UE : frissons sur les banques

La BCE a entamé ses opérations d’audit du secteur bancaire. On en connaîtra les résultats à l’automne. En attendant, le FMI se montre beaucoup plus pessimiste que les autorités européennes quant à l’état réel des établissements bancaires européens. Ceux des pays en difficulté ne sont pas les seuls en cause…

Il ne manquait que la nomination d’un nouveau Premier ministre pour réactiver interrogations et critiques, sur des thèmes qui s’étaient un peu estompés du paysage de la polémique. Il s’agit de l’état du système financier en général et de celui des banques françaises en particulier. Outre la politique monétaire de la BCE, que le discours de politique générale a expressément tenue pour responsable de la mollesse de la reprise dans la Zone euro. Au motif que la parité de notre devise est trop élevée, un état de fait que nos entreprises exportatrices ne contesteront pas. L’ennui sur ce terrain, c’est que même un gouvernement « de combat » ne peut pas contraindre la Banque centrale à affaiblir délibérément le cours de notre monnaie. Du reste, si l’on en croit un spécialiste patenté, en la personne du Gouverneur de la Banque de France, « Ce n’est pas la politique monétaire qui rend l’euro fort, c’est l’attrait de la Zone euro ». On laissera à Christian Noyer la responsabilité de son jugement, flatteur pour notre ego et en même temps difficilement critiquable : c’est le marché qui fixe le cours des devises, et il a toujours raison, selon le premier axiome de l’économie libérale. Tout au plus peut-on soupçonner le Gouverneur d’abuser de la catachrèse, cette figure de rhétorique (« boire un verre ») qui permet la confusion entre le contenant et le contenu : l’euro et la Zone euro, ce n’est pas tout-à-fait la même chose. En tout cas, chacun aura compris que notre Premier ministre attend de la BCE qu’elle se montre plus expansionniste qu’elle ne l’est déjà, sur le modèle de ses homologues américaine, britannique et japonaise. Il pourrait être prochainement exaucé, encore que l’assouplissement quantitatif prévisible promet d’être d’une nature un peu différente – à savoir consacré au soutien direct des banques.

Trop de créances « douteuses »

Les banques – françaises et allemandes, en particulier – sont par ailleurs revenues sous les feux de la rampe. Pas encore à cause de la Revue de qualité des actifs (AQR, selon l’acronyme anglais) sous l’autorité de la BCE, et dont les résultats seront dévoilés avant la fin de l’année. D’ores et déjà, certains analystes estiment que le secteur aura besoin de plus de 750 milliards d’euros pour se recapitaliser : si l’audit de la Banque centrale est « sincère », on doit donc pronostiquer des pleurs et des grincements de dents, voire plus douloureux encore pour les établissements les plus exposés. En attendant, un ancien conseiller économique du président Barroso se répand dans la presse, pour critiquer véhémentement le choix fait en son temps, par les gouvernements européens, de secourir les banques au détriment des contribuables européens. Ledit Philippe Legrain étant britannique, on ne s’étonnera pas qu’il s’exonère de l’obligation de réserve qui s’impose ordinairement aux conseillers des éminences. On ne s’étonnera pas davantage qu’un Anglais conspue la politique européenne – encore que sur ce point particulier, le signataire ne s’en est pas privé non plus (mais il n’a jamais émargé comme conseiller de la Commission). En réalité, tous les gouvernements de la planète ont choisi en priorité cette option, sans renoncer toutefois à liquider quelques établissements.

Si l’économiste Legrain fait pudiquement l’impasse sur l’origine de la crise – les crédits subprime des banquiers américains –, c’est à bon droit qu’il met l’accent sur les « mauvaises créances » des établissements allemands et français, détenues sur les pays du Sud de l’Europe. Et il affirme que Berlin et Paris ont pesé de tout leur poids pour sauver leurs banques de la déroute : l’UE s’est rangée du côté des créanciers contre les débiteurs défaillants. Les gouvernements sont ainsi devenus « prisonniers de leur système bancaire ». En conséquence, les Etats en difficulté ont été contraints à une austérité massacrante, avec les conséquences que l’on peut observer dans les pays concernés. Les sacrifices consentis ont-ils pour autant préservé les banques en cause de tout accident majeur ? Selon un rapport récent du FMI, « Les banques dans les pays en difficulté de la Zone euro restent plombées par un stock important et grandissant de créances douteuses, résultant du poids de la dette au sein des entreprises et du ralentissement économique ». Le stock en question a doublé depuis 2009, pour atteindre un niveau supérieur à 800 milliards de dollars. Sont concernées ici les créances privées et non les obligations souveraines, alors que ces dernières sont encore porteuses d’un risque non négligeable : qui peut dire ce qu’il adviendra des emprunts de Chypre et de la Grèce, de l’Irlande et de la Slovénie, et même de ceux du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie ? Dans l’analyse de la situation et dans le choix des moyens à mobiliser, le FMI s’écarte de plus en plus souvent des vues défendues par la Commission européenne et la BCE, ces deux dernières faisant systématiquement cause commune. D’aucuns y voient le reflet de la toute puissance de l’Allemagne, laquelle imposerait ses conditions à l’une et à l’autre. Apparemment, la Bundesbank a accepté de renoncer à son orthodoxie rigoureuse en matière de politique monétaire. Mais il est peu probable que Berlin renonce à ses exigences en matière budgétaire. En foi de quoi notre Premier ministre devrait-il rencontrer d’énormes difficultés pour obtenir de Bruxelles un nouveau moratoire dans le calendrier de redressement des comptes publics. Moralité : on n’a encore rien vu en termes d’austérité.

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