Le Budget dévoilé

Le Budget dévoilé

Le gouvernement a placé son projet de loi de Finances sous le signe de la maîtrise des dépenses. Celles-ci augmenteront pourtant en 2014, tout comme le déficit et la dette publique. En dépit d’une majoration substantielle des prélèvements. Sans croissance miraculeuse ou inflation galopante, nos finances demeurent fragiles.

Il y a des sujets plus sexy qu’un projet de budget. Il y a aussi des spectacles plus captivants que celui des ministres présentant leur progéniture à la presse : c’était franchement assommant, comme chacun peut le vérifier sur la vidéo du site Minefi. Mais le projet se voulant « sérieux », il était sans doute nécessaire que sa présentation fût ennuyeuse pour conforter la crédibilité. Bien que le ministre délégué, Bernard Cazeneuve, n’ait pas ménagé les petits exemples dont raffoleraient, paraît-il, ces grands enfants naïfs que sont les journalistes aux yeux des éminences de notre temps. On sait désormais tout, ou presque, sur la façon d’épargner 20 millions sur les boutons de guêtres, 30 sur le papier-toilettes et 16 sur un stade de foot. Bien. Convenons qu’une leçon d’économie ménagère ne fait de mal à personne. Mais d’aucuns pourront trouver qu’il s’agit là de menue monnaie, dans une enveloppe de dépenses de presque 400 milliards d’euros. Et ils n’auront pas tort de faire observer que des économies de bouts de chandelles, même additionnées dans les nombreuses dépendances de la maison France, ne suffisent pas à rétablir les conditions d’une gestion équilibrée. Pourtant, l’intention affichée par le Gouvernement est bien de réduire la voilure, en faisant supporter 80% de l’effort sur la modération de la dépense et le solde sur l’accroissement des recettes. Il est pourtant probable que le contribuable aura le sentiment d’endosser l’essentiel de la charge. Car c’est en bel argent qu’il apportera son concours, alors que les « efforts » sur la dépense sont mesurés en monnaie virtuelle – une nouvelle unité, semble-t-il, dans la comptabilité publique.

Des économies virtuelles…

Si l’on en croit le discours officiel, la dépense publique baissera l’année prochaine de 15 milliards d’euros – « un événement inédit dans l’histoire de la Vème République ». Voyons donc les chiffres : la loi de Finances initiale (LFI) pour l’année en cours prévoyait une dépense globale de 371,9 mds d’euros ; la LFI pour 2014 l’établit à 370,5 mds. Visiblement, le compte n’y est pas. C’est que, voyez-vous, pour calculer la moindre dépense, il faut apporter la correction de la hausse des prix prévisionnelle sur l’année prochaine (1,3%). Bon, d’accord ; mais le compte n’y est toujours pas. Car il faut aussi intégrer la dérive historique de la dépense, c’est-à-dire la propension naturelle d’une machine administrative à gaspiller les deniers publics. On doit donc comparer le budget 2014 à celui que notre pays connaîtrait s’il n’avait ni gouvernement, ni administration responsable pour gérer le pays. Grâce à cette grille de lecture novatrice, il est permis d’annoncer des économies tout en dépensant autant. Ou plus exactement, en dépensant plus. Car ne figurent pas dans le total la dotation au Mécanisme européen de stabilité (3,3 mds), ni les crédits du 2e programme d’investissements d’avenir (11 mds d’euros sur le budget général et 1 md sur le Compte de concours financiers, CCF) – la Commission européenne ayant accepté de ne pas comptabiliser ces dépenses pour le calcul des ratios « Maastricht ». C’est une transposition aux Etats de la bienveillance comptable accordée aux banques, lesquelles peuvent évaluer certaines de leurs créances sulfureuses selon leur propre modèle. De ce fait, la baisse annoncée de 15 mds d’euros sur la dépense publique se traduit par une hausse de 13,9 mds… au stade de la loi de Finances initiale. Les multiples aléas qui pèsent sur l’exécution – notamment le taux de croissance– font que l’Etat dépense rarement moins que prévu. Au vu des incertitudes qui pèsent sur l’activité, il est peu probable que 2014 soit une exception. Ainsi, le déficit prévisionnel (82,2 mds d’euros) sera très supérieur à celui de la LFI 2013 (62,3 mds). La dette continuera ainsi de croître en volume tant que le budget ne sera pas équilibré, et menace de ne pas vraiment baisser en pourcentage du PIB – sauf croissance miraculeuse ou inflation galopante. Le bout du tunnel, ce n’est pas pour demain…

… mais des ponctions réelles

En revanche, du côté des recettes, l’impact des nouvelles dispositions ne sera pas négligeable. Tout particulièrement sur les ménages. Outre la hausse de la TVA (déjà votée), les multiples suppressions de petites « niches » vont inévitablement réduire leur pouvoir d’achat. On l’a souvent répété ici : il est beaucoup plus rentable pour le Trésor de traquer les contribuables de la classe moyenne que de détrousser les riches. Les premiers sont considérablement plus nombreux que les seconds. Mais en contrepartie, réduire les revenus de la grande masse a un effet direct sur la consommation, donc sur la croissance. Dans des proportions que les modèles économétriques ne parviennent pas à diagnostiquer avec précision.
Puisqu’il n’est pas possible de désespérer le Medef, les entreprises s’en sortent plutôt bien, malgré la taxation de l’Excédent brut d’exploitation (EBE) de celles dont le chiffre d’affaires excède 50 millions d’euros. Il n’est pas facile, pour les stratèges de Bercy, de concevoir un système de taxation auquel les firmes ne puissent pas se soustraire par « habileté fiscale ». Cette taxe sur l’EBE permet le limiter l’érosion du rendement de l’IS, les bénéfices des multinationales ayant tendance à voyager en first class pour se fixer dans les paradis fiscaux. Mais il faut faire confiance à la créativité de l’ingénierie comptable : puisque les amortissements ne viennent pas en déduction de l’EBE, il va falloir trouver des solutions pour transformer les immobilisations en charges de l’exercice. Pronostic : les résultats des entreprises françaises devraient baisser en 2014. Sans que les firmes soient nécessairement moins performantes.

Visuel : © Images Money

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