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Les maires dans la bataille de la dette

Les communes sont-elles responsables de la dette publique ? Réunis en congrès, les maires jurent qu’ils n’y sont pour rien, tout en réclamant la création d’une agence de financement. François Fillon demande pour sa part un effort aux communes mais leur accorde des crédits supplémentaires.

Ca sent la présidentielle. En cette matinée de novembre, à l’entrée du Parc des expositions de la porte de Versailles, les maires qui se rendent à leur congrès annuel cherchent une esquive. Des militants de tous bords les attendent de pied ferme, dès la sortie du tramway ou du métro, et cherchent à les convaincre d’accorder leur parrainage à un obscur candidat. Tel impétrant fait distribuer ses propositions par deux hôtesses. Tel autre a dépêché ses collaborateurs armés d’un stylo et d’une promesse de parrainage. Plus tard, le Front national organise une conférence de presse, dans l’enceinte du parc, pour évoquer, comme à chaque veille de scrutin, les « pressions » qui menaceraient les élus susceptibles de parrainer la candidature Le Pen.

S’ils doutaient de leur pouvoir, les quelque 37 000 maires de France ont pu mesurer la place centrale qu’ils occupent dans la République. Cette année encore, la parole de l’Etat est portée, devant le congrès, par François Fillon, sifflé il y a deux ans par une salle momentanément acquise à la gauche, mais désormais aguerri. Ce 22 novembre, dans un grand hangar plein à craquer, les maires se sont assis par affinités politiques. Devant, face à la tribune, ont pris place les notables et élus de la majorité. Derrière, au fond, se sont installés les maires de gauche, élus de villes moyennes ou petites, portés au pouvoir par les « vagues roses » successives. Sur la scène même, assis l’un à côté de l’autre sur des fauteuils blancs qui décrivent un arc de cercle, ont pris place une bonne quinzaine de ministres, de Claude Guéant (Intérieur) à Benoist Apparu (Logement) en passant par Nadine Morano (Apprentissage) ou le petit dernier, Edouard Courtial, depuis peu secrétaire d’Etat aux Français de l’étranger. Enfin, devant les ministres et deux mètres derrière le très officiel pupitre, patientent, telles des sommités, les présidents Bernard Accoyer (Assemblée nationale) et Jean-Pierre Bel (Sénat).

Une salle coupée en deux

Le discours de Dominique Baudis, nommé « Défenseur des droits » en juin dernier, ne fait pas beaucoup de vagues. Celui de Bertrand Delanoë, maire (PS) de Paris et chargé à ce titre d’accueillir les congressistes, garde les apparences d’un propos consensuel mais recèle en réalité quelques piques à l’encontre de la majorité. « Il n’est pas un seul maire de France qui finance un euro de fonctionnement par la dette », affirme-t-il ainsi, répondant par avance aux critiques qui accusent les collectivités locales de prodigalité. Ayant manifestement compris le message, le fond de la salle applaudit. Le maire de Paris poursuit sur sa lancée, demandant « une maîtrise du coût des loyers », des moyens pour « le service public municipal » et saluant les « Etats généraux des collectivités locales » que Jean-Pierre Bel s’est proposé d’organiser en février, au Sénat.

Président de l’Association des maires de France (AMF), le député-maire de Lons-le-Saunier, Jacques Pélissard (UMP ) obtient lui aussi les applaudissements de la moitié des congressistes, mais plutôt de ceux qui sont assis dans les premiers rangs. Malgré son étrange manière de manger les mots, le représentant des maires présente un programme détaillé qui cherche certes à ménager ses confrères mais sans mécontenter le gouvernement. Oscillant entre le rappel du « lien social » qui motive selon lui les élus et « la rationalisation de la dépense publique », Jacques Pélissard affirme à l’adresse de François Fillon que les maires sont « convaincus du rôle à jouer dans le contexte de crise ».
L’une des principales inquiétudes des édiles porte sur le financement des dépenses d’investissement. Confrontées à ce que l’on a appelé des « emprunts toxiques », les collectivités ne peuvent plus obtenir des crédits aussi facilement que lors des années fastes. « Le resserrement des conditions de crédit au secteur public local du fait des nouvelles règles internationales nous pénalise », affirme Jacques Pélissard. Le démantèlement annoncé de Dexia, qui détenait jusqu’à présent 40% du marché des collectivités, inquiète les maires. L’AMF, appuyée par deux associations représentant respectivement les communautés urbaines et les grandes villes, a proposé la création d’une « Agence de financement des investissements locaux ». Cette structure publique viendrait « compléter l’offre bancaire » et « sécuriser » les projets des collectivités sans toutefois « augmenter la dette », affirme Jacques Pélissard.

Pas de « mariages forcés »

L’autre sujet « brûlant » du moment concerne la carte intercommunale. Les « schémas départementaux de coopération intercommunale » proposés par les préfets suscitent, dans chaque département, de vives réactions et parfois une opposition frontale. Certains maires se montrent hostiles à un regroupement, parfois même à la simple idée d’une coopération avec les communes voisines. Jacques Pélissard s’appuie sur cette fronde pour poser ses exigences. Dans le cadre d’un regroupement, propose-t-il, les communes pourraient choisir les élus siégeant au sein du conseil intercommunal et déterminer les compétences transférées à la structure ainsi créée. Le président de l’AMF réclame surtout « le maintien de la clause générale de compétence aux communes ». Autrement dit, les municipalités continueraient à pouvoir s’occuper de tous les sujets, sans se soucier de la cacophonie à laquelle la réforme territoriale entendait précisément mettre fin.

François Fillon opte donc pour un mode pédagogique. « Depuis 2008, nous avons dû affronter trois crises majeures », les « subprimes », l’endettement des Etats et celle de l’Europe, qui, ensemble, « révèlent une crise de civilisation », affirme-t-il. Le chef du gouvernement met en cause « le grave défaut de gouvernance » européenne mais aussi la France qui, « depuis 1975, vit à crédit ». Dès lors, si « l’effort relève d’abord de l’Etat », il est « indispensable que les collectivités locales, qui représentent un peu plus de 20% de la dépense publique y participent », poursuit-il, relativement bien accueilli par les congressistes. S’il fait « appel à l’intelligence des élus », le Premier ministre rappelle également que « depuis de nombreuses années, l’Etat s’endette pour financer les dotations de fonctionnement qu’il verse aux collectivités ».

Mais les maires n’auront pas entendu ce sermon pour rien. Après avoir affirmé que « jamais la question des finances publiques n’aura été à ce point au centre de notre avenir commun », le Premier ministre annonce que le fonds destiné à financer les investissements des collectivités et des hôpitaux est « porté de 3 à 5 milliards d’euros ». Concernant l’intercommunalité, François Fillon lâche une phrase qui plaît – « je ne crois pas aux mariages forcés » – sans toutefois se prononcer sur la clause générale de compétence. L’Agence de financement souhaitée par les associations d’élus ne semble pas non plus susciter l’enthousiasme de Matignon. Le Premier ministre se contente de rappeler qu’il a « demandé un rapport » et qu’il accorde « une très grande importance au déroulement de ces travaux ». En clair, l’idée, certes sympathique, est reportée à une date ultérieure. Après la présidentielle.

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