Le philosophe et le (...)

Le philosophe et le gladiateur

Nous voici engagés dans de virulents débats budgétaires. Que l’on doit ramener à la dimension d’une querelle sur le sexe des anges. Car le choix stratégique opéré par les gouvernements du monde entier n’offre qu’une seule option : accabler d’impôts toutes les catégories de population. Sans modération ni discernement.

Personne ne peut comprendre l’angoisse du joueur de foot devant sa déclaration de revenus. Entre le moment où débutent les tractations du mercato, le maquignonnage annuel autour de ces bêtes de stade primées, et le moment où l’affaire est conclue, il peut se passer une foule d’événements parasites. Une modification radicale des prélèvements fiscaux et sociaux, par exemple. En foi de quoi le salaire astronomique d’Ibrahimovic suscite-t-il des torrents de commentaires, le plus souvent indignés, car représentant « 90 fois celui du président Hollande ». Ce n’est pourtant qu’une illustration élémentaire de l’économie libérale : en termes de popularité, mieux vaut être un bon cheval sur l’échiquier du PSG que le roi sur celui de l’Elysée. Le pragmatisme de marché justifie donc les conventions qui ont été passées. Car faute de pouvoir faire exécuter le contrat en heures supplémentaires exonérées, il fallait bien que le club garantît au joueur suédois le minimum vital qatari. Tant que l’émir concerné puise dans ses poches profondes pour assurer le financement du spectacle, et que les fonds publics français ne sont pas concernés, toutes les discussions sont vaines. Et la collectivité ne peut que se réjouir : les charges sociales et impôts exigibles, pour garantir un salaire net de 14 millions d’euros à Zlatan, représentent un joli pactole. Même si les conseillers de l’intéressé sont des champions de l’optimisation.

Il en résulte ce constat, souvent évoqué dans ces colonnes : dès lors que la reconnaissance de l’individu s’étalonne exclusivement, ou presque, à son poids en monnaie, les outrances sont inévitables. Et les jeux de cirque jouissent d’une ferveur populaire immémoriale. Mais à l’exception de Spartacus, qui est entré dans l’Histoire pour d’autres raisons que professionnelles, qui peut aujourd’hui citer le nom d’un seul gladiateur-vedette de la Rome antique ? Alors que tout le monde se souvient, par exemple, de Diogène de Sinope, le philosophe clochard qui fut une star à Athènes. Celui qui osa répondre « Ote-toi de mon Soleil » à Alexandre le Grand. Dans 1 600 ans, personne ne se rappellera Ibrahimovic ni Hollande, ceci dit sans vouloir offenser quiconque. La chicane actuelle sur les hauts revenus finira, un jour prochain, par apparaître pour ce qu’elle est vraiment : le marronnier d’été qui cache la forêt de préoccupations plus substantielles.

Vers le cul-de-sac

En attendant que nos sociétés redéfinissent le « vivre ensemble » sur des critères un plus métaphysiques et un peu moins épiciers, ce qui finira bien par arriver sous l’effet de la raréfaction des épices, l’action politique tente chez nous de concilier la chèvre et le chou. Ou, en d’autres termes, tente de marier la rudesse hyper-sélective du capitalisme libéral et l’égalitarisme dictatorial du sovkhoze sibérien. En économie ouverte, l’exercice s’apparente à la quadrature du cercle. Surtout lorsque l’impératif incontournable est de gonfler les recettes publiques, pour tenter d’amortir une pyramide de dettes. Ces ressources ne pouvant provenir que de notre territoire, il faut capturer l’argent auprès des contribuables qui ne risquent pas de s’envoler. Une migration que choisiront, à n’en pas douter, la plupart des très hauts revenus, si leur matraquage fiscal doit durer « le temps du désendettement » - c’est-à-dire au-delà de la saint glinglin. Dans le cadre de la stratégie politique qui a été retenue, il n’y a donc d’autre issue technique, pour le Trésor, que de rançonner le plus largement possible. Autrement dit, tout le monde. Et ainsi réduire mécaniquement le pouvoir d’achat des ménages, donc la croissance, sur laquelle comptent pourtant les pouvoirs publics pour valider leur business plan. Les empoignades budgétaires, dont l’Assemblée nationale va nous régaler jusqu’à la fin de l’année, revêtent ainsi un caractère surréaliste. Certes, la suppression du dispositif dérogatoire des « heures sup’ » revêt une connotation significative : c’est la fin du « travailler plus pour gagner plus »… aux frais de la collectivité. Comprenons par là que le principal avantage de la mesure est de récupérer environ 5 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien. Mais qui ne pèse pas lourd face au fardeau de l’endettement public et privé, dont l’amortissement relève de la chimère – et notre pays n’est pas le plus gravement atteint.

Pour avoir refusé en son temps l’option douloureuse, mais raisonnable, de laisser choir les banques minées par un surendettement assassin, la sphère politique mondiale en est maintenant réduite à ergoter sur des broutilles. A brasser du vent. Comme si l’orchestre du Titanic en perdition s’écharpait pour décider s’il doit jouer une valse ou un tango. Si bien que l’on peut résumer par avance le contenu des lois de Finances à venir : des ponctions tous azimuts, dans l’exacte proportion des recettes attendues par l’application de la « règle d’or » désormais sanctifiée. La charge étant objectivement insoutenable, les prélèvements deviendront tout à la fois excessifs, injustes et attentatoires à la croissance. Sans autre perspective plausible que l’exaspération des contribuables. Dans le même temps, le ministre du Redressement productif, héraut de la croisade industrielle, s’adresse à PSA et à la famille Peugeot en des termes improductifs et d’une violence que même feu Georges Marchais aurait condamnée. Comme les imprécations ne peuvent remplacer les actes, le Premier ministre est maintenant condamné à soutenir son ministre redresseur en achetant au prix fort les « concessions » de PSA, ou à le démissionner. Subventionner l’industrie privée en péril ou désavouer un ministre pour subversion gauchiste. Un dilemme supplémentaire. Enjeu : la pérennité du constructeur et la stabilité de l’emploi. On est en droit d’être inquiet pour l’une et pour l’autre.

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