Les banques au bassinet

Les banques au bassinet

Un déluge d’amendes s’abat sur les sociétés bancaires. Cela ne signifie pas pour autant que les autorités les aient mises au pas, ni que la finance veuille s’amender. A ce stade, le signal est mitigé. Il faudra beaucoup d’imagination au législateur pour contraindre la finance à des pratiques irréprochables et fiscalement loyales.

Après les très fortes pénalités, négociées avec la Justice par des banques américaines convaincues de brigandages divers, mais peu désireuses de reconnaître les faits au pénal, voilà que des établissements européens viennent de subir une avalanche d’amendes sous le marteau de la Commission. L’addition peut paraître salée (1,7 milliard d’euros au total), même si ce montant ne pèse finalement pas très lourd face aux profits cumulés des établissements concernés. Et encore moins lourd face à la gravité des faits qui leur sont reprochés, puisqu’il s’agit de la manipulation des cours du Libor – le mètre-étalon du prix de l’argent dans les relations interbancaires, qui sert de référence à d’innombrables contrats de prêt et à une pléiade de produits dérivés. Faut-il comprendre que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, marquée par le retour de la finance dans le droit commun, alors que ce secteur jouissait jusqu’alors d’une sorte d’extraterritorialité judiciaire ? Cette interprétation est tentante et rassurante ; elle n’est toutefois pas nécessairement pertinente.

Dans l’affaire du Libor, les banques ont allégué que les bidouillages en cause étaient le fait de salariés peu scrupuleux, agissant à l’insu de leur hiérarchie ; ces sous-fifres ont du reste été promptement virés, sans doute lestés d’indemnités qui découragent tout recours contentieux (et tout bavardage auprès d’oreilles non autorisées). La narrative officielle est donc que ces institutions de crédit ont été abusées par des traders félons, guidés par la convoitise de bonus plantureux. Certes, la première motivation du trader est bel et bien la recherche du profit maximum, et pas le respect du code d’éthique. Mais au cas d’espèce, il est permis d’émettre des doutes sérieux quant à l’ignorance du staff des banques concernées, et à la candeur des autorités de tutelle. Car les manipulations en cause ont débuté en même temps que la crise financière, période durant laquelle les banques rechignaient à se prêter entre elles – vu leur défiance légitime sur la solvabilité de la corporation. La « cotation » du Libor se fait selon une procédure déclarative : chaque banque rapporte quotidiennement les conditions de crédit qu’elle consent à ses consœurs et qu’elle accepte de ces dernières, et une moyenne est établie (sous quelques modalités complémentaires que l’on peut ignorer ici). Au moment le plus aigu de la crise, il était tentant pour les autorités de tutelle d’encourager (en catimini) la minoration artificielle de ce taux, afin de donner du système financier une image moins stressante que la réalité : quand la panique s’installe, la banqueroute devient quasi-certaine. Il ne s’agit pas là d’une simple conjecture : un banquier anglais a tenu un tel discours pour se dédouaner. Même si un démenti a été opposé par son correspondant tutélaire (ils se seraient « mal compris »), et que l’affaire a été rapidement enterrée, le scénario demeure plausible, sinon probable. Accréditant l’idée que les tripatouillages ont été tolérés pour la bonne cause, tout en donnant lieu à des bénéfices collatéraux accessoires pour les opérateurs, relevant de la catégorie du délit d’initiés : si l’on connaît par avance le cours futur d’une valeur, la spéculation devient très confortable….

Asymétrie de l’information

On ne peut douter qu’il y ait une certaine « complicité » entre les autorités politiques et la sphère financière : eu égard aux conséquences apocalyptiques d’une crise systémique, il est compréhensible, en cas d’alerte grave, que le pouvoir coopère avec le secteur concerné pour tenter de prévenir le chaos. Et qu’il puisse ainsi être amené à lui consentir des facilités au nom de l’intérêt général : la démarche n’est peut-être pas vraiment transparente, ni totalement sincère, mais ses arguments sont défendables. Il est permis toutefois de se demander si nos élus disposent d’une cuillère assez longue pour négocier avec le diable ; entendons par là que leur connaissance du milieu semble bien superficielle pour mener une négociation équitable. C’est l’impression qui se dégage à la lecture, par ailleurs enrichissante, du rapport sénatorial émanant de la « Commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières ». La thématique est un peu différente de celle qui est abordée plus haut, mais les acteurs sont les mêmes, dotés d’un pouvoir identique et d’une même propension à la dissimulation.

On soupçonne que les rapporteurs ont découvert quantité de pratiques incroyables à la faveur des auditions qu’ils ont menées, et encore les auditionnés s’en sont-ils tenus au dévoilement des seuls secrets de Polichinelle, accessibles à tout lecteur des revues spécialisées. Cela n’empêche pas la Commission sénatoriale d’avoir proposé l’adoption d’un certain nombre de verrous réglementaires pertinents, susceptibles de limiter le périmètre de braconnage de la finance et de renforcer l’efficacité des gardes-chasse. Mais en dépit de son caractère volontariste, cette démarche ne masque pas le sentiment d’impuissance du législateur face à l’hydre financière ; le sentiment que les restrictions, les interdictions et un contrôle renforcé ne limiteront qu’à la marge les pratiques sulfureuses. A moins d’imposer un carcan à ce point coercitif qu’il réduirait les banques à une fonction de tiroir-caisse strictement local. C’est finalement à la même extrémité que semble acculé le Gouvernement : pour rendre plus productif un système fiscal sujet à quelques hémorragies (légales ou frauduleuses), il en est conduit à majorer les ponctions sur le pékin et à radicaliser la répression. Encore un cadeau empoisonné que l’on doit, pour partie, à la finance…

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