Les Bourses en émoi

Nul ne sait désormais identifier les motifs rationnels qui provoquent l’emballement des Bourses. Pas davantage ceux qui expliqueraient le récent collapsus baissier. Mais les niveaux atteints suscitent le doute chez les investisseurs. Tout particulièrement celui des biotechnologies sur le Nasdaq.

Selon Aristote, « Le doute est le commencement de la sagesse ». On doit supposer que la sentence s’applique également à ceux qui n’ont pas lu un traître mot de l’Ethique à Eudème. Car si les spéculateurs sont en ce moment saisis par le doute, peu d’entre eux sont suspects de familiarité avec la pensée d’Aristote. Et aucun ne peut raisonnablement prétendre à la sagesse, sauf peut-être après s’être ruiné sur un pari malheureux. Les mouvements boursiers ont toujours été assez mystérieux pour le pékin. Mais dans un passé lointain, au moins trouvait-on, a posteriori, des arguments solides pour justifier l’envolée ou la chute des indices. Les chartistes apportaient également leur grain de sel, eux qui scrutent les diagrammes historiques pour en extraire la cyclicité supposée de l’évolution des cours boursiers. Hélas pour eux, les robots sont devenus majoritaires sur les marchés. Et le trading à haute fréquence ignore tout de la théorie de Dow et des vagues d’Elliott. Il en résulte des mouvements erratiques qui se déclenchent avec la soudaineté d’une giboulée de mars, sans qu’un événement tangible, ou une simple rumeur, ait déclenché le processus. Les gestionnaires professionnels – les humains, s’entend – en restent comme deux ronds de flan. Mais ils suivent le mouvement, car il est toujours vrai qu’en Bourse, s’opposer à la tendance est le meilleur moyen de se retrouver en caleçon. Ainsi, sur la semaine écoulée, les marchés se sont successivement enthousiasmés en l’absence d’informations signifiantes, avant de se retourner brutalement sans plus de motifs.

La bulle du Nasdaq

On l’a largement rabâché ici et on le répète : le meilleur stimulant du marché boursier, c’est l’abondance de liquidités. Quand les comptes sont gorgés de cash, il faut bien l’employer à quelque chose. Certes, les emprunts d’Etat ne manquent pas et ne cessent de proliférer, en phase avec l’augmentation constante des dettes publiques. Mais ils ne rapportent que des clopinettes. Et de toute façon, que ce soit aux Etats-Unis ou au Japon, les Banques centrales les ramassent par brassées. De ce fait, les Boursiers se comportent comme des enfants qui disposent de trop d’argent de poche : ils achètent n’importe quoi. Il suffit que la FED promette de se montrer durablement généreuse pour que Wall Street caracole vers de nouveaux sommets. Tel était encore le cas en milieu de semaine dernière : Janet Yellen, qui cherche ses marques en matière de communication, avait arrondi les angles par rapport à sa précédente intervention. Non, la FED n’était pas près de remonter ses taux, en dépit de l’amélioration sensible de l’activité et du marché de l’emploi. Non, la FED ne prendrait pas à la lettre des statistiques encourageantes, mais attendrait la consolidation de la reprise avant de se montrer plus parcimonieuse. Voire plus longtemps encore, par prudence. Du miel pour les intervenants, qui renforçaient leurs positions longues dans la foulée : le consensus était alors haussier à la quasi-unanimité.

Et puis dès le lendemain, le sentiment changeait soudainement de camp, en cours de séance. Etait-ce que la « prudence » de la FED éveillait alors le doute sur la santé réelle de l’économie US ? Une bonne question, assurément. Etait-ce que les informations d’initiés, sur les résultats en attente de publication, se révélaient peu satisfaisantes ? Une suspicion légitime, sans aucun doute. Mais aucune de ces hypothèses n’a été reprise par les observateurs médusés. Lesquels ont invoqué de logiques « prises de bénéfices » après la énième hausse de la veille ; la faiblesse des anticipations de croissance en Asie, pourtant notoires depuis des lustres ; les inquiétudes sur la situation en Ukraine, alors que cette contrée lointaine avait jusqu’alors laissé indifférents les marchés américains (à tort : l’affaire est sérieuse). Ce n’est pas la nomination des secrétaires d’Etat du nouveau gouvernement français qui a ému les opérateurs, ni le fait que le Quai d’Orsay liquide l’appartement somptueux, sur Park Avenue, qu’occupe notre ambassadeur auprès de l’ONU. Bien qu’il ne soit pas très rassurant de constater que le Trésor français en est réduit à concrétiser les plus-values sur son patrimoine diplomatique, afin d’améliorer ses fins de mois. Mais il a bien fallu que quelque chose déclenche un sell-off aussi vigoureux.

Peut-être les robots sont-ils responsables du décrochage : ils en ont fait d’autres par le passé, plus spectaculaires encore, mais plus éphémères. Sans doute faut-il se ranger à une autre interprétation. Car l’alerte est venue des new-tech et des bio-tech du Nasdaq, où s’échangent à des prix stratosphériques des valeurs représentatives des réseaux sociaux, inexplicable coqueluche des marchés, ainsi que de jeunes sociétés impliquées dans des technologies prometteuses, mais non encore abouties. Tout investisseur rêve de mettre des billes à l’origine d’un futur Microsoft, Apple ou Facebook. Sauf que la probabilité de tirer le bon numéro est à peine supérieure à celle de gagner au Loto. Lorsque la fièvre s’empare de ces « jeunes pousses », dont nombreuses sont celles qui dépériront sur pied, on assiste à un emballement qui se solde toujours de la même façon : comme, en son temps, la tornade qui ravagea la famille des dot.com. Il suffit que quelques porteurs soient affectés par une lueur de lucidité, en liquidant massivement leurs positions, pour que le doute s’empare du marché et conduise les investisseurs à la « sagesse ». Si une correction majeure doit se produire – cohérente sur la base des fondamentaux –, elle débutera probablement par le Nasdaq. Quels que soient les prétextes qui seront alors invoqués.

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