers directs : les banques et autres organismes financiers, ainsi que les hedge funds et les gros portefeuilles privés à l’abri des paradis. Le FMI confirme ainsi son statut de syndicat. Le syndicat des croupiers du casino financier. On est drôlement rassuré…

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