Le Scellier sous scellés

Le Scellier sous scellés

Sous un gouvernement de gauche, les avantages fiscaux concédés aux « riches » provoquent de l’urticaire parlementaire. Mais sans carotte fiscale, le parc locatif ne s’accroît pas assez vite. Dilemme. Le régime « Scellier » va disparaître. Mais un futur régime « Duflot » mitonne dans les chaudrons ministériels.

« Quand le bâtiment va… ». Le vieil adage sur ce secteur est profondément imprimé dans la carte-mémoire de tous les décideurs publics. Pour preuve, l’immobilier fait l’objet de l’attention du législateur depuis la fin de la Deuxième guerre, période à laquelle, reconnaissons-le, les nécessités de la reconstruction justifiaient un interventionnisme vigoureux. Depuis lors, il s’est toujours trouvé une bonne raison pour allouer des subventions à l’achat ou à la location : droit au logement, pénurie dans l’habitat social, mauvais état du parc ancien, insolvabilité des candidats à l’accession. Et pression du lobby professionnel, qui sait faire valoir des arguments auxquels les politiques sont sensibles. Pourtant, il est désormais avéré qu’un soutien mal calibré à ce secteur provoque invariablement des dommages collatéraux redoutables. Aux Etats-Unis, par exemple, l’ambition de rendre chaque citoyen propriétaire – une utopie commune à toutes les administrations depuis la naissance des States -, a directement contribué à la crise des « subprime », cette procédure consistant à endetter, à taux usuraire, des ménages objectivement incapables d’honorer l’amortissement de leurs emprunts. En Espagne, une approche similaire a conduit à un taux de suréquipement impressionnant : la bulle a éclaté et laissé des champs de friches, en ruinant acquéreurs et promoteurs ainsi que les banques qui les ont financés.

L’enfer est pavé de bonnes intentions : s’il est louable de favoriser l’ambition de chacun de vivre chez soi, l’objectif se heurte aux limites posées par l’économie libérale et son corollaire, l’inégalité des revenus. La propriété n’est pas accessible à tout le monde, d’autant moins que le soutien public au secteur conduit mécaniquement à une hausse des prix très supérieure à la valorisation du pouvoir d’achat. Avec pour conséquence d’exclure de plus en plus de ménages du marché solvable. Pourtant, en termes d’opinion, l’aide publique au logement recueille un large consensus : les subventions à la location et à l’accession d’un côté, les incitations fiscales à l’investissement de l’autre. Le résultat est que la charge supportée par la collectivité est énorme, sans que l’optimum soit pour autant atteint. Après plus de soixante ans de perfusions massives, il y a matière à se poser des questions…

Des choix cornéliens

Un tel contexte justifie les prescriptions des purs libéraux : que l’on abandonne le marché à ses lois « naturelles » et l’équilibre se refera de lui-même. Par une forte baisse du prix des immeubles, qui favorisera l’accession et écrasera les loyers. Un processus rendant superflues les aides à la location et inutiles les subventions à l’acquisition, par les accédants ou les investisseurs. Une approche radicale, convenons-en, mais défendable sur le plan théorique, bien qu’assurément déstabilisante sur le plan politique et économique. Rien ne garantit, toutefois, que la persistance et l’aggravation de la crise en cours ne conduiront pas, nolens volens, à une telle révolution. Dans l’immédiat, le Gouvernement semble choisir plutôt… la continuité avec son prédécesseur. Bien qu’ayant massacré la réputation du dernier dispositif fiscal en faveur des investisseurs, le fameux « régime Scellier » déjà raboté sous la pression des impératifs budgétaires, voilà qu’il annonce la naissance prochaine d’un nouveau système qui portera sans doute le nom de « Loi Duflot », comme il est de tradition dans les précis de fiscalité. A ce jour, le contenu du futur régime n’est pas encore divulgué et n’est sans doute pas définitivement arrêté, avant la présentation du projet de loi de Finances programmée au 24 septembre. On en connaît toutefois l’esprit : il entend privilégier la dimension sociale, qui passerait par un abaissement significatif des plafonds de loyers applicables. Ce qui aurait pour effet de rendre ces nouveaux logements plus accessibles, et aussi de peser sur leur prix (de façon à maintenir un rendement acceptable par l’investisseur). Une démarche cohérente, pour peu que les coûts de construction permettent de rester dans l’épure et que les épargnants jugent l’opération attrayante. Ce n’est pas gagné d’avance… Ensuite, les zones concernées seront redéfinies et resserrées, pour se limiter à celles où les besoins locatifs sont manifestes. Nombreux, en effet, sont les logements « Scellier » qui demeurent vides, que la vacance soit imputable à la faiblesse de la demande ou… au prix proposé pour le loyer (les choses s’arrangent quelquefois, si le bailleur accepte une baisse sensible).

Reste donc à considérer l’argument fiscal qui sera proposé à l’investisseur. Il semble désormais acquis que ce ne sera pas une réduction d’impôt : le coût pour les finances publiques se révèle prohibitif. L’option serait plutôt une déduction, à définir, du revenu imposable. Qui aurait donc pour effet de réduire la contribution à l’IR dans la proportion de la dernière tranche d’imposition. Cette approche suscite déjà ricanements et protestations, car les titulaires de hauts revenus tireraient le meilleur avantage d’un tel dispositif. Il n’y a pourtant pas de miracle dans l’instauration d’une incitation fiscale : ce sont les contribuables les plus taxés qui y sont les plus sensibles, et qui sont les plus susceptibles d’investir dans l’immobilier, où le ticket d’entrée est élevé et le recours au crédit quasi-systématique. On mesure ainsi le paradoxe de la situation présente : pour offrir une politique sociale efficace en matière de logement, il faudrait qu’un gouvernement progressiste se convertisse à l’ultralibéralisme. Autant dire qu’en ce moment, le statut de ministre prédispose aux tourments métaphysiques.

Crédit photo : Photos Libres

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