Les marchés et le risque

Les marchés et le risque

La gestion boursière n’a jamais été un long fleuve tranquille. Mais que l’on s’attache à une approche de bon père de famille ou à une stratégie plus sportive, que l’on privilégie les actions ou les obligations, l’avenir est baigné d’incertitude. Le gestionnaire est contraint d’accepter un niveau de risque très élevé.

La période estivale aura finalement crédité les portefeuilles boursiers d’un léger hâle de valorisation. Voilà longtemps que leur pâleur maladive laissait redouter une langueur inguérissable. Mais par un des ces mystères impénétrables de la biologie financière, l’effet placebo a produit une heureuse rémission, grâce aux potions oraculaires des bons docteurs en Banque centrale et aux promesses émouvantes des gouvernements décavés. Certes, nul n’ignore que l’addiction au crédit est une affection difficile à guérir : la dépendance est souvent plus forte que la volonté. Mais une solide motivation permet de différer la rechute de quelques heures, voire de quelques mois dans le meilleur des cas. En attendant que le prochain spasme vienne gâcher la fête, il n’est donc pas inutile de s’interroger sur la stratégie optimale de l’investisseur boursier, qui souhaite ou qui doit maintenir son exposition au marché.

Sur le terrain des actions, deux approches concurrentes : celle des conservateurs à la Warren Buffet, qui privilégie l’expérience prouvée, les technologies matures et bien rodées, les « civettes », en somme. Ces investisseurs sont sensibles à la gouvernance des entreprises et aux perspectives de croissance, deux critères difficiles à appréhender sur les temps présents. Car les grands managers, s’ils ne manquent pas d’expérience, convenons-en, se montrent surtout obsédés par leur propre bonus et n’hésitent pas à exposer l’entreprise à des risques inconsidérés. Quant à la croissance, son retour sur scène se fait toujours attendre au point de demeurer hypothétique. La gestion pépère est ainsi réservée à ceux qui pensent que nous sommes au creux de la vague, et qu’il est donc opportun d’investir dans la perspective du retour inévitable d’un cycle de prospérité. Pragmatiques ou rêveurs ? L’avenir le dira. Sur l’autre versant se trouvent les modernistes, plus hardis dans leurs choix, plus ambitieux dans leurs attentes, qui misent sur l’innovation. Eux n’hésitent pas à transfuser des start-up jusqu’à ce que leur activité devienne opérationnelle, après quoi ils quittent le navire en empochant leurs plus-values. Lesquelles viennent éponger les pertes inévitables encourues avec celles de leurs « jeunes pousses » qui ont fané sur pied. La saga de quelques stars de la cote, de création relativement récente, vient étayer une stratégie d’investissement qui se révèle en effet très profitable pour ceux qui n’ont tiré que de bons numéros. Pour ceux qui diversifient largement leurs mises, les résultats se révèlent, en général, plutôt inférieurs aux attentes.

Des avis contrastés

Le cas Facebook est à la fois un modèle et un contre-exemple. Un modèle pour les investisseurs originels, qui ont réalisé un profit honorable en dépit de la dégringolade du titre depuis sa cotation. Une descente aux enfers cohérente, comme nous l’avions pronostiqué en son temps dans ces colonnes, au vu de la valorisation extravagante de l’entreprise lors de l’introduction : 100 milliards de dollars pour un jardin à parlotes, de surcroît gratuit pour ses utilisateurs, c’était quand même très cher payé (100 fois le dernier résultat net), en dépit de son énorme fréquentation planétaire. Si l’on en croit David O. Sacks (un ancien de Paypal, fondateur du réseau social d’entreprises Yammer, récemment vendu à Microsoft pour 1,2 milliard de dollars), dont les propos ont été rapportés par le quotidien économique Les Echos, c’est « la fin de la Silicon Valley telle que nous la connaissons ». Car pour faire émerger une nouvelle grande entreprise, il faut selon lui l’idée, des besoins financiers initiaux raisonnables (adaptés au risque pris) et les moyens de se protéger de la prédation des grandes firmes, à l’affût de toute innovation. Le créneau serait ainsi trop encombré pour permettre la percée de nouvelles start-up. D’autres croient au contraire aux pouvoirs illimités de la créativité humaine et au potentiel infini de la technologie. Tel Marc Andreessen (cofondateur de Netscape, gérant du célèbre fonds de capital-risque Horowitz). Nombreux sont les gestionnaires qui, apparemment, partagent cet avis : les statistiques démontrent un surcroît d’investissement dans le capital-risque. Cela ne signifie pas pour autant que les anticipations soient pertinentes, bien entendu. Il en résulte que l’horizon du gestionnaire d’actions comporte davantage d’incertitudes que de convictions bien affirmées…

Que dire du placement obligataire ? Jusqu’à une date récente, les emprunts d’Etat étaient supposés offrir la signature la plus sûre du pays. Le paysage est désormais bouleversé. Mais certains investisseurs institutionnels, comme les assureurs, sont obligés de constituer des positions massives de créances. Dans un environnement où les obligations les mieux notées ne rapportent que des clopinettes, et où les gros coupons exposent à un risque nucléaire, quelle peut-être la position des gestionnaires, soumis à la fois à des contraintes de rendement et de sécurité ? Il n’est pas interdit de penser que beaucoup agissent comme ceux de Swiss Life, la première compagnie helvétique. Sur les derniers mois, la part de ses obligations allemandes, néerlandaises et françaises a été fortement allégée (avec bénéfice), au profit des émissions américaines, qui passent de 2% à… 18% du portefeuille. Deux interprétations possibles : la première, évidente, est celle de la crainte (légitime) d’un risque majeur sur l’Eurozone. La seconde, plus « politique », est que les gestionnaires n’ont pas plus confiance en l’Oncle Sam qu’en l’Europe. Mais en cas de bug sur le dollar, la compagnie ne serait pas plus mal lotie que ses homologues. En conformité avec le premier axiome de la gestion institutionnelle : mieux vaut avoir tort avec le marché que raison tout seul.

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