L'UE et le plat de lentill

L’UE et le plat de lentilles

Le résultat du dernier sommet européen a été pour les marchés une divine surprise. Grâce à une ébauche de solidarité à l’égard des créanciers, en échange de l’immunité des banques face au risque de défaillance. Une immunité garantie par l’intégration politique et fiscale. Le « recul » de Merkel ressemble à un triomphe.

Et soudain, une vague de soulagement se mit à souffler sur la planète entière, avant même l’achèvement du sommet européen, que personne n’osait plus qualifier « de la dernière chance », quand les dix-huit précédents avaient été affublés du même qualificatif. Le jour n’avait pas encore pointé à Bruxelles que Tokyo saluait déjà l’événement. La Bourse nipponne allait bientôt être suivie dans l’enthousiasme par ses homologues européennes, clôturant la dernière séance de juin sur de vigoureuses avancées. La palme revient à la place madrilène : 5,66% de hausse, un hommage direct au Premier ministre Rajoy, qui serait avec l’Italien Monti l’artisan du succès célébré. Puis Wall Street fermait le bal sur une note très soutenue, validant par la même occasion la pertinence de l’optimisme européen.

L’allégresse était d’autant plus compréhensible que personne n’osait plus croire qu’il ait pu sortir quoi que ce fût d’un tel sommet. Il semblait acquis par avance que l’action européenne face à la crise ne pouvait s’écarter de la voie tracée par l’Allemagne, et que l’intransigeance de la Chancelière rendait vaine toute tentative d’emprunter des chemins de traverse. En un mot, que la sortie de crise ne pouvait s’opérer autrement que par l’ascèse budgétaire des plus endettés, et qu’il ne pouvait être question d’appeler à la solidarité des Etats-membres sans le niveau approprié d’intégration politique. Comprenons par là, sans le préalable du contrôle a priori des budgets nationaux, et par corollaire la mise sous tutelle des Etats défaillants. Une approche qui exclut, on s’en doute, la mise en place des eurobonds, dettes qui seraient émises sous la signature de l’Europe elle-même, et donc cautionnées par tous ses participants, quelle que soit la destination des fonds levés. Le sujet revêt aujourd’hui une importance capitale : de plus en plus nombreux sont les Etats-membres qui rencontrent d’importantes difficultés pour se financer sur le marché. C’est maintenant au tour de l’Espagne et de l’Italie de se voir exiger des taux usuraires. Un surcoût de financement qui induit inexorablement des difficultés accrues : pour se protéger du risque, les créanciers conduisent ainsi mécaniquement leurs débiteurs à la situation de défaut.

Allemagne/UE : 1 à 0

Que s’est-il donc passé à ce sommet qui permette aux uns et aux autres d’invoquer, sinon la fin de la crise, au moins une durable accalmie ? Pas l’accord sur le « plan de croissance », déjà consensuel. On n’est pas allé jusqu’à la mise en place des eurobonds, mais le cheminement adopté contourne le refus teuton, pour aboutir à une option voisine. En passant par le traitement du problème bancaire, qui n’est pas mince – surtout en Espagne, en ce moment. Il était déjà question, avec le projet de « l’union bancaire », de centraliser la tutelle de l’ensemble des établissements européens. Ce point est validé et le rôle devrait, en principe, être dévolu à la BCE. Par ce biais, il ne serait plus nécessaire, à l’avenir, de faire intervenir les Etats en cas de besoin de capitalisation (ou de restructuration) d’une quelconque banque. On pourra faire financer l’opération directement par les fonds de secours européens, le FESF et son successeur en gestation, le MES, qui tous deux bénéficient d’une caution des Etats-membres. Ce qui, on s’en doute, ravit les créanciers (qui sont eux-mêmes banquiers, frères, cousins ou associés de banquiers). Dans une telle démarche, les craintes de défaillance bancaire se trouvent ainsi (théoriquement) apaisées, puisque le contribuable européen pourra être appelé automatiquement à la rescousse, par le canal des fonds de « solidarité » ou de « stabilité » activés en temps utile par la BCE. Notons accessoirement que ces organismes seront autorisés à intervenir sur le marché de la dette publique, maintenant que la BCE rechigne à le faire directement. Grâce à ce système de perfusion automatique, le système bancaire peut ainsi continuer d’acheter de la dette souveraine par grandes brassées : une sorte de cavalerie institutionnalisée. C’est donc sans surprise que les Bourses ont accueilli avec enthousiasme la perspective heureuse de pouvoir disposer d’un large champ de manœuvres sans avoir trop à se préoccuper des risques encourus. Sous réserve, quand même, que la puissance de feu du FESF et du MES soient adaptée aux besoins, ce qui n’est pas avéré.

Il en résulte que le dernier sommet marque moins un recul des exigences allemandes qu’une avancée remarquable de la toute puissance du système financier et de son « parrain », la BCE. Tous deux échappant au contrôle démocratique, soit dit en passant. Et l’accord salvateur propulse l’Union vers la nécessité de l’intégration politique et budgétaire, dont les modalités constituent la feuille de route qui a été imposée aux institutions communautaires. L’intégration complète devient ainsi un objectif technique incontournable, bien qu’elle soit toujours refusée par la majorité des populations concernées. Lesquelles devront, en pénitence de leur mauvaise grâce, attendre pour tirer profit de l’union bancaire, dans le volet qui les intéresse -la garantie européenne des dépôts : « Quand on aura progressé dans l’intégration », a lancé le Président français, qui prétend avoir fait prévaloir des vues contraires à celles de la Chancelière . « Si on veut de l’intégration, il faut d’abord de la solidarité » a-t-il expliqué sans rougir. Seulement voilà : après ce sommet, dame Merkel a obtenu la promesse d’une totale intégration en échange d’un chouïa de solidarité. Chacun, comme Esaü, lui a vendu son droit d’ainesse pour un plat de lentilles. On a connu des défaites allemandes plus douloureuses...

deconnecte