La valse de Jackson (...)

La valse de Jackson Hole

Les marchés financiers sont rassurés. Lors de leur sommet annuel, les Banquiers centraux de la planète ont applaudi la détermination de Ben Bernanke : la FED va continuer de faire n’importe quoi. Mais notre BCE était absente : tous ses membres étaient occupés à préparer une copie de… la stratégie américaine.

Voilà donc que s’achève le premier quinquennat. Le premier quinquennat de crise mondiale, s’entend, comme il sied à une planète tout entière convertie aux vertus de la globalisation : toute maladie contagieuse a tôt fait d’y dégénérer en pandémie. Beaucoup d’encre a déjà coulé pour tenter d’expliquer l’origine de la crise et d’en justifier l’intensité – encore que non achevée, elle nous réserve à coup sûr de nouvelles surprises désagréables. Il est probable que dans ce flot de commentaires experts, nombre d’analyses se révèlent pertinentes, au moins partiellement. La plupart admettent que le déclencheur résulte d’une bulle de l’endettement – un phénomène récurrent dans la courte histoire du capitalisme moderne. Bon nombre proposent un recours circonstancié à la réglementation, prenant acte du caractère illusoire de « l’autorégulation des marchés » autrefois chère à Alan Greenspan ; d’autres continuent de défendre le contraire et appellent à réduire les prérogatives de l’Etat à la portion congrue, comme en témoigne la montée en puissance de la tendance « Tea Party » aux Etats-Unis. L’Europe se montre plus indécise dans le dogme à enfourcher, mais tous les gouvernements œuvrent à s’attirer les bonnes grâces des créanciers. Si bien qu’ils conduisent tous la même politique d’ascèse budgétaire, quelle que soit la coloration partisane qu’ils arborent.

De ce fait, en refusant d’admettre qu’une crise de la dette ne peut se purger qu’en constatant les faillites incontournables, et en acceptant les dommages collatéraux (douloureux) qui en résultent, la « gouvernance » mondiale prolonge l’agonie d’un système moribond. Ce n’est pas que les autorités entretiennent l’espoir insensé d’un miracle salvateur ; c’est plutôt que personne ne dispose plus d’une stratégie plausible, autre que celle de rafler les canots de sauvetage avant que les petits copains ne s’en emparent. Mais au moins le contexte a-t-il permis une prise de conscience salutaire : le nœud des difficultés se trouve dans le système financier, devenu une Cour des miracles depuis cette funeste journée d’août 1971, où le président Nixon décrocha le dollar de son amarrage à l’or. Sans que la « communauté internationale » ait pris la peine d’en tirer immédiatement les conséquences, avec la conception d’un nouveau système. Depuis lors, les Etats-Unis ont pu se conduire en faux monnayeurs industriels, s’enhardissant dans leur activité faussaire au constat que le monde entier continue d’accepter leurs assignats sans trop les déprécier. Du reste, le patron actuel de la FED, Ben Bernanke, a lui-même revendiqué ce statut exceptionnel : « Il y a une activité industrielle », a-t-il dit, « que les Etats-Unis ne perdront jamais : la production de dollars ». Il faut reconnaître que sur ces dernières années, Ben n’a pas chômé.

Recours aux armes lourdes

On ne change pas une équipe qui gagne, comme vient de le confirmer le symposium annuel de Jackson Hole, traditionnelle université d’été des banquiers centraux. Bernanke a annoncé la couleur dans son discours introductif : « Examinés avec soin, les risques liés aux mesures de politique monétaire non conventionnelles semblent maîtrisables, ce qui implique que nous ne devrions pas exclure d’y recourir davantage si la conjoncture économique l’imposait ». Ce paragraphe mérite une traduction de la traduction, en ces termes : « Comme vous avez pu le constater, la FED a procédé à un volume extravagant de création monétaire sur les dernières années et, à notre grande surprise, le système n’a pas explosé. C’est sans doute que l’Amérique est plus puissante encore qu’elle ne le supposait, puisqu’elle parvient à laisser accroire qu’elle maîtrise les risques liés aux réactions nucléaires qu’entraîne d’ordinaire la création monétaire sans autre limite que les besoins illimités du pays. En conséquence, nous n’hésiterons pas à faire plus encore si la conjoncture se dégrade, ce qui est déjà perceptible, bien que ces procédures ne permettent pas de rétablir un cercle vertueux de croissance. Mais au moins a-t-on évité, jusqu’à maintenant, de sombrer dans la dépression. Nous allons donc continuer à faire n’importe quoi, faute d’alternative ».

Personne n’a manifestement été surpris par ce discours ; les marchés boursiers se sont même réjouis de constater que leur dealer de morphine allait gonfler ses stocks. Mieux encore, la deuxième banque centrale du monde, la BCE, n’a pas dépêché le moindre représentant à Jackson Hole : tous étaient trop occupés à préparer la proposition de notre banque centrale à la prochaine réunion « décisive » de l’Union, et qui devrait ressembler à la stratégie de… son homologue américaine. Puisque les States ont enfreint toutes les règles prudentielles sans d’autre effet que quelques soupirs de désapprobation, ce serait dommage que nous autres, Européens, ne pratiquions pas les mêmes entourloupes, puisque « les risques semblent maîtrisables » et que les principaux acteurs, institutions financières et Etats, appellent à la banalisation de la dope monétaire. Sauf quelques réactionnaires, comme l’Allemagne, qui ont résisté à la tentation et veulent préserver leur capital-santé. Ainsi donc, le tableau se précise, tel que le chroniqueur l’a ébauché depuis des lustres, au point de lasser le lecteur : la guerre des monnaies entre dans une phase décisive, avec l’usage d’armes de destruction massive. Dès lors que les Banques centrales s’engagent dans des programmes illimités d’acquisition de créances (fragiles, douteuses ou totalement pourries), la monnaie qu’elles émettent en contrepartie menace de valoir bientôt à-peu-près autant qu’un serment d’ivrogne.

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