Obama : victoire à la (...)

Obama : victoire à la Pyrrhus

Interruption temporaire du psychodrame politique américain : les parties en lice s’accordent une pause avant le prochain round. Mais sur le plan économique, la situation n’a pas évolué d’un pouce. Au contraire, les doutes sur le dollar vont se renforcer. Pendant que les émergents enfilent leurs gants pour l’envoyer au tapis.

C’est donc en vain que nous avons espéré une issue définitive au feuilleton américain, que les élus et la Maison-Blanche jouent pour nous avec une conviction qui les honore. Le plus récent épisode du Mur de la dette, une superproduction à 24 milliards de dollars (coût estimé du shutdown gouvernemental), laisse intact le suspense : le talk show s’est achevé sur un entracte permettant aux acteurs de souffler et de se repoudrer le nez. Mais les répétions reprennent dans la foulée, afin d’honorer le spectacle qui doit s’achever les 15 janvier (échéance fixée à la réouverture temporaire des agences fédérales) et 7 février prochains (date butoir du relèvement du plafond de la dette) : telles sont les conditions posées par l’arrangement, conclu juste avant le terme du temps réglementaire. Il reste donc moins de trois mois aux parties, pour formaliser un accord introuvable depuis trois ans. Autant dire que nous ne sommes pas au bout des coups de théâtre, des coups bas et des coups de gueule qui épicent le scénario. Avec, en point de mire, la menace d’un nouveau shutdown et la perspective réitérée d’un défaut de paiement US, une hypothèse que le monde entier préfère considérer comme inimaginable. Sur la base de justes motifs : le dollar et les créances en dollars constituent la clef de voûte du système financier mondial.

Ce n’est pas que les intervenants aient une confiance inébranlable dans la solidité de l’un et des autres ; mais tous sont bien obligés de faire comme si tel était le cas. Un peu comme un rentier contraint de placer toute sa fortune dans la même banque : tant que les intérêts lui sont payés, il préfère croire en la solvabilité de son débiteur, faute d’alternative. Il ne lui reste plus qu’à croiser les doigts et à agiter sa gousse d’ail face aux alertes démoniaques des Cassandre. Il en résulte que le bel ordonnancement des affaires du monde repose sur un acte de foi, comme l’ont démontré les marchés financiers jusqu’au 17 octobre : tous ont anticipé la conclusion d’un deal avant le coup de gong. Ils ont ainsi respecté le vieil adage en achetant la rumeur et en vendant la nouvelle, les Bourses ayant rétrogradé après la confirmation de l’accord entre la Maison-Blanche et le Congrès. Ce n’est pas pour autant que l’incident soit clos.

La béquille du dollar

Il n’était pas nécessaire d’entretenir une telle effervescence pour finalement reproduire à l’identique un scénario déjà éprouvé : le report des échéances. Les deux approches concurrentes de la philosophie budgétaire américaine sont de moins en moins conciliables, au fur et à mesure que le profil financier du pays se dégrade. Obligeant ainsi à sabrer dans les dépenses « sociales » (ce que les Démocrates refusent) ou à majorer fortement les impôts (ce à quoi les Républicains s’opposent fermement). Voire les deux à la fois, ce qui serait sans doute la stratégie la plus pertinente, mais quasiment assurée de faire l’unanimité contre elle. On notera au passage que personne ne met directement en cause le budget de la Défense, qui à lui seul pèse pourtant plus de 40% de toutes les dépenses militaires du monde, en dépit des velléités non-interventionnistes d’une fraction importante du Tea Party.

Désormais, comment la situation peut-elle évoluer sur le peu de temps qui reste avant un nouveau blocage ? Les Républicains ont dû capituler et ont, du reste, reconnu l’échec de leur stratégie – encouragés par la Chambre de Commerce US, leur principal bailleur de fonds, et la grogne de l’opinion à leur égard. Mais ce serait leur faire insulte de croire qu’ils vont adopter un profil bas et renoncer à leur revanche, ou accepter les propositions d’embrassade du président Obama (sur le thème de l’union nationale, consistant à associer les opposants à ses propres erreurs de gouvernement). Il semble bien que la longue période de courtoise connivence entre factions ait pris fin, et que l’on soit entré dans une guerre féroce et potentiellement dévastatrice. Rien, en tout cas, qui soit susceptible d’améliorer le potentiel productif du pays, ni sa situation financière : remonter sans cesse le plafond de la dette sans contreparties orthodoxes, c’est éroder la solvabilité des States. Et ainsi accélérer les risques de défaut, qu’un accord sur le plafond était supposé prévenir. De ce fait, la dynamique en cours à l’intérieur du pays concourt à affaiblir la puissance, déjà déclinante, de l’Amérique.

A l’extérieur du pays, le contexte n’est guère plus encourageant. Ce n’est pas d’hier que l’hégémonie du dollar, qui confère aux Etats-Unis un statut unique (permettant de payer leurs dettes avec de l’argent fraîchement imprimé), fait l’objet de nombreuses critiques. Mais des critiques mezza voce : la taille du gourdin américain encourageait à la discrétion. Aujourd’hui, l’Empire yankee affiche ses faiblesses, jusqu’à devoir lésiner sur l’entretien de son arsenal guerrier. Et dans le même temps, les anciens pays émergents ont pris de la bouteille – et l’assurance que confère la prospérité. Sous la houlette de la Chine et de la Russie, entraînant dans leur sillage les petits nouveaux d’Asie et d’Amérique du Sud, commencent à se constituer des entités ayant vocation délibérée à concurrencer le FMI et la Banque mondiale – bras armés de la suprématie du dollar. Certes, la puissance de feu de ces nouveaux organismes ne peut encore rivaliser avec la vieille garde. Mais le ver est dans le fruit, et la démarche en cours aura pour effet mécanique de restreindre les besoins de dollars pour assurer la liquidité du business mondial. La supériorité concédée au billet vert est essentiellement quantitative ; que la FED soit demain contrainte de retirer des containers entiers de la circulation, sous peine de voir son cours s’effondrer, et le Congrès américain n’aura plus le loisir de se chamailler sur la dette. Il devra en abaisser le plafond à l’unanimité, faute de trouver des créanciers pour la financer. Voilà ce qu’il en coûte d’abuser de la fausse monnaie.

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