La « Finance responsable »

Un excellent rapport vient traiter le sujet épineux de la « Finance responsable ». Son ambition est de permettre au public de se faire une opinion éclairée sur des thèmes réputés complexes. L’objectif est atteint : après la lecture, chacun a compris qu’il n’y a pas grand chose à conserver du système financier actuel…

Voici donc dévoilé le sésame du retour à meilleure fortune de notre pays. Il tient en deux mots : confiance et responsabilité. Confiance de ceux qui subissent ; responsabilité de ceux qui agissent. Nul ne peut contester le bien-fondé de cette analyse : l’observation démontre que la confiance en l’avenir constitue un soutien efficace de l’activité économique. Et lorsque les élites exercent pleinement leur sens des responsabilités, les populations n’ont pas de raison objective de s’en défier. Ainsi, de la même façon que l’existence précède l’essence, la responsabilité des uns précède la confiance de tous les autres. On a déjà, dans ces colonnes, émis des réserves sur le « pacte » que le Gouvernement entend passer avec les entreprises. Un pacte léonin, qui vise à transférer aux firmes la responsabilité du plein emploi, qui ne relève pas de leurs attributions. Les entreprises ont suffisamment à faire avec leurs responsabilités à l’égard de leurs salariés (conditions de travail, rémunérations…) ; elles n’ont pas vocation à créer des postes qui ne leur sont pas nécessaires, même si ces derniers devaient être intégralement subventionnés. Cela ne signifie pas que le concept d’« entreprise citoyenne » soit absurde, mais il n’a pas sa place sous le régime du capitalisme de marché.

En revanche, la responsabilité des entreprises en général, et des institutions financières en particulier, peut être appréhendée sous l’angle qualitatif de leurs pratiques, que l’on peut regrouper sous la bannière de l’éthique professionnelle. Sur ce terrain, il y a manifestement beaucoup à dire, à la lumière des innombrables événements qui ont émaillé la sphère financière depuis les premiers désordres de 2007. Et le feuilleton n’est toujours pas achevé. Un contexte suffisamment préoccupant pour avoir encouragé la Fondation Croissance Responsable à produire un rapport [1] argumenté sur « la Finance responsable ».

Au-dessus du volcan

Cette Fondation a été créée par d’anciens présidents de Croissance Plus, une association qui regroupe des entreprises de forte croissance et leurs partenaires professionnels, et qui ambitionne « d’imposer un nouveau modèle entrepreneurial, soutenir la création d’entreprises et d’emplois, tout en partageant les fruits de la croissance ». Il n’y a donc pas d’ambiguïté quant à l’esprit libéral-social qui souffle sur la Fondation, laquelle se présente comme un « lieu de débat ouvert et apolitique » et se donne pour objectif « de faire de la pédagogie auprès du grand public sur l’économie de marche ? ». Le rapport en cause remplit efficacement sa vocation pédagogique. Le débat a été ramené à quinze questions essentielles dans le fonctionnement du système financier : le poids de la finance dans l’économie mondiale, la mesure du risque, la séparation des activités de dépôt et de marché au sein des banques, l’innovation financière et la titrisation, le trading à haute fréquence, le shadow banking et les paradis fiscaux et réglementaires – pour ne citer que les thèmes les plus fréquemment soumis au grand public. Chaque fois, un exposé contradictoire vient préciser la nature des difficultés observées et les arguments qui s’opposent à toute interdiction ou modification des dispositifs en vigueur.

Le sentiment qui ressort à la lecture de l’ensemble, c’est que le système financier actuel est une authentique pétaudière, un volcan en activité susceptible de tout balayer à la prochaine éruption. Mais changer les procédures, prohiber les pratiques manifestement téméraires, rayer les paradis de la carte, interdire le shadow banking ou le soumettre à la réglementation bancaire ordinaire, tout cela entraînerait des coûts et donc un manque à gagner pour les intervenants concernés. Et donc, argument ultime, un risque pour le bon fonctionnement de l’économie, étant entendu que les banques – officielles ou « de l’ombre –, ainsi que les marchés, sont la source irremplaçable de financement des entreprises et des particuliers.

Les statistiques démontrent pourtant que depuis plusieurs années, les institutions financières consacrent une large part des ressources dont elles disposent à la spéculation pour compte propre, afin de redorer leur haut de bilan pour satisfaire aux nouvelles normes prudentielles sans recourir à des augmentations de capital. Il est clairement établi qu’en Europe, où elles assurent traditionnellement les deux tiers du financement des entreprises, les banques se montrent désormais très parcimonieuses, en dépit des énormes facilités que leur accorde la BCE. Ainsi, les innombrables désordres constatés au sein de la sphère financière – peu ou pas sanctionnés par les instances judiciaires, comme le démontre l’actualité quotidienne – pourraient, selon le rapport, être prévenus par un comportement vertueux des acteurs concernés. Les rédacteurs parviennent ainsi à cette conclusion : « La Commission a défini la Finance responsable comme celle ou ?, grâce aux pratiques et aux comportements de ses acteurs, elle apporte les ressources nécessaires au bon fonctionnement de l’économie, avec une capacité d’appréciation des risques la plus juste possible ». Un univers où tout le monde étant gentil et compétent, les désordres éventuels ne peuvent résulter que d’un accident. La finance selon Madame de Sévigné.

S’ils avaient pu s’autoriser une mise en cause du système lui-même, les rapporteurs auraient noté que la Finance responsable est celle où des verrous réglementaires rigoureux, des organismes de contrôle compétents, et de lourdes sanctions pénales pour les contrevenants, favorisent le comportement vertueux de ses acteurs. Lesquels sont des gens aussi ordinaires qu’Oscar Wilde, capables de « résister à tout sauf à la tentation ».

[1Le rapport complet est disponible sur : http://www.croissance-responsable.fr

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