La traque des lessiveuses

La traque des lessiveuses

La série continue. On savait déjà que le secteur financier succombe facilement à la tentation de farder la réalité. Voilà maintenant que les autorités US s’attaquent au blanchiment industriel des narcodollars. Au moins en apparence. Confirmant ainsi que ni la réglementation, ni les organes de contrôle ne sont adaptés à l’enjeu.

Si elle se poursuit au rythme actuel, la mise en cause de banques, celles convaincues d’avoir ignoré la réglementation, finira par atteindre tous les établissements. Déjà, l’affaire de la manipulation du Libor, et des multiples friponneries qu’elle a rendues possibles, promet de mouiller quantité d’intervenants après la Barclays, laquelle n’est pas nécessairement la plus blâmable dans ces petits arrangements entre flibustiers. D’évidence, le feuilleton devrait rester longtemps à l’affiche : le nombre de particuliers, de sociétés ou d’institutions ayant été lésées, ou prétendant l’avoir été, ne cesse de croître. Le dossier promet des années de contentieux et les premières amendes infligées, bien qu’élevées à l’aune des pratiques récentes, pourraient se révéler ridicules face aux dommages et intérêts potentiels. Dans une période aussi tendue pour la solvabilité bancaire, la perspective de sanctions coûteuses n’améliore pas le tableau.

Et voici maintenant que la machine judiciaire américaine ajoute du sel sur la plaie, avec la publication d’un rapport du Sénat américain, tout particulièrement consacré à HSBC et aux administrations chargées du contrôle de l’activité bancaire aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis et ailleurs, du reste, selon la propension yankee à considérer la planète entière comme relevant de sa juridiction. Au cas d’espèce, les manquements de la filiale US de la firme britannique (première capitalisation londonienne -environ 155 milliards de dollars- et cinquième à l’échelle mondiale), ces manquements sont nombreux, importants en volume et bravement récurrents, en dépit des multiples mises en garde dont elle aurait fait l’objet. Sans que l’Office of the Comptroller of the Currency, (OCC), le régulateur bancaire, se soit ému outre mesure de la constance des infractions. Mais il faut reconnaître, à la décharge de son responsable, que l’OCC manque cruellement de personnel et que le turn-over y est très important. Coïncidence ? On ne saurait affirmer que le lobby financier américain est assez puissant pour émasculer les organes de contrôle, mais cette hypothèse ne doit pas être complètement évacuée…

Une industrie juteuse

Ce qui ressort principalement du rapport, c’est la négligence coupable de la banque à l’égard du blanchiment de capitaux. Tout particulièrement au travers de sa filiale mexicaine, qui a connu ces dernières années une croissance exponentielle. Et éveillé de ce fait les soupçons des autorités, tant mexicaines qu’étasuniennes, lesquelles estiment que HSBC est responsable de 40% à 60% du lessivage des profits de la drogue. Une tache ménagère extrêmement lucrative, car elle permet aux narcos de squeezer toutes les procédures, longues et coûteuses, préalables au recyclage de cash sur des comptes « propres » - ou presque. Sans susciter de réactions de la part du banquier, normalement tenu à déclaration auprès de l’autorité ad hoc en cas de suspicion légitime. On se retrouve ici dans un schéma voisin de celui du trafic d’opium d’antan, qui a bâti les fondations de la force commerciale britannique (aujourd’hui affaiblie), et de la puissance financière qui l’accompagne (toujours vivace). L’Histoire repasse les plats. Sans vouloir offenser la vertueuse vigilance des parlementaires américains, on fera ici observer qu’après la chute de Lehman Brothers, et les lourds dommages collatéraux qui en ont résulté, quelques grands noms de la finance américaine ont été suspectés d’avoir fait tourner les lessiveuses à plein régime pour obtenir du sang frais, pendant que les contrôleurs regardaient à côté. Et l’on voudrait ici rappeler qu’en dépit de l’inventivité des trafiquants, il est tout-à-fait impossible de blanchir de (très) grosses sommes sans l’opportune somnolence des banquiers. David Bradley, directeur de la « compliance » (contrôle de la conformité aux règles de droit) au sein du groupe HSBC, a reconnu devant le Sénat les insuffisances de ses services ; il a présenté ses excuses selon la norme américaine de la repentance absolutionnelle, et annoncé sa démission imminente. Fasse le ciel que la procédure en cours contre la banque ne lui impute pas l’amende prévisible, d’ores et déjà évaluée à… 1 milliard de dollars.

Mais cette ardoise virtuelle ne concerne pas les seuls faits d’armes de la filiale mexicaine. Les élus de la commission sénatoriale se sont tout autant émus, sinon davantage, des flux « irréguliers » que la banque a initiés avec des proscrits, ses homologues infréquentables au sens de la morale politique contemporaine. Entendez par là des « établissements soupçonnés de liens avec des organisations terroristes présumées ». Le soupçon de présomption est un concept typiquement yankee, une sorte de dérivée de la défiance que l’on appelle délit de faciès, et qui est chez nous strictement prohibé. Les établissements en cause sont principalement syriens et iraniens, des métèques interdits de commerce par la lex americana. Soit.

Le Congrès US est dans ses attributions quand il écrit la loi applicable à ses ressortissants. Mais il outrepasse ses prérogatives quand il entend imposer ses règles internes au reste de la planète. C’est bien ce qui se produit au cas d’espèce : sans vouloir blanchir HSBC de ses nombreux péchés, les transactions qualifiées d’irrégulières ont été réalisées par des filiales autres que HSUS, la filiale américaine. Se trouvent ainsi amalgamés, au même degré de gravité, des délits qui relèvent du pénal dans tous les pays du monde (le blanchiment de narcodollars), et des pratiques commerciales normales partout ailleurs, sauf aux States et chez ses plus obéissants vassaux. Une confusion des genres qui laisse planer une ombre sur la sincérité du courroux des parlementaires censeurs.

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