La réforme bancaire (...)

La réforme bancaire sur orbite

Alors que l’UE poursuit ses travaux en vue de l’union bancaire, la France se prépare à voter sa « loi de réforme bancaire ». Dont le contenu sera connu le mois prochain. Deux points majeurs ont toutefois été dévoilés, plus rigoureux que la probable réglementation européenne à venir. Des débats animés en perspective.

Sur les temps à venir, on va beaucoup parler d’Erkki Liikanen. Lequel n’est pas un pilote automobile, mais un ancien commissaire européen et l’actuel gouverneur de la Banque centrale de Finlande. C’est lui qui préside le « groupe d’experts de haut niveau », constitué à la demande de la Commission et destiné à plancher sur une éventuelle réforme structurelle du secteur bancaire. Le groupe a remis son rapport au commissaire Barnier en octobre, rapport qui devrait déboucher sur une initiative législative de Bruxelles. Mais la France a décidé de ne pas attendre l’UE pour entreprendre sa propre démarche, et son « projet de loi de réforme bancaire » sera présenté en Conseil des ministres, le 19 décembre.

La crise financière a déjà coûté très cher aux Etats, donc aux contribuables, et mis en lumière la nécessité de réglementer sévèrement le secteur. D’autant qu’après avoir établi une liste d’établissements réputés « systémiques », c’est-à-dire susceptibles d’être secourus à n’importe quel prix en cas de nouvelle crise, les gouvernements cherchent légitimement à prévenir le risque de faillites bancaires et à en limiter le coût. Les Etats-Unis ont promulgué le Dodd-Franck Act en 2010, un pavé réglementaire qui ambitionne de circonscrire le risque systémique, mais dont la complexité joue en faveur des réticences du secteur à renoncer à ses pratiques téméraires. A ce jour, l’impact du dispositif est très inférieur aux attentes. Parallèlement, les normes réglementaires internationales ont été durcies (« Bâle III ») : elles concernent le niveau et la qualité des fonds propres ainsi que le suivi des ratios de liquidité. Des thèmes également très techniques, qui soulèvent des interprétations divergentes et provoquent des atermoiements (notamment de la part des firmes américaines, qui ont demandé un report du calendrier pour leur mise aux normes). Ainsi, les autorités sont bel et bien engagées dans un processus de sécurisation du système financer. Mais la réglementation n’a pour l’instant subi qu’un durcissement à minima, et la finance oppose une résistance puissante à son adoption. Le secteur tout entier demeure fragile et vulnérable : le FMI lui-même le reconnaît publiquement.

La gestion de crise

Le projet français de régulation fait apparemment de larges emprunts au rapport Liikanen. Notamment sur un sujet capital : le trading pour compte propre, c’est-à-dire les opérations spéculatives que les banques mènent à leur profit exclusif avec les fonds de… leurs clients. Il est donc prévu de séparer les opérations traditionnelles d’une banque de dépôt et les « activités de marché qui ne sont pas nécessaires au financement de l’économie ». Sans renoncer pour autant au concept de banque universelle : le business spéculatif sera filialisé mais pourra, semble-t-il, être irrigué de capitaux provenant de la banque-mère. Ce qui ne constitue donc, a priori, qu’une réponse partielle à la protection des déposants. Mais dans un tel dispositif, les pertes éventuelles de la filiale seraient obligatoirement couvertes par les actionnaires de la banque et certains de ses créanciers. L’activité serait placée sous le contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), dotée du pouvoir d’interdire les opérations dangereuses pour la stabilité financière. Serait en tout cas prohibée toute intervention sur les dérivés de matières premières agricoles : un sujet très sensible (au niveau international), dès lors que la spéculation sur ces produits est directement responsable de désordres majeurs (déstabilisation des producteurs en cas de forte baisse des prix, famines en cas de hausse artificielle). Pour la finance proprement dite, le trading à haute fréquence (négociations boursières à la microseconde par logiciels interposés) serait purement et simplement interdit : il est désormais avéré que cette technique revient à rançonner les autres intervenants, qu’elle fausse la tendance du marché et qu’elle accroit considérablement les risques de krach.

Le deuxième volet du projet gouvernemental est en phase avec la gestation des directives européennes préalables à l’« union bancaire », concernant en particulier les modalités de redressement des banques et la résolution de leurs défaillances. Ce qui relève du fameux « testament » bancaire, destiné à prévoir le processus de la résolution. Ce volet sera également supervisé par l’ACP, armé du pouvoir de révoquer les dirigeants qui auraient failli à leur tache : la puissance publique prend ainsi véritablement en main le dossier en cas de crise. Enfin, il est prévu de créer une « autorité macroprudentielle dotée de pouvoirs d’intervention extensifs, chargée de suivre le développement des risques à l’échelle du système bancaire et non pas d’un seul établissement ». ?A ce stade, on ne peut que s’interroger sur le rôle qui sera dévolu à cet organisme. Car il existe déjà le Corefris (Conseil de régulation financière et du risque systémique), mis en place en octobre 2010 et chargé de « conseiller le ministre chargé de l’Economie dans la prévention et la gestion du risque systémique ». Un rôle purement consultatif, donc, alors que la nouvelle autorité sera dotée de « pouvoirs d’intervention extensifs ». On ne peut encore préjuger de la façon dont nos banques réagiront aux réformes projetées, si ces dernières s’avéraient plus rigoureuses que celles en vigueur partout ailleurs. En tout cas, le projet gouvernemental rétablit un cadre rationnel : puisque l’Etat paie le prix des sinistres bancaires, il doit avoir la main en cas de crise.

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